Aziz : deux putschs et une élection

Vainqueur de la présidentielle contestée du 18 juillet, le général Mohamed Ould Abdelaziz s’est construit une image de « petit père du peuple » pendant les onze mois qu’il a passés à la tête de la junte. Il lui faut désormais honorer ses promesses, et vite.

Publié le 27 juillet 2009 Lecture : 7 minutes.

Il y a moins d’un an, les Mauritaniens ne connaissaient encore que le versant militaire de l’homme de 52 ans qui a remporté la présidentielle du 18 juillet. Pour eux, Mohamed Ould Abdelaziz était le général à la moustache sévère qui compte ses sourires et préfère les ordres aux paroles inutiles. Le vigile zélé aussi, qui, pendant près de vingt ans à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), a déjoué dans l’ombre les coups d’État contre Maaouiya Ould Taya, au pouvoir de 1984 à 2005. Et, suite logique, le putschiste gagné par l’envie de s’asseoir dans un fauteuil qu’il avait si longtemps protégé. C’est le coup d’État du 6 août 2008, quand, à l’aube, Mohamed Ould Abdelaziz renverse en quelques minutes le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

Ce jour-là, « Aziz » grimpe sur la scène, mais il est encore l’homme de caserne. Sa légitimité tient surtout à son béret vert et à ce grand front qu’il déride rarement. « Sauver la Mauritanie » : trop belle, la justification du coup d’État ne trompe personne. Il n’avance pas de grands desseins pour le pays, il est méprisé par une partie de la communauté internationale, presque sûre de pouvoir le faire plier. Quant à ses adversaires, emmenés par le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, ils espèrent encore le reconduire à la seule place qu’ils lui assignent : l’armée.

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Mais pendant les onze mois qui suivent, un autre Mohamed Ould Abdelaziz va s’imposer : à la tête d’une junte qu’il a constituée, le Haut Conseil d’État (HCE), et dont il a démissionné le 15 avril tout en restant aux commandes, le général rugueux – « brutal », « rigide », selon un diplomate des Nations unies – s’emploie à devenir l’homme des plus démunis. Avec instinct – on le dit peu porté sur la stratégie –, il se construit une image différente : celle d’un « petit père du peuple » préoccupé par les besoins les plus urgents de la population, d’un chasseur de prévaricateurs, d’un homme d’action, honnissant les querelles politiciennes qui ont fait perdre des décennies à la Mauritanie. Au final, l’entreprise paie. « Les pauvres, il les a trouvés mourants et il les a aidés en leur donnant tout ce qu’il faut », témoigne Ghalwa, chômeuse, en ajustant un voile rouge sombre. Mohamed Ould Abdelaziz cherche aussi à donner un contenu moral à son entreprise, baptisant du nom de Moktar Ould Daddah, le père de la nation cher aux Mauritaniens, un boulevard goudronné dont il lance lui-même les travaux.

Est-ce cette nouvelle facette d’Aziz enveloppée dans un uniforme militaire qui semble indispensable pour diriger la Mauritanie – pas moins de six officiers supérieurs sont devenus présidents depuis l’indépendance, toujours à la faveur d’un putsch – qui l’a conduit à remporter le scrutin du 18 juillet ?

Son élection, avec 52,58 % des voix, est entachée de nombreuses accusations de fraudes : double vote de certains militaires, électeurs qui n’ont pas trouvé leur nom sur les listes, scores peu crédibles dans les fiefs de certains adversaires, notamment ces 41,53 % à Boutilimit, ville natale de l’opposant Ahmed Ould Daddah. Ce cafouillage, examiné, à l’heure où nous mettions sous presse, par le Conseil constitutionnel à la suite d’un recours déposé le 21 juillet par trois des candidats défaits (voir encadré) a probablement évité l’épreuve d’un second tour au candidat du « changement constructif ».

Mais, dans l’opposition, certains le reconnaissent : « On a sous-estimé la vague Aziz, il est plus populaire qu’on ne le pensait », admet un partisan de Messaoud Ould Boulkheir. Quant aux chances de voir une procédure institutionnelle aboutir à la remise en cause de son élection, elles semblent infimes. « Le système est devenu une petite machine au service d’un homme », explique l’ancien chef de l’État Ely Ould Mohamed Vall, candidat lui aussi, qui a réalisé un très décevant score de 3,81 % des voix. 

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La confiance d’Ould Taya

Membre de la tribu des Ouled Besbah, Aziz n’appartient pas à l’une de ces grandes familles qui ont bâti des empires politico-économiques à Nouakchott. Ses parents étaient commerçants : à Louga, au Sénégal, où il a passé sa petite enfance, puis à Rosso, dans le sud de la Mauritanie, et dans la capitale, où il est allé au lycée. Des origines simples qui le rendent sympathique aux plus démunis tout en faisant redouter un grand ménage à beaucoup d’hommes d’affaires (Mohamed Ould Bouamatou, qui lui a apporté son soutien financier durant la campagne, fait partie des exceptions). D’autant que le « président » des pauvres a accusé ces « gabegistes » du dépeçage économique de l’État.

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Contrairement à certains de ceux qu’il fustige, Mohamed Ould Abdelaziz ne connaît pas une jeunesse mondaine. Ses études à l’Académie militaire de Meknès, où il entre à l’âge de 22 ans sans son baccalauréat, accentuent sa réserve. C’est justement pour ce trait de caractère que, quelques années plus tard, Maaouiya Ould Taya, arrivé au pouvoir en décembre 1984, le chargera de créer et de commander le Basep. Pendant vingt ans à la tête de cette garde prétorienne, Aziz, qui deviendra colonel, est loyal. Il prévient plusieurs putschs et, lors de la tentative sanglante de juin 2003, prend lui-même les armes. Une expérience qui lui fait mesurer secrètement la fragilité du pouvoir qu’il est censé défendre. En retour, Ould Taya accorde une confiance totale à son collaborateur. D’où son incrédulité quand il apprend, le 3 août 2005, que Mohamed Ould Abdelaziz est, avec son cousin germain Ely Ould Mohamed Vall, derrière le coup d’État qui vient de le renverser.

Avare de mots, le général manie l’art de la dissimulation. Pendant qu’« Ely » occupe la scène, comme l’artisan en chef de la transition ouverte avec le putsch de 2005, il reste en retrait mais tire les ficelles : c’est lui qui favorisera l’élection, en mars 2007, de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Lui aussi qui, devenu chef d’état-major particulier de ce dernier, incitera les parlementaires à quitter le camp présidentiel, créant la crise politique qui a finalement conduit à son coup d’État de 2008. 

Rigidité militaire

Arrivé au sommet, Mohamed Ould Abdelaziz ne s’est pas départi de sa rigidité toute militaire. Pourtant menacé de sanctions par la communauté internationale dès le lendemain du putsch, il a attendu le 4 juin dernier pour accepter le report au 18 juillet de la présidentielle prévue le 6 juin et la formation d’un gouvernement d’union nationale qui supervise l’élection. Certains diplomates ont dû ferrailler pour qu’il finisse par décider, en novembre dernier, de transférer « Sidi » du Palais des congrès – où il était enfermé depuis sa chute – vers son village natal. Aujourd’hui, les mêmes diplomates espèrent qu’Aziz saura se montrer plus souple, moins jaloux d’un pouvoir qu’il a exercé avec autorité, moins menaçant avec ses contradicteurs.

Mais élu sans le concours d’une alliance de partis, l’homme fort a les coudées franches pour composer un gouvernement comme il l’entend. Dans son entourage, où l’on se moque d’une éventuelle remise en cause de l’élection et des blocages qu’elle pourrait entraîner, on assure que la nouvelle équipe sera installée début août et qu’elle ne sera pas formée selon la traditionnelle logique tribale. Mohamed Ould Abdelaziz est l’homme de « l’antisystème », rappelle-t-on.

Ces promesses, le bienfaiteur des pauvres devra les honorer, et vite. Éprouvés par quatre ans d’instabilité politique, les Mauritaniens ne lui accorderont qu’un bref état de grâce. Pour éviter toute déception, il devra tenir le rythme d’avant l’élection, quand il inaugurait ici un hôpital « de la mère et de l’enfant », donnait là des terrains aux habitants d’un bidonville, faisait distribuer des cargaisons de poisson à Nouakchott et à l’intérieur du pays.

Mais rien n’est moins facile. « Les caisses sont presque vides et l’économie est à genoux », témoigne un opérateur du secteur maritime, qui voit les recettes douanières diminuer – moins 20 % ces trois derniers mois – sous l’effet de la baisse des exportations. Selon la même source, la dette du Trésor au secteur privé s’est lourdement accrue. Dans cette situation alarmante, le versement, en août, de 73 millions d’euros par la Commission européenne dans le cadre d’un accord de pêche sera un soulagement.

Mais le plus important pour un pays alimenté en devises par l’aide étrangère reste la reprise de la coopération avec le Vieux Continent. Suspendue après le coup d’État, elle devrait se rétablir progressivement, l’élection ayant été jugée acceptable par les observateurs internationaux.

À l’étranger, Aziz dispose de quelques appuis qui pourraient également se révéler précieux. Au Maroc, où le Palais ne cachait guère son souhait de le voir l’emporter. Au Qatar, où, en janvier, il a annoncé la rupture des relations avec Israël, ainsi qu’en Libye, où on lui sait gré de cette décision. Mais aussi à Téhéran, qui, pour la première fois depuis plus de vingt ans, a envoyé un ministre des Affaires étrangères à Nouakchott, en mars dernier. La visite de quelques proches de l’Élysée en Mauritanie – Patrick Balkany, ami intime de Nicolas Sarkozy, en juin ; Robert Bourgi, parrain de la Françafrique, à la veille de l’élection – peut être le signe que la France sera bienveillante. Tout comme l’Espagne, qui a été l’un des premiers partenaires majeurs du pays à saluer son élection. Mais le rétablissement de la confiance avec les États-Unis, qui n’ont jamais démordu de la condamnation du coup d’État, sera nettement plus difficile. À moins que l’homme de la « rupture », que dans son entourage on aime bien surnommer le « Chávez de la Mauritanie », décide de s’en passer.

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