Qu’en pensent les voisins ?
Les changements à l’œuvre depuis l’avènement de Mohammed VI ont profondément modifié l’image du royaume à l’étranger, notamment au sein de l’intelligentsia maghrébine.
Dix ans qui ont changé le Maroc
« Le Maroc a changé, a fait sa révolution et s’est libéré de ses archaïsmes. Du coup, ce sont ses deux voisins du Maghreb, l’Algérie et la Tunisie, qui ont pris un sacré coup de vieux. » Le propos, qui émane d’un publicitaire français, est abrupt, mais pas complètement faux. Pour l’opposant et défenseur des droits de l’homme tunisien Khemaïs Chamarri, « le Maroc de Hassan II n’avait pas bonne presse dans les cercles progressistes. Il était synonyme de monarchie féodale et arbitraire, de repoussoir. Sans doute avons-nous été trop sévères. Il ne s’agit pas de passer l’éponge sur l’héritage des années de plomb, mais reconnaissons au roi défunt le mérite d’avoir préparé la transition, réalisé l’alternance, et placé son héritier dans les meilleures conditions pour lui succéder ». Chamarri, très au fait des réalités marocaines, porte un regard nuancé sur le règne de Mohammed VI : « La presse indépendante s’est émancipée et écrit des choses inimaginables sous nos latitudes. D’ailleurs, elle n’est pas distribuée à Tunis. Les femmes se sont libérées, ont investi le champ politique à l’occasion des communales, et se battent pour arriver à l’égalité. L’espace des libertés s’est considérablement élargi. Néanmoins, la désaffection par rapport au politique, la défiance envers les partis traditionnels et envers le Parlement, l’abstention record aux législatives de 2007 et la survalorisation du roi ne sont pas des signes de bonne santé démocratique. Malgré tout, certaines évolutions sont, je crois, irréversibles. »
Des libertés à méditer
Un avis largement partagé par Karim Tabou, le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS) algérien, le parti fondé par Hocine Aït Ahmed et considéré comme celui ayant le plus d’affinités historiques avec le royaume. « Le pays a évidemment réalisé des avancées très significatives dans le champ des libertés, souligne-t-il. Et il a solennellement reconnu le pluralisme linguistique, la place de l’amazighité, ce qui constitue, pour nous, Algériens, un exemple à méditer. »
L’impact, dans les pays voisins, des changements en cours au Maroc est néanmoins à relativiser. Les sociétés maghrébines sont en effet cloisonnées. Par ailleurs, « les pouvoirs sont allergiques aux comparaisons, note le Tunisien Chamarri. L’information circule mal ». Quant aux islamistes tunisiens, ils se référeront davantage à l’expérience turque ou aux réformateurs iraniens qu’à leurs cousins du Parti de la justice et du développement (PJD), pourtant pleinement intégrés au jeu institutionnel.
Il est encore plus difficile de parler du Maroc dans les médias officiels algériens, les deux pays étant en conflit larvé à cause du Sahara occidental (voir p. 70). « Cela frise le terrorisme intellectuel, estime un journaliste. Le discours politique officiel est ultranationaliste, mais les gens ne sont pas dupes. Grâce au satellite, ils captent les chaînes marocaines et ont été très impressionnés par les audiences télévisées de l’IER [Instance Équité et Réconciliation, NDLR]. C’est à ce moment-là, je crois, qu’ils ont compris que quelque chose avait profondément changé au Maroc. » Karim Tabou souligne, lui, un autre événement qui a eu un retentissement considérable en Algérie : les images de la grande manifestation de solidarité avec les victimes de l’agression israélienne à Gaza, qui a réuni des centaines de milliers de personnes, dans le calme, à Rabat. « Ici, à Alger, tout rassemblement était interdit et les gens étaient terriblement frustrés. »
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