Coup de pied dans la termitière
Le président Abdoulaye Wade annonce la refondation du Parti démocratique sénégalais. Une réforme grâce à laquelle celui qui l’a créé veut reprendre la main et faire taire les divisions qui minent sa formation, affaiblie par ses récents revers électoraux.
« Le Parti démocratique sénégalais (PDS) est mort. Vive le Parti démocratique sénégalais libéral (PDSL) ! » C’est par cette formule que le chef de l’État Abdoulaye Wade a annoncé la disparition de la formation fondée en 1974 qui l’a porté au pouvoir un soir de mars 2000, au bout de vingt-six ans de combat. Après avoir vécu pendant un quart de siècle les rigueurs de l’opposition, connu la victoire il y a neuf ans, avant la défaite cinglante aux élections locales du 22 mars dernier, le PDS réagit. Il était temps. La présidentielle est en 2012 et le parti est miné par des querelles intestines, dégarni au fil des dissidences et disgrâces de deux de ses ténors, Idrissa Seck et Macky Sall. Affaibli dans ses propres rangs, Abdoulaye Wade doit aussi faire face à une opposition requinquée par sa victoire aux municipales et à une opinion publique fatiguée du difficile quotidien, rendu plus insupportable par l’inflation et la crise économique internationale.
S’adressant le 17 juillet au Comité directeur, l’instance suprême de son mouvement, Wade a annoncé une véritable reprise en main de la formation libérale : « Je vais m’occuper moi-même de toutes les tâches de direction du PDSL. Il n’y aura ni numéro deux, ni dauphin, ni délégation de signature. J’ai décidé de mettre fin au favoritisme et autres formes d’arbitraire qui minent le parti. Tous les responsables seront désormais jugés en fonction de leur poids politique réel, de leur base. La gestion informelle est terminée. » Pour y parvenir, le chef de l’État utilisera un « logiciel conçu pour voir, en fonction des différents résultats des élections écoulées, qui représente quoi. »
Idrissa Seck en audience
Wade, qui sortait d’une audience avec Idrissa Seck, son ex-homme de confiance tombé en disgrâce, a ajouté : « Idrissa Seck est incontournable. Il nous a battus à deux reprises à Thiès. Je l’ai reçu longuement. Il est dans de bonnes dispositions pour revenir dans le parti. Nous poursuivons les discussions. »
Exclu du PDS en juillet 2005 à la suite de son incarcération pour malversations financières présumées, Seck est arrivé deuxième à l’élection présidentielle de février 2007. Il est aujourd’hui l’un des paramètres les plus complexes de l’équation PDS. Même sans logiciel, il est évident que Seck, qui, en mars, a remporté haut la main la mairie de Thiès, a su conserver son électorat. Mais il compte aussi, dans l’entourage du chef de l’État, des ennemis puissants et influents, qui n’ont pas l’intention de lui laisser les coudées franches. Au premier rang de ses concurrents, il y a Karim Wade, fils du président et ministre d’État, leader du mouvement politique Génération du concret, qui a ouvertement affiché son ambition d’hériter du fauteuil présidentiel. C’est d’ailleurs à son insu que s’est tenue l’audience du chef de l’État avec Seck. Seul Pape Samba Mboup, chef du cabinet présidentiel, était dans la confidence.
S’il n’était pas présent, Karim Wade était en revanche au cœur des discussions. « En démocratie, ce sont les suffrages qui assignent les places, a lancé Seck à Wade. Les dernières élections nous ont départagés, Karim et moi. » Avant d’ajouter : « Karim est mon jeune frère. Je me dois de le protéger en tant qu’aîné de la famille. Nous devons tirer les leçons et reconstituer le parti pour ne pas perdre le pouvoir. »
Ces arguments n’ont toutefois pas pu convaincre Wade de trancher entre « le fils biologique » et le « fils d’emprunt » (les expressions sont de ce dernier, aux pires moments du bras de fer qui l’a opposé à son mentor). À Seck, qui proposait de dissoudre dans le PDSL son propre parti, Rewmi, Wade a suggéré de garder sa formation et de poursuivre la discussion avec lui, dans l’attente d’une conjoncture politique favorable à son retour dans la « maison du père ». Au grand dam des jeunes de Rewmi, qui, alors que le chef de l’État recevait leur patron, publiaient une déclaration au vitriol, citant nommément Karim Wade comme étant « l’obstacle aux retrouvailles de la famille libérale ».
Querelles de chapelles
Le parti présidentiel n’en a visiblement pas fini avec ses querelles de chapelles et de personnes. D’autant qu’Idrissa Seck, qui a quitté Wade en lui promettant d’œuvrer pour faire revenir Macky Sall dans le giron présidentiel, n’a pas tardé à essuyer un échec. Sall, qui lui avait succédé à la primature avant de tomber à son tour en disgrâce, l’a sèchement et publiquement éconduit le 20 juillet : « Mon retour au PDS n’est plus envisageable. Pour moi, l’urgence, c’est de préparer l’Alliance pour la République (APR, la formation qu’il a créée après sa démission du PDS) à battre le futur candidat libéral en 2012. » Son porte-parole, Seydou Guèye, ajoutait, avec des termes moins protocolaires : « Avant d’appeler Macky Sall à rejoindre le président Abdoulaye Wade, Idrissa Seck n’a qu’à régler d’abord la question de son propre retour au PDS. […] Cet appel ne concerne pas notre parti. Nous n’avons pas le même programme ni le même projet qu’Idrissa Seck. Notre projet, c’est de nous installer au pouvoir en 2012. Pas autre chose. »
Premier ministre de Wade d’avril 2004 à juin 2007, puis président de l’Assemblée nationale jusqu’en novembre 2008, avant d’être brutalement délogé du perchoir par une réforme constitutionnelle, Macky Sall a mal vécu son éviction. Son tort : avoir convoqué Karim Wade pour qu’il s’explique sur l’utilisation des 432 milliards de F CFA dépensés dans la préparation du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui s’est tenu en 2008 à Dakar.
Le cas Pape Diop
Une autre grosse pointure du régime est sur la voie de la disgrâce. Baron du PDS, patron du parti dans la capitale, maire de Dakar de 2002 à 2009, président du Sénat, dauphin constitutionnel du chef de l’État, Pape Diop est, depuis sa défaite aux élections locales du 22 mars, dans le viseur des « faucons du Palais ». Ces derniers tentent de faire croire à Abdoulaye Wade que l’ex-édile de la capitale a sciemment saboté sa réélection pour ne pas avoir, comme il s’y était engagé, à céder son fauteuil à Karim Wade, inscrit sur sa liste, et lui permettre ainsi de faire ses preuves avant de briguer la magistrature suprême. Les détracteurs de Diop ne sont pas loin de leur but. Si ce dernier fut dans un passé récent l’un des grands confidents du chef de l’État, les deux hommes se voient de moins en moins. La dernière fois que Wade l’a reçu, le 16 juillet, pour s’entretenir de la construction du Monument de la renaissance africaine, un projet que Diop a piloté en tant que maire, l’échange a été bref et froid. Président du Sénat, Diop a une position de potentiel successeur fort enviée, ce qui fait de lui la cible de tous les ambitieux.
La consolidation de ce grand parti regroupant sous la même bannière « la famille libérale » (l’ensemble des militants historiques du PDS) et les ralliés de toutes sortes n’est pas encore près de se concrétiser. Un changement de nom risque de ne pas suffire à régler les problèmes de fond qui minent le parti et pourraient même le faire disparaître en même temps que son fondateur.
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