Plus de 70 milliards de dollars gelés en Afrique
Affaiblies par la crise, plongées dans l’incertitude, les multinationales reportent ou annulent leurs projets d’investissements sur le continent. Les mines, l’immobilier, le tourisme et l’industrie sont les secteurs les plus touchés.
Après les annonces frénétiques de projets d’investissements à coups de milliards de dollars ces dernières années, c’est le dur retour à la réalité pour les grands investisseurs internationaux en Afrique. Chute de la capitalisation boursière, dégringolade des cours du pétrole, effondrement des prix des matières premières, surendettement des entreprises, éclatement de la bulle immobilière, frilosité des banques… Depuis l’automne 2008, la crise est passée par là. Elle a emporté dans la tourmente un nombre important de projets que les multinationales avaient programmés sur le continent. Au total, ce sont plus de 70 milliards de dollars d’investissements qui pourraient partir en fumée (voir carte p. 82). Soit plus de 17 % des 393 milliards de dollars du stock global d’investissements directs étrangers (IDE) du continent.
Affaiblissement des mastodontes du Golfe
Dans un tel contexte, les opérations les plus emblématiques reviennent aux mastodontes de l’immobilier des pays du Golfe, qui ont suspendu quelque 335 milliards de dollars de projets pharaoniques dans le monde, selon le Middle East Economic Digest. Pis, fragilisés jusque dans leurs fondations, ils sont désormais contraints de s’unir pour rester debout, avec pour conséquence l’abandon sine die de leurs investissements en Afrique du Nord pour se recentrer au Moyen-Orient. C’est le cas d’Emaar, le promoteur immobilier le plus important du golfe Persique, frappé par la chute de l’immobilier à Dubaï et aux États-Unis, qui a accusé une perte de 481 millions de dollars au quatrième trimestre 2008 et une baisse de plus de 10 % de sa valeur en Bourse. Le promoteur vient de fermer sa filiale en Algérie, où il s’apprêtait pourtant à investir plus de 5 milliards de dollars dans des programmes immobiliers et de tourisme, notamment pour le réaménagement de la baie d’Alger. Mêmes difficultés pour ses homologues émiratis Damac Properties, Sama Dubai et autres Tatweer, avec lesquels Emaar souhaite fusionner. Ces derniers ont tous suspendu leurs investissements au Maghreb, dont l’énorme projet de la Porte de la Méditerranée, à Tunis, d’un montant global de 25 milliards de dollars à l’actif de Sama Dubai ! Concours de circonstances malheureux, le groupe avait ouvert un bureau de vente dans la capitale tunisienne en octobre 2008… « Depuis 2004, les investisseurs des pétromonarchies se sont tournés vers le Maghreb sous l’effet de la conjonction d’un excès de liquidités et d’un manque d’actifs dans leur voisinage immédiat. Ce temps semble révolu », estimait récemment Grégory Rung, manager senior chez Oliver Wyman, cabinet de conseil en stratégie basé à Paris. D’autant que les groupes arabes ont découvert « la bureaucratie tatillonne des autorités publiques maghrébines, notamment en Algérie, en inadéquation avec leurs exigences de rentabilité et de délais rapides d’obtention de foncier constructible », selon des observateurs locaux.
Pour les investisseurs étrangers, déjà fragilisés par la crise, les problèmes de politique locale dans certains pays africains ont en effet contribué à entraver davantage l’avancement de projets. En Afrique subsaharienne, où le secteur minier subit l’effondrement des cours des minerais, la plupart des géants mondiaux, qui se sont fortement endettés pour investir ces dernières années, en font l’amère expérience. L’anglo-australien Rio Tinto pourrait se voir exproprier arbitrairement de la moitié de sa concession du gisement de fer de Simandou, en Guinée-Conakry, au profit d’une société israélienne. Le contrat de concession est en renégociation à la demande des autorités du pays. Résultat : son projet d’exploitation d’un montant de 6,5 milliards de dollars est en stand-by. Les renégociations de contrats miniers à Madasgascar menacent également la réalisation des projets du canadien Sherritt d’un montant de 2,1 milliards de dollars (Nickel-cobalt) et de QMM, filiale de Rio Tinto (Ilmenite) pour 940 millions de dollars. En revanche, c’est bien « en raison de la récession économique mondiale », selon un porte-parole d’ArcelorMittal, que le géant de l’acier a gelé presque coup sur coup ses deux projets phares d’exploitation de fer au Sénégal et au Liberia pour un investissement total de 4,7 milliards de dollars ! C’est la désillusion pour le groupe, qui veut faire de l’Afrique son foyer d’approvisionnement principal pour assurer son autosuffisance en matières premières.
La filière bois durement touchée
D’autres, comme le canadien Geovic, au Cameroun, ou Guinea Aluminium, coentreprise entre BHP Billiton, Global Alumina Corp. et Dubai Aluminium, qui se débattent entre la baisse des tarifs des matières premières, la chute de la demande et des coûts d’exploitation élevés, accusent de fortes pertes financières. Ils doivent suspendre ou reporter leurs investissements, quand ils ne ferment pas des mines, comme le géant du diamant De Beers au Botswana.
La crise financière n’a pas non plus épargné la filière bois des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Abattu par l’effondrement de la demande mondiale, le secteur a dû procéder à des mises en chômage technique massives. « Plus de 6 000 emplois sont détruits », annonçait en avril le ministre ivoirien des Eaux et Forêts. Au Gabon, au Cameroun et au Congo, les principaux exploitants forestiers, comme Rougier, Precious Woods ou la Compagnie des bois du Gabon, ont été profondément affectés. Le français Plysorol a déposé le bilan (repris par un chinois), et Rougier a arrêté momentanément l’activité de deux usines au Congo et au Gabon. « Nous avons enregistré une baisse de 26 % des ventes au quatrième trimestre 2008 », soulignent ses dirigeants. Contexte déprimé alors que le groupe a investi 10 milliards de F CFA au cours des trois dernières années.
Pourtant, malgré la crise, des filières maintiennent le cap et ne rabotent pas leurs projets afin d’anticiper le redémarrage de l’activité économique mondiale. Ainsi, l’Office chérifien des phosphates (OCP) du Maroc, en dépit d’une chute brutale de 62 % des exportations du minerai au premier semestre 2009 par rapport à la même période en 2008, affiche une étonnante sérénité. « Nos exportations de phosphates en 2008 ont été exceptionnelles. Leur baisse en 2009 nous ramène à un niveau d’activité plus normal. Dans ce contexte, nous comptons même augmenter nos investissements cette année afin d’être prêts pour la reprise économique mondiale », conclut Mostafa Terrab, le PDG de l’OCP. À l’instar du groupe marocain, les industriels africains prendraient-ils enfin le relais des groupes étrangers en panne sèche d’investissements ?
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