Marocains sans frontières
Conduite dans six pays d’Europe, une étude révèle un remarquable ancrage des Marocains résidant à l’étranger. Leur regard sur le royaume chérifien reste pourtant positif.
Pour Hassan II, la nationalité ne se partageait pas et ne se conjuguait pas avec d’autres citoyennetés. L’identité marocaine ne saurait se dissoudre dans l’émigration et l’on ne peut être à la fois marocain et français, belge ou canadien.
Dix ans après la disparition du père de Mohammed VI, la réalité a balayé ces conceptions étriquées de l’appartenance nationale. Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) s’intègrent parfaitement dans leurs pays d’accueil respectifs sans renier pour autant leurs racines. À l’instar de Jamel Debbouze, ils sont 100 % marocains et 100 % français ou hollandais.
Les MRE, au nombre de 4 millions, représentent 12 % de la population du royaume. Ils sont 2,7 millions à franchir ports et aéroports à l’occasion des « facances » (vacances). Leurs voitures immatriculées en Europe déferlent sur les autoroutes entre Tanger, Casablanca et Agadir. Leurs transferts de fonds, deuxième poste de recettes après le tourisme, s’élevaient à 5 milliards d’euros en 2008. On prévoit, crise oblige, une baisse de 15 % cette année.
Plus que jamais, les MRE ont droit, pendant leur séjour au pays, à des attentions redoublées. Diligentée par Mohammed Ameur, le ministre de tutelle, l’opération Marhaba (« Bienvenue ») prévoit des haltes sur les autoroutes avec antennes médicales, douches, restauration rapide et mosquées de campagne. Des guichets uniques sont organisés pour faciliter les démarches administratives ainsi que des universités d’été à Rabat, Agadir et Oujda.
École et mosquée
Une étude commandée par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) qu’anime Driss El Yazami a été rendue publique à la mi-juillet. Réalisée par BVA dans six pays d’Europe (France, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Allemagne), elle est la première du genre et permet d’avoir des idées précises et nuancées sur l’évolution des MRE.
On constate d’abord un remarquable ancrage de ces MRE : 78 % d’entre eux sont soit naturalisés dans les pays d’accueil (50 %) soit en voie de l’être (28 %). 64 % en parlent la langue à la maison, qui deviennent 73 % chez la deuxième génération. D’ailleurs, une majorité écrasante des parents estiment important (95 %) voire très important (80 %) que leurs enfants parlent la langue locale. Et c’est le cas dans les foyers arabophones aussi bien que berbérophones. Les parents veillent à 69 % à ce que leur progéniture ait des activités extrascolaires, lesquelles sont plus séculières, organisées par la mairie ou l’école (50 %), que religieuses, dépendant de la mosquée (24 %). La participation à ces activités est la plus forte en France (74 %) et la plus faible en Espagne (59 %) et en Allemagne (52 %).
Économiquement, il y a autant de MRE accédant à la propriété d’un bien immobilier en Europe qu’au Maroc (37 %). S’agissant des affaires de la cité, les MRE sont intéressés à 55 % par l’actualité politique du pays de résidence. L’intérêt augmente sensiblement avec ceux de la deuxième génération (70 %), qui se distinguent sur ce point de leurs parents. Ils sont 40 % à être inscrits sur les listes électorales, la proportion atteignant 76 % dans les nouvelles générations.
Qu’en est-il des relations avec le Maroc ? Les MRE fréquentent de préférence leurs compatriotes (94 %), mais également les autochtones (87 %) ainsi que d’autres étrangers (72 %). C’est surtout en France que ce mélange est le plus important, sans doute du fait de la forte immigration algérienne et tunisienne.
Les mariages se font avant tout au sein de la communauté (88 %). Dans la deuxième génération, on est plus nombreux (16 %) à se marier avec des « étrangers ». D’une génération à l’autre, le maintien des liens familiaux avec le pays d’origine est très important (respectivement 80 % et 75 %). De même, la fréquence des voyages au « bled » : Sept MRE sur dix s’y rendent au moins une fois par an. C’est seulement en Allemagne qu’on note un certain décrochage. La visite au pays n’est pourtant pas de tout repos. Les difficultés mentionnées dans l’enquête concernent l’attente (28 %), les papiers (24 %), la corruption tant de la gendarmerie (21 %) que de la douane (17 %).
Les MRE maintiennent également des liens financiers avec le royaume. Six sur dix apportent un soutien direct et individuel à leur famille. 37 % déclarent posséder un bien immobilier et 24 % des terres au Maroc. Ceux qui envisagent de passer leurs vieux jours au pays restent la majorité (52 %, contre 30 % qui se projettent en Europe). Plus de 40 % des enfants des MRE envisagent de s’installer au Maroc de manière provisoire (23 %) et même définitive (23 %).
Sentiment de rejet
Autre nouveauté : le regard des MRE sur leur pays d’origine est positif. Ils se disent globalement satisfaits de l’attitude du Maroc à leur égard (66 %), des droits des femmes (58 %), de l’économie (58 %) et des droits de l’homme (54 %).
Enfin, on note un hiatus entre la perception du Maroc en Europe et celle des Marocains. Si l’image du royaume s’est nettement améliorée, ses ressortissants n’en bénéficient guère. Alors que 78 % des MRE pensent que le Maroc est bien vu dans leur pays d’accueil, ils ne sont que un sur deux à penser la même chose des Marocains. Ceux de la deuxième génération partagent ce sentiment de rejet avec un écart de perception encore plus marqué entre l’image du Maroc (84 %) et celle des MRE (51 %). Aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne, le sentiment de rejet est majoritaire (respectivement 64 %, 61 % et 53 %). En revanche, la situation semble apaisée en Allemagne et en France (respectivement 66 % et 64 % de bonne image).
Au-delà des aléas de l’intégration, une donnée paraît irréversible : le royaume chérifien est définitivement un pays d’émigration. Pour son plus grand profit. Que ses enfants aillent voir ailleurs, découvrent d’autres modes de vie et accumulent expériences et identités constitue le meilleur retour sur investissement. Conjuguée au développement du tourisme, cette émigration choisie a des chances de favoriser le cosmopolitisme, qui renforce finalement l’appartenance nationale et qui paraît, par les temps qui courent, un atout dans la conquête de la modernité. Un Hassan II, question d’époque, avait du mal à l’admettre. Mais tous les Marocains, d’instinct, y adhérent aujourd’hui.
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