Afghanistan : droit dans le mur

La situation politique et militaire étant ce qu’elle est, on voit mal comment les Occidentaux pourraient atteindre leurs objectifs : battre les talibans et construire un État solide et démocratique. À moins de changer de stratégie.

Publié le 21 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Pour n’importe quel observateur lucide, la politique des Occidentaux est en train d’échouer en Afghanistan. Dirigés par le mollah Omar, les talibans ont rejeté toute offre de négociation. Ils ne rêvent que de chasser les troupes étrangères du pays avant de crier victoire. Soutenu et armé par les Occidentaux contre les Soviétiques dans les années 1980, le djihadisme afghan – un mélange mortel d’islamisme et de xénophobie tribale – s’est désormais retourné contre eux.

Dans ces circonstances, les objectifs poursuivis par les Occidentaux – battre les talibans et construire un État solide et démocratique – paraissent incroyablement irréalistes. Les pertes britanniques et américaines sont en train de s’envoler ; l’activité économique dans un pays ravagé par la guerre est au point mort ; quant au gouvernement corrompu et incompétent du président Hamid Karzaï, son autorité dépasse à peine la région de Kaboul.

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L’importante nouveauté est que l’opinion publique occidentale, en particulier au Royaume-Uni et en Allemagne, affiche désormais son hostilité à la guerre. Le temps d’un changement radical de stratégie est-il venu ? 

Appel au cessez-le-feu

Porté au pouvoir grâce au soutien des Occidentaux il y a plus de sept ans, Karzaï espère remporter un troisième mandat lors de l’élection présidentielle du 20 août. La concurrence est rude. Parmi ses quarante rivaux se trouvent un ancien ministre des Affaires étrangères, Abdallah Abdallah, et un ancien ministre des Finances, Ashraf Ghani. Pour en finir avec la guerre, ce dernier a notamment appelé à un cessez-le-feu de trois ans avec les talibans.

Ayant perdu beaucoup de ses soutiens occidentaux, Karzaï a promis que, s’il était réélu, lui aussi tenterait de négocier avec les talibans. Mais il n’est pas du tout sûr que ces derniers, qui ont le vent en poupe, répondent favorablement à une quelconque ouverture de ce genre.

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Karzaï a récemment proposé de nommer le général Abdul Rashid Dostum, ancien ministre de la Défense controversé, au poste de chef d’état-major. Ce qui ne va sûrement pas rassurer les talibans sur ses bonnes intentions. Dostum, un ancien seigneur de guerre qui émargeait à la CIA, est soupçonné d’être responsable du massacre de centaines – voire de milliers – de prisonniers talibans durant l’invasion de 2001.

L’ex-président George W. Bush a commis des erreurs fondamentales que les Occidentaux, les Irakiens et les Afghans ont chèrement payées. Après les attentats du 11 septembre 2001, Bush a décidé d’envahir l’Afghanistan pour renverser le gouvernement taliban. Puis, en 2003, sur la base d’arguments mensongers accusant Saddam Hussein d’entretenir des liens avec Al-Qaïda et de développer des armes de destruction massive, il a choisi de déplacer l’effort de guerre américain en Irak. Mais ni les Afghans ni les Irakiens ne sont responsables des attaques terroristes du 11 septembre.

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Ce qui aurait dû rester une opération ciblée de contre-terrorisme – avec le concours des Forces spéciales, des services secrets et de la police – dans le but exclusif de mettre Al-Qaïda hors d’état de nuire s’est transformé en deux guerres majeures, avec deux longues occupations, qui ont non seulement dévasté l’Irak et l’Afghanistan, mais aussi déstabilisé le Pakistan. Et, pendant ce temps, Oussama Ben Laden et ses plus proches lieutenants courent toujours.

Le président Obama s’est opposé à la guerre en Irak et s’est clairement prononcé pour le retrait des troupes américaines. Mais, pour ce qui est de l’Afghanistan, il semble s’accommoder de l’erreur originelle de Bush – avec, à la clé, des conséquences dramatiques pour le Pakistan.

Il a envoyé de nouvelles troupes sur le terrain et a lancé, avec l’aide des Britanniques, une offensive majeure contre les citadelles talibanes du sud et de l’est du pays. Dans le même temps, Islamabad a été encouragé à attaquer les tribus de la province du Nord-Ouest, causant l’exode massif de plus de deux millions de réfugiés terrorisés.

Est-ce le meilleur moyen de vaincre Al-Qaïda ? Cette stratégie n’est-elle pas totalement contre-productive ?

De fait, au lieu de séparer Al-Qaïda des talibans – et des tribus pachtounes situées de part et d’autre de la frontière avec l’Afghanistan, où les talibans recrutent la plupart de leurs combattants –, la politique des Occidentaux a conduit à unifier ces différents groupes en un ennemi commun.

Le dilemme est particulièrement aigu pour les soldats britanniques éparpillés sur le terrain, mais aussi pour les finances du Royaume-Uni et pour Gordon Brown, son très affaibli Premier ministre. L’armée britannique compte 187 000 hommes et femmes et est dotée d’un budget de 38 milliards de livres sterling (44 milliards d’euros), dont 9 milliards consacrés aux équipements et à l’armement.

D’un côté, certains réclament des coupes claires dans le budget de l’armée ainsi que le sacrifice d’équipements importants. De l’autre, des critiques s’élèvent pour dénoncer le sous-équipement et le manque d’effectifs des troupes engagées en Afghanistan au regard de la mission qu’on leur a confiée.

Deuxième en nombre après celles des États-Unis, la force britannique compte 9 000 hommes. Elle y a perdu 184 soldats, soit cinq fois le total de ses pertes humaines en Irak.

Les troupes américaines y ont perdu quant à elles 732 soldats, contre 4 322 en Irak. Pour quelle noble cause, demandent certains, envoie-t-on ces jeunes gens à la mort ?

L’opposition conservatrice menée par David Cameron – lequel semble bien placé pour gagner les élections générales en 2010 – a promis une nouvelle « révision de la défense stratégique », ce qui signifie inévitablement des reports et des coupes dans quelques programmes militaires clés, comme celui de deux gros-porteurs aériens estimés à 4 milliards de livres et qui, s’ils sont maintenus, ne devraient pas entrer en service avant 2018.

Autre report ou annulation en vue : le remplacement pour plusieurs milliards de livres des missiles américains Trident qui équipent les sous-marins nucléaires britanniques. 

Restrictions financières

Au nombre des équipements dont l’acquisition est d’ores et déjà reportée, le blindé d’infanterie Fres (Future Rapid Effect System), une nouvelle génération d’avions Nimrod de reconnaissance maritime et des frégates Type 45 pour la Royal Navy. Parmi ces dernières, une seule des six programmées à l’origine entrera en service en décembre 2009. Et l’avion de combat Joint Strike Fighter, développé par les Britanniques avec le constructeur américain Lockheed Martin, a lui aussi subi de sérieux retards.

En ces temps de restrictions financières douloureuses, alors que la récession devrait atteindre 3,5 % en 2009 au Royaume-Uni, les hommes politiques et les militaires britanniques sont soumis à de fortes pressions pour réduire l’effort de guerre en Afghanistan.

Pourtant, en dépit de ce besoin évident de faire des économies, peut-on arguer – comme Barack Obama et Gordon Brown ne cessent de le faire – que si les talibans ne sont pas défaits à la fois en Afghanistan et au Pakistan, le monde continuera de vivre sous la menace du terrorisme d’Al-Qaïda ?

Les armées occidentales peuvent-elles vraiment espérer mettre sur pied un État centralisé et bien gouverné en Afghanistan, un pays de montagnes presque infranchissables et de tribus farouchement indépendantes ? Plutôt que de mener des opérations militaires d’envergure, ne serait-il pas plus judicieux pour les États-Unis et leurs alliés de revenir à une stratégie de contre-terrorisme plus ciblée ?

Au lieu de rendre le monde plus sûr, les guerres en Afghanistan et au Pakistan menacent de créer encore plus d’ennemis pour les Occidentaux. 

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