Mokhtar Samba : « Je veux tout comprendre des rythmes »

Fils d’un Sénégalais et d’une Marocaine, il est l’un des batteurs les plus appréciés de ses confrères musiciens, Youssou N’Dour et Salif Keita entre autres.

Publié le 21 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Avec un nom pareil, pouvait-il consacrer sa vie à autre chose qu’au rythme ? Mokhtar Samba est l’un des batteurs les plus sollicités par ses confrères. Mais son style n’a pourtant qu’un lointain rapport avec la musique populaire brésilienne. Son credo, c’est la musique tout court, dans ce qu’elle a d’universel. « Plus on se spécialise dans un genre, plus on est hermétique au monde », juge-t-il.

Cette philosophie explique sans doute que ce musicien « généreux, attentif aux autres, mais d’un caractère bien trempé », selon l’un de ses proches, soit aussi à l’aise dans le jazz, le rock, le funk et la soul que dans les rythmes africains. En 2001, il a d’ailleurs consacré à ces derniers une méthode d’apprentissage complète : African Rhythms and Independence for Drumset. 

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Sa frappe puissante alliée à une finesse de jeu peu commune ont fait de lui la référence de toute une génération de musiciens. À son actif, des dizaines d’albums et de collaborations prestigieuses, de Salif Keita à Youssou N’Dour et de Santana à Alpha Blondy, en passant par Michel Jonasz, Manu Dibango, Richard Bona ou Joe Zawinul. Pour son ami, le pianiste-arrangeur Jean-Philippe Rykiel : « Il sait tout jouer, ce qui est rare. Et ses compositions sont toujours inattendues. »

Cinq ans après Dounia, Samba enregistre actuellement son deuxième album en tant que leader. Mais il est toujours à la recherche de nouveaux sons. « Même mort, je continuerai d’explorer. Le chemin est encore long si je veux tout comprendre des rythmes. » Son intelligence du jeu et son ouverture d’esprit lui viennent-elles de ses origines cosmopolites ? Il n’est pas interdit de le penser.

Né en 1960 à Sidi Kacem, au Maroc, le petit Mokhtar grandit dans un milieu modeste. Son père, de nationalité sénégalaise, est salarié de la Société chérifienne de pétrole (SCP). Sa mère, marocaine, s’occupe de ses onze frères et sœurs. Ignorante en matière de musique, c’est pourtant elle qui, sans le savoir, va initier son fils en l’emmenant régulièrement à des mariages et des baptêmes.

« J’étais fasciné par ces femmes en kaftan, si heureuses de danser », se souvient-il. Ses premières vibrations, il les ressent et les développe auprès des musiciens présents lors de ces festivités. Il s’essaie à divers instruments traditionnels arabes comme le bendir, la darbouka ou le karkabou.

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En 1963, la famille s’installe à Casablanca. Culturellement, la ville est en ébullition. La radio diffuse les tubes anglo-saxons du moment, des Rolling Stones, de Stevie Wonder, de Tina Turner, d’Aretha Franklin… « Un de mes frères était en permanence suspendu à son transistor. Il avait bricolé une batterie avec des boîtes de biscuits et des capsules. J’avais 8 ans, c’était fascinant. »

Soucieux de la réussite professionnelle de sa progéniture, le pater familias décide d’émigrer en France, où ses enfants entreprendront plus tard des études supérieures. Nous sommes en 1972 et tout ce petit monde s’installe à Champigny-sur-Marne, dans la banlieue est de Paris.

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Mokhtar entre au collège, mais, déjà, n’a plus aucun doute quant à son avenir : il veut devenir batteur. « Le déclic est venu du disque Spectrum, de l’Américain Billy Cobham. Un vrai choc ! » Quand il apprend la nouvelle, son père se montre beaucoup moins enthousiaste. « Il m’a fait répéter, puis m’a collé une gifle. C’était affectueux : il trouvait ce métier instable. »

Le vilain petit canard réussit quand même à convaincre ses parents de l’inscrire au conservatoire de la ville de Fontenay-sous-Bois pour y apprendre « le langage des marabouts blancs ». Autrement dit, le solfège. Il n’y restera que deux ans. En dépit de l’attachement de son professeur, Guy Lefebvre, et d’un diplôme de lecture, la percussion classique l’ennuie.

Entre 16 ans et 24 ans, il travaille la batterie avec acharnement. Il n’a pas d’instrument à la maison, faute de moyens financiers, mais un ami lui prête le sien. Dans la France des années 1970, les occasions de jouer sont nombreuses. Ses premières expériences scéniques ? Les bals populaires, les « baloches », comme l’on disait alors, l’une des écoles les plus formatrices. « Tous les styles y passaient. On jouait pour donner du plaisir aux gens. Il n’y avait pas de place pour l’ego. »

Dans des patelins paumés de Normandie, il enchaîne les concerts avec des musiciens davantage portés sur le cidre que sur l’harmonie. Qu’importe, d’autres engagements l’attendent. Il s’ouvre au jazz, joue avec les chanteuses Lavelle et Viviane Reed, et intègre Hamsa, le big band du saxophoniste Richard Raux. La période est propice aux échanges, aux rencontres. Le batteur ne connaît pas la galère. 

C’est à Paris, où il s’installe au début des années 1980, que l’organiste Eddy Louiss, vieux complice du chanteur Claude Nougaro, le repère et l’embauche. Il restera quatre ans au sein de Multicolor Feeling, sa formation, avant de se lier d’amitié avec la fine fleur du jazz métissé, en particulier le pianiste martiniquais Mario Canonge et le guitariste d’origine vietnamienne Nguyên Lê. Avec eux, il crée Ultramarine, qui, au côté du groupe Sixun, apparu quelques mois plus tôt, va vite devenir le nec plus ultra du jazz-rock français. Le succès est immédiat.

Aux côtés de l’Ivoirien Paco Séry et du Malgache Tony Rabeson, Mokhtar Samba s’impose peu à peu comme le maître de la polyrythmie (combinaison de plusieurs rythmes). Son style est neuf, à la fois complexe et dépouillé, droit et syncopé. Tout le monde se l’arrache, les contrats affluent.

En 1986, il est appelé à remplacer au pied levé le batteur de Jaco Pastorius, l’ancien bassiste du groupe Weather Report, en tournée en France. « En arrivant dans la salle, je tremblais tellement que mes cymbales rangées dans mon sac marquaient le tempo. Ce fut la plus émouvante expérience de ma vie. »

En 1987, Antoine Hervé le recrute au sein de l’Orchestre national de jazz (ONJ) et Salif Keita le sollicite. Près de dix ans durant, avec le bassiste N’Doumbé Djengué, il apporte à la star malienne son intense puissance de feu et figure sur ses plus beaux albums. Autre rencontre mémorable : celle du guitariste américain Carlos Santana, que lui a présenté un ami, le percussionniste sénégalais Idrissa Diop. « Il est venu me chercher en personne à l’aéroport de San Francisco, c’était inimaginable. »

Tout en tournant avec la chanteuse algérienne Souad Massi, Samba, qui rêve de jouer avec Stevie Wonder, se produit actuellement avec sa propre formation, le Mokhtar Samba Group. Apparemment, le gène des percussions est solidement enraciné dans la famille, puisque Reda, son fils, a lui aussi fait de la musique son métier. Et donne le rythme avec brio.

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