Poids lourds au coude à coude
Désormais débarrassés de la tutelle d’Omar Bongo Ondimba, les gros calibres du Parti démocratique gabonais (PDG) s’autorisent toutes les ambitions. Dans la perspective de la présidentielle, ils se bousculent sur la ligne de départ avec leurs atouts et leurs faiblesses. D’abord Ali Bongo Ondimba, 50 ans, le candidat désigné par le parti au pouvoir, diplômé en droit et ministre de la Défense depuis 1999. Avec l’avantage d’être parti en avance sur les autres, il a balisé son chemin de fidèles placés à des postes au sein de l’appareil d’État, de l’armée et du parti. Plusieurs personnalités de premier plan, bon nombre de hauts cadres – dont le secrétaire général du PDG, Faustin Boukoubi, et les présidents des groupes parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale – sont acquis à sa cause. Par loyauté à l’égard de la famille du défunt, la plupart des proches de l’ancien président lui ont accordé leur caution.
Accrochée à ses privilèges, une partie de la classe politique espère ainsi assurer la pérennité du système dont elle entend continuer à profiter avec gourmandise. Les membres du clan ne sont pas en reste. Même les plus hostiles au fils de Patience Dabany ont su taire leurs querelles intestines. Rassemblés autour de l’héritier, ils sont fin prêts à livrer bataille pour la conservation du pouvoir et de ses largesses.
L’autre point fort de la candidature d’Ali réside en ses réseaux internationaux. Le candidat du PDG compte parmi ceux que Paris considère comme étant des « amis » de la France (voir pp. 25-26). Ses réseaux s’étendent jusqu’au Moyen-Orient. Ainsi, en sa qualité de président du Conseil supérieur des affaires islamiques du Gabon (CSAIG), il bénéficie du soutien de l’émirat du Koweït, dont le Premier ministre, Cheikh Nasser Al Mohammad Al Ahmad Sabah, s’est rendu à Libreville et à Franceville le 17 juillet. Côté finances, Ali peut puiser dans la cassette de la famille, et peut aussi compter sur le concours de ses relations d’affaires.
La machine du PDG est enrayée
Son premier handicap vient de son patronyme. Après quarante et un ans d’un pouvoir absolu, l’évocation de la candidature du fils d’Omar Bongo Ondimba provoque un rejet quasi pavlovien chez certains Gabonais. « Nous ne voulons pas d’une monarchie au Gabon », peut-on entendre à Libreville. Un slogan repris par la plupart des postulants à la présidence. Ali devra donc se débarrasser de cette étiquette dynastique. La tâche ne sera pas aisée, car il n’est pas le tribun charismatique et hâbleur que fut son père. « Ce n’est pas un séducteur », persifle un journaliste. Ses proches s’inquiètent également de la sincérité des nouveaux alliés qui frappent à sa porte, tant il est vrai que, dans son dos, certains de ses soutiens déclarés entretiennent des contacts suivis avec ses adversaires.
Sur le terrain, il va s’adresser aux foules en français et non pas en téké, langue du fief familial, qu’il ne parle pas. Selon des observateurs, Ali ne se montre pas non plus proche du Gabon des matitis (bidonvilles). En outre, la machine PDG pourrait connaître des ratés. Car le parti a été conçu pour assouvir l’ambition de son fondateur, Omar Bongo Ondimba. Les démissions des cadres seront probablement suivies par une fragmentation de l’électorat au gré des replis ethniques. S’agissant des réseaux, le roi du Maroc semble avoir pris ses distances avec son ami d’enfance. En juin dernier, Mohammed VI, amateur de la destination gabonaise en d’autres temps, a préféré dépêcher son frère cadet, le prince Moulay Rachid, aux obsèques d’Omar Bongo Ondimba.
Ali pourrait également être fragilisé par la candidature de son « frère » André Mba Obame (AMO), Fang du Woleu Ntem âgé de 52 ans. Liés par une amitié qui remonte à 1984 – lorsque cet ancien leader étudiant formé à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne est rentré au pays –, ils ont tous deux fondé le courant des Rénovateurs du PDG, manœuvré ensemble pour bouter les apparatchiks et plaidé en faveur de l’ouverture démocratique. Avec le soutien du défunt président, ils vont prôner le retour au multipartisme, encourager le dialogue avec les opposants en exil et appeler au rajeunissement des cadres du parti. Mba Obame a été l’un des témoins du mariage d’Ali Bongo avec Sylvia Valentin, en 2000.
Leurs destins semblaient indissociables jusqu’à la scabreuse « affaire Mbanié », en 2006. Prenant pour cible celui qu’on présentait comme la tête pensante des Rénovateurs, certains proches du président l’accusent, sans preuves, d’avoir « vendu » l’île de Mbanié, disputée par la Guinée équatoriale. Omar Bongo ordonne une enquête, qui ne donnera rien. L’affaire est classée mais l’épisode laisse des traces. Lynché par la presse, Mba Obame souffre en silence de n’avoir pas été soutenu par son « frère » Ali.
Mba Obame se réclame du « bongoïsme »
La rupture définitive intervient en juin dernier lorsque, à la veille des obsèques d’Omar Bongo Ondimba, le nom d’AMO ne figure pas dans le projet de gouvernement proposé à Rose Francine Rogombé et soutenu par Ali. Refus du chef de l’État intérimaire. Pour elle, le contexte ne se prêtait pas à un remaniement aussi profond, impliquant notamment le départ du Premier ministre, Jean Eyeghe Ndong. Le 19 juin, de guerre lasse, la présidente Rogombé concède une permutation avec Jean François Ndongou, nommé à l’Intérieur, tandis que Mba Obame, en charge de la Coordination et du Suivi de l’action gouvernementale, s’exile à Paris et se met en congé du PDG. Son éviction du dernier gouvernement confirme la brouille.
Le 17 juillet, l’ancienne éminence grise déclare sa candidature. Se réclamant du « bongoïsme », il veut incarner une continuité qui rassurerait les minorités mais aussi l’alternance qui « ancrerait la démocratie au Gabon ». Néanmoins, pour avoir été commis au « sale boulot » en tant que ministre de l’Intérieur, une image de « sécurocrate » lui colle à la peau. L’ancien porte-parole du gouvernement n’a plus que quelques semaines pour la rectifier.
Mais il n’est pas le seul de son ethnie à rêver du fauteuil présidentiel. À la suite de l’échec des négociations engagées avec Pierre Mamboundou, Casimir Oyé Mba, 67 ans, Fang de l’Estuaire, a déclaré sa candidature le 21 juillet. Écarté de la course à l’investiture par le Comité permanent du bureau politique du PDG chargé d’examiner les candidatures, il va affronter le candidat investi en indépendant. Pour lui, le redressement du pays passe par un retour à l’orthodoxie dans la gestion des ressources nationales. Gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) de 1978 à 1990, il est convaincu que le Gabon a besoin d’un président au « profil économique ». Rétrogradé de Premier ministre à ministre d’État en 1994, le prestige de « Cam la classe » – surnom donné en raison de son élégance – en a depuis pris un coup. Il a même songé à quitter le PDG. À l’heure de la revanche, il dispose de quelques atouts. Le premier est sa proximité avec Paulette Missambo, qui lui offre un vivier électoral considérable chez les Adoumas, un sous-groupe des Nzébis. Son autre atout est une arme. L’ex-ministre des Mines et du Pétrole a-t-il vraiment menacé de « balancer » sur les dossiers pétroliers, comme le prétendent ses adversaires ? Oyé Mba s’en défend, sans convaincre la famille Bongo Ondimba, sur ses gardes.
Autrefois proche d’Oyé Mba, Jean Eyeghe Ndong, 63 ans, est lui aussi sur la ligne de départ en candidat indépendant. Nommé Premier ministre en 2006, le neveu du premier président Léon Mba a démissionné avec fracas, le 17 juillet, et s’est déclaré candidat dans la foulée. Rien d’étonnant pour qui observe l’éruptif Fang de l’Estuaire depuis quelques mois. Alternant la placidité et la combativité, l’ancien ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances compte sur le vote fang – 40 % de la population, selon des estimations récentes. Il est proche du nouveau ministre de l’Intérieur, Jean François Ndongou, qui devrait lui apporter des électeurs de la province de la Ngounié, dans le sud du pays.
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