L’OPA sur le soleil du Sahara en question
Pour 400 milliards d’euros, des groupes allemands veulent transformer le soleil africain en électricité. Un projet dantesque aux nombreuses zones d’ombre.
Dans quarante ans, 15 % des besoins énergétiques de l’Europe seront assurés par le Sahara. Utopie ou projet ambitieux ? Douze entreprises se sont en tout cas engagées à créer, d’ici à la fin octobre, un bureau d’études – Desertec Industrial Initiative (DII) – chargé d’analyser dans les trois ans le lancement de centrales solaires thermiques interconnectées dans les déserts du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord. Un investissement de 400 milliards d’euros.
Ce n’est pas un hasard si, au rang des fondateurs de cette société, se trouvent neuf groupes allemands auprès du suisse ABB et de l’espagnol Abengoa Solar. Parmi eux : les deux géants énergétiques, E.ON et RWE ; deux multinationales industrielles, MAN et Siemens ; et les leaders mondiaux de la banque-assurance, la Deutsche Bank et Munich Ré.
Relier Tanger à Munich
L’Allemagne a au moins deux bonnes raisons de miser sur le soleil du Sahara : l’abandon du nucléaire par le pays en 2021 et la promotion de ses technologies dans les énergies renouvelables à l’international. La question n’est donc pas de déterminer la faisabilité technique du concept, même si la question du transport de l’énergie reste un sujet brûlant en l’absence d’études sur le coût de lignes haute tension entre Tanger et Munich. Par ailleurs, qui dit transport dit aussi autorité de régulation. « Comment réaliser un réseau entre l’Europe et l’Afrique du Nord quand nous attendons des autorisations pendant des années pour de plus petits projets ? » s’interroge Frank-Detlef Drake, membre du directoire de RWE. Quid aussi de la rentabilité d’un tel projet, même si les électriciens E.ON et RWE sont des débouchés tout trouvés pour l’électricité africaine ?
Le scepticisme n’est donc pas tant le fait d’ONG soucieuses de préserver les populations et les écosystèmes du désert que des acteurs eux-mêmes. « La construction de centrales solaires en Afrique du Nord est judicieuse. Le transport de l’électricité sur 3 500 km vers l’Allemagne l’est beaucoup moins. On a besoin de cette énergie sur place », objecte Stephan Kohler, directeur de l’agence allemande de l’énergie (Dena).
Mais Desertec est surtout un plébiscite allemand pour le sud de la Méditerranée. « Il eût été plus facile de transposer le concept en Chine, en Inde ou en Australie. Nous avons choisi la région Mena pour l’aspect gagnant-gagnant du projet, notamment comme vecteur d’éducation et d’industrialisation », note Michael Straub de la Desertec Foundation.
Associer les acteurs locaux
Par ailleurs, selon la Deutsche Bank, le coût du projet, équivalant à vingt fois celui du barrage des trois gorges en Chine, ne devrait pas peser sur le tour de table. Klaus Winker, son porte-parole, insiste sur la présence régionale : « Nous sommes représentés dans chacun des pays de la région, et le financement, réparti sur dix ans et sur plusieurs projets, pourra être assuré par des hedge funds, des banques internationales, la Banque européenne d’investissement (BEI), mais aussi par des banques régionales. »
Cependant, si Desertec ne veut pas rester un miroir aux alouettes, il faudra y associer les acteurs locaux. Or pour l’instant, ces derniers brillent par leur absence alors que leur contribution sera déterminante, notamment pour assurer la production de verre, d’acier et la construction des bâtiments. Avec une usine de verre plat et un projet de centrale solaire expérimentale de 3 MW, Cevital, le premier groupe privé algérien, est à ce jour le seul partenaire du sud de la Méditerranée à avoir convaincu les promoteurs de Desertec.
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