Bouteflika, l’épreuve

Au moment où l’affaire des moines de Tibéhirine connaissait un nouveau rebondissement, mettant une fois encore à mal les relations avec la France, le président vivait un drame personnel : le décès de sa mère. La vraie femme de sa vie.

Publié le 21 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Comme tous les 4 juillet depuis son retour aux affaires, en 1999, le président Abdelaziz Bouteflika arrive très tôt au siège du ministère de la Défense nationale. En cette veille de 47e anniversaire de l’indépendance, il doit présider une cérémonie de promotion d’officiers supérieurs de l’armée et de la gendarmerie. Le chef de l’État a les traits tirés. Lorsque le protocole annonce la promotion de la colonelle Fatma-Zohra Ardjoun au grade de général, son visage s’éclaire néanmoins d’un sourire. Le moment est historique : c’est la première fois qu’une Algérienne atteint ce degré de la hiérarchie militaire.

Sitôt la cérémonie achevée, « Boutef » écoute un exposé du général de corps d’armée Gaïd Salah, chef d’état-major, sur la situation sécuritaire et la mise en place d’un nouveau dispositif pour contrer un redéploiement des salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Contre toute attente, le président s’éclipse dès la fin de l’intervention de Gaïd Salah, rompant ainsi avec la tradition qu’il a lui-même instaurée et qui veut qu’il adresse à cette occasion un message à la nation depuis Les Tagarins, nom du quartier qui abrite le ministère de la Défense, sur les hauteurs d’Alger.

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Le lendemain, 5 juillet, fête nationale, le président est au cimetière d’El-Alia, où il dépose une gerbe de fleurs au Carré des martyrs. Le regard est toujours aussi grave, mais semble justifié par la solennité de l’instant. Abdelaziz Bouteflika quitte furtivement l’endroit en lançant un « À ce soir » aux personnalités dont le protocole impose la présence durant ce type de cérémonie : Abdelkader Bensalah, président du Sénat ; Abdelaziz Ziari, président de l’Assemblée populaire nationale ; Ahmed Ouyahia, Premier ministre ; Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur ; et le général Gaïd Salah.

Le rendez-vous en question ? L’inauguration du Festival panafricain de la culture (voir J.A. n° 2531). La cérémonie est prévue pour 19 h 30, et, jusqu’à la dernière minute, c’est le Service de sécurité présidentielle (SSP) qui filtre les entrées. Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine, est là. Les membres du gouvernement et les représentants du corps diplomatique aussi. Mais point de Boutef. C’est Abdelaziz Belkhadem, ministre d’État, qui, au nom du président, déclare ouverte la manifestation.

Les spéculations sur l’absence du chef de l’État vont bon train. Jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, la radio publique annonce le décès de Mansouria Ghezlaoui, mère d’Abdelaziz Bouteflika. La défunte, née dans la banlieue de Tlemcen, en 1910, a rendu l’âme dans la nuit du 4 au 5 juillet, au moment où un feu d’artifice célébrait l’anniversaire de l’indépendance.

Le coup est rude pour le président. Celle qui lui donna le jour le 2 mars 1937 était la femme de sa vie. C’est elle qui le poussa à rejoindre, en 1956, les rangs de l’Armée de libération nationale ; elle qui transforma sa maison, à Oujda, au Maroc, en siège clandestin du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (Malg, ancêtre des services de renseignements algériens) à la fin des années 1950 ; elle qui s’occupa seule de l’éducation des quatre frères et de la sœur d’Abdelaziz quand ce dernier sillonnait les maquis algériens et la brousse de Gao, au Mali, où il avait la charge du front saharien.

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Réputé très proche de sa famille, Boutef vit un véritable drame. La disparition de sa mère intervient au moment où son frère et médecin personnel, Mustapha, 56 ans, se bat contre un mal qui le ronge depuis quelques mois. Mais il faut continuer à diriger le pays. Première décision : le deuil sera circonscrit à la sphère privée. Les obsèques se déroulent le 6 juillet dans le petit cimetière de Ben Aknoun, attenant au modeste appartement où vit l’ensemble de la famille Bouteflika. Les grandes tribus du pays profond et les confréries religieuses commençaient à dépêcher à Alger des émissaires pour présenter leurs condoléances à la famille. Des convois entiers sont arrêtés à mi-chemin. Explication avancée : « Le cimetière ne peut accueillir plus d’une centaine de personnes. » Un dispositif policier, discret mais ferme, empêche les tentatives d’intrusion lors des funérailles durant lesquelles le président est entouré de ses quatre frères, le convalescent Mustapha compris. Tradition oblige, Latifa, la sœur, est restée dans l’appartement. Les rares témoins évoquent un président affligé, portant le cercueil de la défunte en compagnie de ses frères Abdelghani, Nasser et Saïd. 

Aparté avec Sarkozy

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Bouteflika a pris une autre décision : le deuil qui frappe les siens ne doit pas entamer l’atmosphère de fête et de convivialité qui règne autour du festival panafricain. Boutef passera les jours suivants au domicile familial. À peine sa mère mise en terre que l’affaire des moines de Tibéhirine connaît le rebondissement que l’on sait (voir J.A. n° 2531). Pas question de commenter les « divagations » de l’ex-attaché de Défense à l’ambassade de France à Alger. En revanche, les propos du président Nicolas Sarkozy, selon lesquels « les relations entre les grands pays s’établissent sur la vérité et non sur les mensonges », méritent réponse. Ahmed Ouyahia représente le président algérien au sommet du G8 à L’Aquila, du 8 au 10 juillet. Le Premier ministre a un bref aparté avec Sarkozy, et, comme par magie, la campagne médiatique sur la « bavure de l’armée algérienne » cesse aussitôt en France. Mieux : l’ambassadeur de France à Alger se démarque des accusations du général François Buchwalter.

Cinq jours après les funérailles de sa mère, Boutef fait sa première sortie publique. Il reçoit, le 12 juillet, le chef de la diplomatie du Mexique, puis, dans la foulée, accueille sur le tarmac de l’aéroport d’Alger Raúl Castro, président du Conseil des ministres de Cuba, en visite d’État. Deux jours plus tard, le 14 juillet, Boutef se rend à Charm el-Cheikh, où se déroule le sommet des pays non alignés. L’épreuve fut rude, mais la gestion des affaires d’un État ne saurait souffrir une longue période de deuil.

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