Les dames de la transition
Chef de l’État par intérim, présidente de la Cour constitutionnelle et directrice de cabinet à la présidence : trois femmes aux commandes.
Plusieurs semaines ont passé depuis son décès, mais certains croient encore apercevoir furtivement le visage malicieux d’Omar Bongo Ondimba à l’arrière de la limousine présidentielle. En quarante et un ans d’un règne interminable, l’image s’est incrustée dans les mémoires. On a encore du mal à admettre que, depuis le 10 juin, soit deux jours après la disparition d’OBO, le faste républicain soit désormais réservé à « Madame le Président par intérim », Rose Francine Rogombé. C’est pour sa Mercedes-Benz d’époque couleur vert olive que les sirènes de l’escorte présidentielle fendent la circulation tous les matins à 8 heures, conduisant l’ancienne présidente du Sénat de son domicile du « Carrefour Rio » au Palais du bord de mer.
Il y a encore quelques mois, on ne savait pas grand-chose de cette femme, âgée de 66 ans, discrète, aux cheveux courts et aux traits apaisés. Succincte, sa biographie traduit une carrière de magistrat sans histoire. Comme substitut du procureur, juge d’instruction, vice-présidente du tribunal de grande instance de Libreville, procureure de la République, conseillère à la chambre judiciaire de la Cour suprême puis à la chambre administrative de Libreville, elle a toujours été la première femme à accéder à ces fonctions. Elle gagne respect et considération dans les prétoires et bénéficie d’une réputation de magistrat « exigeant et minutieux ». Parrainée par Georges Rawiri, alors numéro deux du régime, elle finira par intégrer le gouvernement du Premier ministre Léon Mébiame, en 1975, au poste de secrétaire d’État à la Promotion de la femme et des Droits humains, jusqu’à son retrait de la vie politique en 1990.
Rogombé se tient alors à l’écart des sunlights et des « triomphes éphémères » de la vie publique. Elle aspirait même à une retraite tranquille aux côtés de son époux, ingénieur des eaux et forêts, pour se consacrer à la religion et profiter de ses petits-enfants. Renonçant au ndjembé, le rite d’initiation animiste des femmes en pays myéné, elle a passé une licence en théologie en 2007. Selon des proches, la native de Lambaréné (Moyen-Ogooué) a très peu de chose à voir avec les étoiles de la constellation Bongo, telles que la présidente de la Cour constitutionnelle Marie-Madeleine Mborantsuo, la vice-Première ministre Georgette Koko, la ministre de la Famille Angélique Ngoma, ou encore la ministre de la Communication Laure Olga Gondjout, des femmes de pouvoir dont l’ambition n’a jamais été démentie.
Caractère bien trempé
Est-ce cette capacité de renoncement, si rare dans les salons lambrissés de Libreville, qui a poussé le « Boss » à lui confier les clés du palais présidentiel via la présidence du Sénat ? D’autres sont convaincus qu’Omar Bongo a choisi cette femme de caractère pour son sang-froid, qualité dont elle a besoin pour arbitrer la confrontation entre les crocodiles du marigot politique. À moins que, comme le laisse entendre la rumeur, sa nomination ne tire son origine d’une promesse arrachée à OBO par Georges Rawiri, ancien président du Sénat et ami de quarante ans décédé en 2006 ? Quoi qu’il en soit, le lobbying de Jacqueline Rawiri, la veuve de Georges, a abouti mi-février à la nomination de Rose en remplacement du Mpongwé de Libreville, René Radembino Coniquet – qui assurait l’intérim –, conformément à la règle « géopolitique » régissant l’équilibre régional du Gabon.
En accédant au bureau mythique – et mystique – encore hanté par le fantôme du défunt président, lui est-il venu à l’idée de retourner les tiroirs à la recherche du fameux testament dont tout le microcosme politique parle et dans lequel l’auteur aurait couché le nom de son successeur ? Elle ne le dira jamais. Lui est-il arrivé d’espérer un signe qui lui indique la voie à suivre dans cette transition à haut risque ? C’est probable.
Au quotidien, la présidente par intérim s’appuie sur un « shadow cabinet » constitué en majorité de « rawiristes » et chapeauté par Jacqueline Rawiri, qui « veille au grain et surveille les arrières de la présidente », assure un sénateur. Dans son entourage, on retrouve notamment Jean-Robert Goulongana, patron de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (Cnam-GS) ; Alevina Chavillot, notable de Lambaréné ; Vincent Mavoungou Bouyou, député du Parti démocratique gabonais (PDG) et ancien directeur adjoint de cabinet d’Omar Bongo ; et Martin Mabala, nommé ministre des Eaux et Forêts. Pour sa sécurité, elle peut compter sur son propre neveu, le général de brigade Roger-Auguste Bibaye Itandas, nommé chef d’état-major particulier du président de la République en novembre 2008.
Dans l’exercice du pouvoir, elle consulte régulièrement la présidente de la Cour constitutionnelle. Elle travaillerait également en bonne intelligence avec Pascaline Bongo, qui reste directrice de cabinet du président. À l’endroit du personnel de la présidence, Rogombé a prévenu : « Vous ne me ferez pas signer n’importe quoi », pour signifier son intransigeance à propos du respect des procédures. « Nous avons affaire à une brave femme qui se bat pour conduire la transition jusqu’à son terme », explique Faustin Boukoubi, secrétaire général du PDG.
Est-ce cette image de femme à la fois rigoureuse et rassurante qui pousse les automobilistes à l’acclamer spontanément au passage de sa voiture ? Prochainement élu, le successeur de Madame le Président gagnerait à méditer sur la popularité de cette intérimaire.
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