La guerre des gazoducs
Pour réduire sa dépendance à l’égard de la Russie, l’Union européenne va construire un nouveau « tube » entre Bakou et Vienne, via la Turquie. Sentant le danger, Moscou s’empresse de lancer un projet concurrent, sous la mer Noire…
Président de la Commission de Bruxelles, José Manuel Barroso n’en a pas fait mystère : l’UE est absolument « ravie » de l’accord conclu sous sa houlette, le 13 juillet à Ankara, entre la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche, en vue de la construction d’un gazoduc qui, à partir de 2014, alimentera l’Europe en gaz venu d’Asie.
Chypre a finalement renoncé à y opposer son veto, un moment brandi pour gêner son vieil ennemi turc. Et ce dernier a abandonné son exigence de conserver pour lui 15 % du gaz transitant par son territoire, en échange de recettes fiscales d’environ 400 millions d’euros par an. La Turquie cherche aussi à réduire sa dépendance à l’égard de la Russie, à laquelle elle achète 60 % de son gaz. Une manière de se sentir plus proche de l’Europe, à laquelle elle rêve d’adhérer. Car l’avancée significative de ce projet baptisé Nabucco – il est à l’étude depuis 2002 – laisse espérer que l’UE, elle aussi, dépendra un jour un peu moins de la Russie. En fait, rien n’est moins sûr.
La mainmise progressive du gouvernement russe sur ses hydrocarbures, puis la politique énergétique agressive de Vladimir Poutine, contre l’Ukraine notamment, avaient incité l’UE à tenter de desserrer l’étreinte de la Russie, qui possède les plus importantes réserves gazières du monde. L’Algérie n’y suffisant pas et les champs norvégiens étant appelés à produire de moins en moins, Bruxelles s’est tourné vers l’Asie centrale, plus ou moins sortie de l’orbite soviétique, et a cherché à faire passer son gaz hors de portée de Moscou : ce fut Nabucco.
35 milliards de m3 par an
L’idée était bonne, mais elle s’est heurtée à une série de difficultés qui augurent mal de son avenir. D’abord, les Russes ont vite compris que le projet était dirigé contre eux. Ils avaient déjà, en commun avec les Allemands, un projet dénommé North Stream visant à acheminer leur gaz sous la mer Baltique, en contournant la Pologne et la Biélorussie. De la même manière, ils ont proposé aux Italiens, qui l’ont accepté, un gazoduc du nom de South Stream, censé entrer en service vers 2015. L’ouvrage doit passer sous la mer Noire, avant de gagner la Bulgarie et la Serbie. Moscou ambitionne d’écouler de la sorte quelque 35 milliards de m3 par an. Soit autant que Nabucco.
Pis, les Russes ont, par l’intermédiaire du géant Gazprom, conclu des accords avec les républiques d’Asie centrale comme avec l’Algérie. Objectif : conserver, d’une manière ou d’une autre, le contrôle de leur production et demeurer incontournables pour l’UE.
Sur le papier, Nabucco reste une arme stratégique efficace. Les pétroliers Statoil Hydro et BP, qui exploitent le gisement de Shah Deniz, en Azerbaïdjan, ont garanti un minimum de 8 milliards de m3 en 2014. L’administration Obama pourrait, de son côté, ne pas empêcher le gaz iranien de rejoindre le « tube » turco-européen. Ce qui suppose l’abrogation de la loi D’Amato, qui interdit les investissements en Iran d’un montant supérieur à 20 millions de dollars. Les champs irakiens ne demandent qu’à alimenter Nabucco. Le Turkménistan, en froid avec Moscou depuis l’incendie de leur gazoduc commun, aussi.
Pourtant, à y regarder de plus près, il n’est pas assuré que cet oléoduc puisse fonctionner à plein régime. Pour ne se fâcher avec personne et faire monter les enchères, l’Azerbaïdjan a simultanément promis aux Russes d’utiliser South Stream. Avant de rejoindre Nabucco, le gaz turkmène devrait par ailleurs emprunter un gazoduc sous la mer Caspienne dont le financement reste à trouver. Et puis les autorités de ce pays sont fort versatiles… Enfin, l’Irak kurde et l’Iran des ayatollahs demeurent des pays instables en termes de sécurité, ce qui ne garantit pas un approvisionnement important et régulier.
Sérieux handicaps
Avec de telles incertitudes politico-commerciales, il ne sera pas évident de convaincre les investisseurs d’apporter les 8 milliards d’euros nécessaires à la construction des 3 300 km de tubes entre Bakou (Azerbaïdjan) et Vienne (Autriche). D’autant que l’UE n’est pas certaine d’avoir, en 2020, besoin des 120 milliards de m3 que ses experts annonçaient comme indispensables. Le ralentissement provoqué par la crise économique mondiale et la recherche d’économies d’énergie pour cause de lutte contre le réchauffement climatique pourrait, à cet horizon, provoquer une réduction de sa consommation comprise entre 10 % et 20 %.
Nabucco continue donc, mais plombé par de sérieux handicaps. Il est, par exemple, évident que l’Allemagne et l’Italie ont choisi de faire cavaliers seuls dans leurs relations énergétiques avec la Russie. Mais le symbole le plus fort de la désunion européenne, c’est la nomination de l’Allemand Gerhard Schröder, ancien chancelier social-démocrate et grand ami de Vladimir Poutine, à la tête du conseil de surveillance de North Stream. Et celle de son compatriote Joschka Fisher, ancien ministre vert des Affaires étrangères et partisan de l’adhésion de la Turquie à l’UE, comme conseiller de Nabucco. Issus du même gouvernement, les deux hommes servent des intérêts antagonistes. À l’évidence, la Russie a les moyens de conserver la main dans cette partie de poker énergétique qui devrait se prolonger pendant une bonne partie du XXIe siècle.
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