M6 n’est pas Juan Carlos

En dix ans, le successeur de Hassan II a été à l’origine de ruptures imperceptibles, impalpables, mais essentielles.  

Publié le 27 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

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Dix ans qui ont changé le Maroc

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Le roi est mort, vive le roi. La continuité consubstantielle à la monarchie n’est pas incompatible avec la démocratie. Au Maroc, elle en est même la condition, voire le fondement. Dès lors que la monarchie s’assimile désormais à l’État et qu’elle est, de ce fait, incontestable, intouchable, sacrée (comme la République en France), le royaume peut sans risques s’engager sérieusement, sincèrement, sur le chemin de la démocratie. Les citoyens peuvent régulièrement débattre de tout et s’affronter sur tout, se livrer à ces guerres civiles pacifiques que sont les élections, sans pour autant remettre en question l’État, garant du vivre ensemble.

Cependant, la même continuité joue de mauvais tours et fausse la perception. D’un roi à l’autre, la permanence du décorum et des rites empêche de voir les changements introduits. Mohammed VI a hérité d’une monarchie apaisée avec des institutions consensuelles, négociées de longue main par Hassan II avec le Mouvement national et la gauche. Trop heureux d’être à la tête d’un royaume réconcilié avec lui-même, il s’est bien gardé de le bouleverser. Mais le même M6 a procédé à une série de réformes majeures, dont on n’a pas pris toute la mesure, et qui sont en train de façonner le nouveau Maroc. En dix ans, il a été à l’origine de ruptures imperceptibles, impalpables, mais essentielles. 

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Le règne de la liberté

La première rupture a trait à la liberté d’expression. Jamais les Marocains n’ont été aussi libres. Au temps de Hassan II, on avait demandé un jour à Ahmed Sanoussi, dit Bziz, ce qui avait changé sur une période, disons, de dix ans. « Avant, répondit le comique, c’est celui qui parlait qui avait peur. Maintenant, c’est celui qui écoute ! » Sous M6, tout le monde parle et écoute, critique et se défoule, sans que nul n’y trouve à redire. Les chansons des rappeurs bousculent toutes les convenances, et leurs festivals reçoivent une subvention substantielle de M6 (voir p. 69). La presse n’est pas en reste. Il arrive que la justice ait la main lourde pour sanctionner des dérapages réels ou supposés, mais il serait intéressant de vérifier si les amendes exorbitantes sont vraiment acquittées. En tout cas, les titres en question continuent à paraître et à prospérer (voir p. 67). Plus significatif encore de la nouvelle ère : l’éclosion des radios libres. Elles méritent leur nom, et leurs auditeurs, qui interviennent en direct, s’en donnent à cœur joie.

La deuxième rupture de taille concerne les élections. Elles sont libres, transparentes, partout, dans les grandes villes comme dans les bourgs les plus reculés. Certes, les irrégularités n’ont pas disparu ni, surtout, l’achat des voix. Mais, et c’est essentiel, la fraude n’est pas le fait de l’administration. Le ministère de l’Intérieur s’en tient à son rôle professionnel d’organisateur des scrutins sans se départir de sa neutralité. Du coup, la compétition entre les partis est réelle, avec des enjeux significatifs, et l’on peut disposer à l’issue des consultations de vrais chiffres qui reflètent la carte politique. Ces données sont essentielles. Et si l’on en doutait, il suffirait, pour s’en convaincre, de considérer les conséquences de leur absence dans les pays comparables…

La troisième rupture, la plus radicale et qui aura sans doute des répercussions profondes sur la société marocaine, concerne, on l’a deviné, le statut et la condition des femmes (voir p. 60). Alors que Hassan II s’arc-boutait à la tradition, pour ne pas dire l’archaïsme, M6 est courageusement, résolument, féministe. Il faut une certaine audace, lorsqu’on est héritier de l’Empire chérifien, pour désaffecter le harem et afficher son épouse. Toute l’autorité d’Amir al-Mouminine (Commandeur des croyants) n’était pas de trop pour faire adopter par l’ensemble du pays, à commencer par les islamistes, la réforme de la Moudawana (Code de la famille), instaurant l’égalité entre les deux sexes. Il convient de mentionner aussi l’introduction aux élections locales du 12 juin d’un quota de 12 % réservé aux femmes. Du jour au lendemain, les élues, qui dépassaient à peine la centaine, sont plus de 3 000 et ne manqueront pas de transformer la gestion des mairies et des municipalités. Enfin, une réforme passée inaperçue va très loin. Adoptée en mars 2007, elle autorise la Marocaine à transmettre sa nationalité à ses enfants. Attendue par les couples mixtes, notamment par les Marocains résidant à l’étranger (MRE), elle est appelée à révolutionner la société marocaine en sapant l’un des fondements du patriarcat. 

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PAM contre PJD

La dernière rupture relève de l’attitude du Palais à l’égard des formations politiques et, plus précisément, du Parti authenticité et modernité (PAM). Dans l’opinion marocaine et au-delà, on voit dans le parti fondé par Fouad Ali Al Himma (FAH), l’« ami du roi », un remake des partis confectionnés sous le règne précédent par le ministère de l’Intérieur. Or, à y regarder de près, les situations sont on ne peut plus dissemblables. Hassan II intervenait, à travers Ahmed Réda Guédira puis Driss Basri, et jusque dans les moindres détails, dans la vie des « partis du roi ». Il lui arrivait même de déclarer élu après la publication des résultats un candidat battu !

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Par tempérament autant que par philosophie, on ne voit guère M6 se mêler de la vie du PAM. FAH doit mouiller sa chemise s’il veut conquérir les suffrages des Marocains. Aux élections partielles de septembre 2008, il a mordu la poussière. En juin 2009, il s’était mieux préparé et l’a somme toute loyalement remporté. Tout au long de ces péripéties – et c’est la rupture politique fondamentale –, le ministère de l’Intérieur s’est tenu à l’écart.

L’émergence du PAM a des chances de faire sortir la classe politique de sa torpeur. Désormais, on assiste à une bipolarisation de la vie publique : d’un côté, le PAM, fort de sa victoire du 12 juin ; et, de l’autre, le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), arrivé en tête lors du vote urbain. La confrontation entre les deux formations s’annonce vive. Mais tant que le combat sera à armes égales, c’est-à-dire que le Palais ne s’en mêlera pas, la démocratie y trouvera son compte.

Alors pourquoi diable ces réformes fortes, qui sont autant de ruptures avec le règne précédent, sont-elles traitées par la bande ou même passées sous silence ? Une seule explication semble s’imposer à la lecture de certains articles publiés récemment en France et en Espagne : c’est la faute à M6. Non seulement il a succédé à son père, mais il persiste, dix ans après, à ne pas être Juan Carlos d’Espagne. Et demeure opiniâtrement roi du Maroc, Amir al-Mouminine.

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