Un empire qui ne dit pas son nom

Publié le 29 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

Quand, en 1991, l’Union soviétique s’est effondrée, il est soudain devenu évident qu’elle n’avait jamais été un pays au vrai sens du terme, mais un empire multinational qui ne tenait que par la force. Pourrons-nous un jour en dire autant de la Chine ?

L’hypothèse a le don d’exaspérer les responsables politiques chinois, qui, en économie, se montrent pragmatiques et modernes, mais qui, dès qu’il est question d’intégrité territoriale, ressortent la rhétorique maoïste. Les partisans de l’indépendance de Taiwan sont des « séparatistes » ; le dalaï-lama, chef spirituel des Tibétains, un « monstre doté d’un visage d’homme et d’un cœur de bête » ; et les Ouïgours musulmans, des « marionnettes aux mains de forces étrangères malfaisantes ».

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Selon l’universitaire américain David Shambaugh, la principale leçon que les Chinois ont tirée de l’effondrement de l’URSS est qu’il faut « se garder de tout dogmatisme idéologique et éviter l’apparition d’une coupure entre les élites et la société, ainsi que la sclérose des structures du parti et la stagnation économique ». Cette liste omet un paramètre essentiel. L’URSS a fini par s’effondrer sous la pression des nombreuses nationalités qui la composaient. En 1991, ce sont ses propres Républiques qui ont fait sécession.

Certes, la situation n’est pas tout à fait comparable avec celle de la Chine. Les Russes ne représentaient que la moitié de la population de l’URSS, alors que les Hans (Chinois de souche) constituent plus de 92 % de celle de la Chine. Il n’empêche : le Tibet et le Xinjiang sont des cas particuliers. Les Tibétains « ethniques » représentent encore 90 % de la population du Tibet et les Ouïgours un peu moins de la moitié de celle du Xinjiang. Ni l’une ni l’autre de ces régions ne se sentent à l’aise, c’est un euphémisme, dans l’ensemble chinois.

 

Que pèsent les Ouïgours ?

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Les émeutes du mois de juillet dans le Xinjiang (184 morts) sont les plus sanglantes que la Chine a connues depuis le massacre de Tiananmen, en 1989. Des violences avaient également éclaté au Tibet juste avant les Jeux olympiques de l’été 2008.

Dans un pays qui compte plus de 1,3 milliard d’habitants, les 2,6 millions de Tibétains et les 8 millions d’Ouïgours du Xinjiang ne semblent pas peser lourd. Mais ensemble, ils occupent le tiers du territoire chinois et vivent là où se trouve une grande partie des réserves de pétrole et de gaz. De même que les Russes craignent l’influence chinoise en Sibérie, les Chinois redoutent que les musulmans du Xinjiang soient attirés par l’Asie centrale.

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Certes, les immigrants hans ont beaucoup souffert lors des émeutes du Xinjiang. Mélange d’émotivité et de brutalité, la réaction de Pékin n’en est pas moins typique d’un empire qui se sent menacé. Comme pour les Britanniques en Irlande ou les Portugais en Afrique, et d’autres encore, le refrain est toujours le même : les populations locales ne montrent aucune gratitude envers la puissance coloniale ou le pouvoir central, malgré tous les bienfaits que ces derniers sont convaincus de leur avoir apportés. Au milieu des années 1990, je me souviens d’avoir discuté avec un général indonésien sincèrement scandalisé que la population du Timor oriental, qui était maltraitée, ne sache aucun gré à Jakarta d’avoir financé toutes ces belles routes et ces jolies écoles…

La Chine est très mal préparée à comprendre le nationalisme ethnique à l’intérieur de ses frontières, car nombre de ses responsables politiques n’acceptent ni même ne conçoivent l’idée d’une « autodétermination ». Les conséquences désastreuses de la division du pays par le passé et les années de propagande officielle sur le thème de la « nécessaire réunification de la mère patrie » qui ont suivi expliquent que cette attitude est largement partagée. J’ai rencontré un dissident violemment opposé au joug du Parti communiste. Mais quand je lui ai suggéré que, peut-être, Taiwan pourrait devenir indépendant si tel était le souhait de sa population, tout son libéralisme s’est évanoui d’un coup. « C’est impensable, m’assura-t-il, Taiwan est une partie inaliénable de la Chine. »

L’idée que le Tibet et le Xinjiang puissent aspirer à l’indépendance est pourtant loin d’être absurde. La Chine affirme que ces deux régions font partie intégrante de la mère patrie depuis des siècles. Pourtant, l’une et l’autre ont connu des périodes d’indépendance au XXe siècle. L’éphémère République du Turkestan oriental a disparu lorsque l’Armée populaire de libération est entrée dans le Xinjiang, en 1949 ; le Tibet a été indépendant de facto entre 1912 et 1949.

En l’état actuel des choses, une dislocation de la Chine est très peu probable. À long terme, le flot ininterrompu de l’immigration han au Tibet et au Xinjiang devrait affaiblir les tendances séparatistes. Le dalaï-lama ne réclame pas l’indépendance. Certains Ouïgours sont peut-être plus radicaux, mais ils manquent de chefs et du soutien international dont bénéficient les Tibétains.

 

Désemparés et défaits

Les années Gorbatchev et les pertes subies par l’Empire soviétique en Europe de l’Est ont plongé l’URSS dans une tourmente politique qui n’a pas d’équivalent dans la Chine d’aujourd’hui. L’État chinois réussit bien mieux sur le plan économique, il est beaucoup plus sûr de lui et déterminé à verser le sang pour maintenir l’unité nationale.

La répression des séparatismes peut s’avérer efficace pendant un certain temps, mais elle risque d’alimenter les griefs des mouvements indépendantistes au fil des générations. Pour le moment, les activistes tibétains ou ouïgours semblent désemparés et défaits. Mais, durant l’ère soviétique, les exilés baltes et ukrainiens paraissaient eux aussi farfelus et inoffensifs. Ils étaient le symbole des causes perdues. Jusqu’au jour où ils ont gagné.

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