De profundis pour la Chine éternelle
À Shanghai, les enfants de Mao ne rêvent plus que de pizza-Coca et de musique techno. Moteur de la croissance économique, la plus grande ville du pays – 18 millions d’habitants – n’aura bientôt plus rien à envier à Hong Kong ou à Manhattan.
« Pour contempler mille ans d’Histoire, il faut aller à Pékin. Mais pour comprendre la Chine d’aujourd’hui, c’est Shanghai qu’il faut voir », affirment les jeunes Chinois. De fait, la plus grande ville du pays (18 millions d’habitants) a tourné le dos à son passé. Hormis une ancienne concession française devenue, après restauration, un quartier branché et quelques maisons basses de la vieille ville, il ne reste à peu près rien de la métropole mystérieuse qui, dans la première moitié du siècle dernier, enflammait les imaginations occidentales avec ses cercles de jeux et ses fumeries d’opium.
C’est Jiang Zemin, à l’époque où il était maire de la ville avant de devenir président, qui, à la fin des années 1980, donna le coup d’envoi des bouleversements. Les dirigeants du Parti communiste, qui, dans la foulée, se prononcèrent pour « l’économie socialiste de marché », favoriseront sans complexe l’appétit des promoteurs immobiliers et l’avancée inexorable du béton. Shanghai est aujourd’hui le moteur du capitalisme chinois. Depuis quinze ans, elle affiche une croissance à deux chiffres et un PIB de 110 milliards de dollars. Au passage, les autorités ne sont pas mécontentes de couper l’herbe sous le pied à Hong Kong, l’ancienne colonie britannique, qui, bien que revenue dans le giron de la République populaire, continue de cultiver une certaine idée de la liberté.
Construite sur le modèle de sa rivale, elle-même très inspirée des grandes métropoles américaines, Shanghai succombe à la folie des grandeurs. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre à l’hôtel Hyatt, au 88e étage de la tour Jin Mao. En contrebas du Shanghai World Financial Center, la troisième plus haute tour du monde (492 m), qui a la forme d’un décapsuleur, et de l’Oriental Pearl TV Tower, aux allures de fusée, s’étend à perte de vue le nouveau quartier de Pudong, avec ses trois mille tours et gratte-ciel – plus deux mille autres en construction –, ses grandes banques, ses rues commerçantes et ses hôtels de luxe. On y croise des hommes d’affaires venus du monde entier. Et l’on y entend toutes les langues : anglais, français, allemand, russe, espagnol et même… chinois.
Pour faire fonctionner les usines, il faut du pétrole ? Qu’à cela ne tienne ! Au nord de la ville, les autorités ont construit le plus grand site industriel pétrochimique d’Asie, qui accueille les leaders de l’agrochimie mondiale. La ville est aussi la principale porte de sortie des produits fabriqués dans cette « plus grande usine du monde » qu’est devenue la Chine. Le trafic annuel de son port, qui a supplanté Rotterdam en 2003 et Singapour deux ans plus tard, avoisine 500 millions de tonnes. Pour faire face à l’essor des activités, les autorités ont construit dans les îles Yangshan, au large, un nouveau port en eau profonde relié au continent par un pont de 32,5 km de long.
Chez les tailleurs du marché couvert Nan Wai Tan, vous pouvez choisir le modèle et le tissu de votre choix, tandis qu’une employée prend vos mesures. Moins de vingt-quatre heures plus tard, votre costume sera prêt. Son prix ? Un peu plus de 40 euros. Une aubaine pour les touristes, mais une fortune pour le Shanghaien moyen. Seules en effet les grandes entreprises versent des salaires supérieurs à 2 000 yuans (environ 200 euros).
Les enfants de Mao délaissent de plus en plus le taï chi chuan, la « gymnastique » traditionnelle, qui est en réalité un sport de combat, au profit de la musique techno, des repas pizza-Coca, de la mode unisexe et de la consultation compulsive d’Internet. Et ils jouent des coudes pour décrocher un job dans une société occidentale, ce sésame donnant accès à la société de consommation. Mais les places sont chères ! Sous peine de rester en marge, mieux vaut disposer d’un solide bagage acquis dans l’une des vingt universités et grandes écoles de la ville.
Comme à Pékin, Guangzhou ou Shenzhen, la démographie explose. Shanghai est la plus grande ville chinoise et la plus densément peuplée : 2 588 habitants au km2. Ses industries attirent des nuées de ruraux fascinés, tels des insectes, par les « lumières de la ville ». Ce qui pose de délicats problèmes d’environnement et de gestion des espaces.
La crise économique a au moins eu pour conséquence bénéfique de ralentir cet exode rural. Les exportations ont baissé de 26,4 % en mai. Disposant de réserves de devises colossales (2 200 milliards de dollars), les autorités s’efforcent de limiter les dégâts en réduisant les taxes sur les exportations, en investissant massivement dans les chantiers intérieurs et en dopant la consommation des ménages, toujours très faible (37 %). Au début du mois de juin, elles ont même appelé à privilégier les entreprises nationales lors de l’attribution des contrats gouvernementaux.
L’investissement étant, à Shanghai comme ailleurs, appelé à soutenir la croissance, un plan de relance de plus de 60 milliards d’euros a été lancé. Les investissements dans le secteur des infrastructures publiques en vue de l’Exposition universelle de 2010 sont également susceptibles d’amortir les effets du ralentissement. Mais Han Zheng, le maire de la ville, mise aussi sur le développement du tourisme, par le biais notamment du futur parc Disney. Enfin, les autorités municipales devront s’efforcer de trouver une solution aux difficultés rencontrées par leurs concitoyens pour se loger dans le centre-ville en raison de la flambée des prix de l’immobilier. Très attractive pour les Occidentaux, Shanghai est en effet hors de prix pour 90 % de la population, qui touche moins de 200 euros par mois.
« Une ville meilleure pour une vie meilleure ». C’est le thème de l’exposition universelle. Mais c’est aussi le vœu de tous les Shanghaiens.
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