Tous debout pour la nayda
Scène culturelle renouvelée, textes engagés… Un vent de liberté a soufflé sur la jeunesse et les artistes marocains. Certains les qualifient de rebelles, d’autres de nouveaux patriotes.
Dix ans qui ont changé le Maroc
Des jeunes aux coiffures extravagantes, des filles voilées dansant sur des rythmes rock, un groupe déchaîné lançant des riffs de guitare à un public en transe… La scène n’est pas extraite d’un documentaire sur Woodstock, mais de Casanayda, un film que Dominique Caubet et Farida Belyazid ont consacré à la nouvelle scène musicale marocaine. La nayda (« réveil », ou « debout », en arabe dialectal) est le nom de code de ce mouvement culturel qui fait battre le cœur de la capitale économique du royaume. Sa vitrine, c’est L’Boulevard, un festival né en 1999 à Casablanca et devenu aujourd’hui le plus grand festival de musique actuelle d’Afrique et du monde arabe. Il a fait connaître des groupes emblématiques du mouvement comme H-Kayne, Casa Crew ou le rappeur Bigg.
Pour Dominique Caubet, professeur à l’Institut national français des langues et civilisations orientales (Inalco), « la nayda explose vraiment en 2003, lorsqu’un groupe de musiciens, proche de L’Boulevard, est arrêté pour satanisme ». Dans un contexte troublé par les attentats terroristes du 16 mai, journalistes, intellectuels et artistes se mobilisent pour exprimer leur refus du repli sur soi et revendiquer leur liberté de parole. « La nayda, c’est une communauté d’esprit », explique Momo, alias Mohamed Merhari, l’un des fondateurs du festival. « Cela faisait plus de quarante ans que la jeunesse marocaine retenait son souffle. Avec la mort de Hassan II, un vent de liberté a soufflé et la jeunesse urbaine a laissé exploser sa créativité », ajoute-t-il.
Autre identité marocaine ?
Ce qui était encore inimaginable il y a dix ans devient alors populaire. Sur la chaîne nationale, Bigg galvanise les foules en chantant : « Marocains, levez la tête et arrêtez d’avoir peur. Stop à la peur du flic, stop à la peur des riches ! » Les tabous tombent. Dans la droite ligne de Nass el-Ghiwane, groupe emblématique des années 1970, les musiciens de la nayda reprennent à leur compte une tradition de chansons réalistes et contestataires… et font l’objet des foudres des courants les plus conservateurs du pays.
Car ce qui se joue à travers la nayda, c’est avant tout une certaine façon de définir l’identité marocaine. « Ces jeunes ne se considèrent pas seulement comme arabes et musulmans, mais aussi comme berbères, africains et, plus largement, citoyens du monde », rappelle Dominique Caubet. Le politologue Mohammed Tozy va jusqu’à parler d’une « nouvelle forme de patriotisme ». Une attitude qui dérange les islamistes, au point qu’un éditorialiste d’Attajdid a affirmé : « Ce ne sont pas des Marocains ! » Momo, lui, considère qu’il fait partie d’un « Maroc résistant » et n’hésite pas à parler d’« idéologie fasciste » pour désigner les islamistes les plus extrémistes.
Il n’en fallait pas plus à certains pour parler de « movida marocaine ». Mais la comparaison trouve vite ses limites. Le Maroc de Mohammed VI n’est ni aussi développé économiquement, ni aussi libéré sur le plan moral que l’était l’Espagne post-franquiste.
Les tenants de la nayda eux-mêmes sont fatigués de ce rapprochement. « Aujourd’hui, il faut considérer la nayda comme un horizon à atteindre et non comme un acquis », considère Hicham, cofondateur de L’Boulevard. Tous craignent la récupération. Car pour les autorités, qui laissent les festivals éclore et voient d’un bon œil la médiatisation des artistes marocains, la nayda est avant tout une excellente vitrine du Maroc moderne.
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