Moussa Dadis Camara : « Je suis un incompris, et j’en souffre »
Sept mois après sa prise du pouvoir, le chef de la junte inquiète les Guinéens plus qu’il ne les rassure. Ses décisions autoritaires ont eu raison de sa popularité. Mais lui semble croire à sa mission… Interview.
On ne dort plus à Conakry. Au camp Alpha Yaya Diallo, où est établi l’homme fort du pays, le capitaine Moussa Dadis Camara, depuis le putsch du 23 décembre 2008, tout se passe à partir de 23 heures. Les ministres arrivent les uns après les autres, le pas alerte. Cordiaux malgré l’heure tardive, ils attendront sagement d’avoir accès à leur patron dont on raconte qu’il ne ferme pas l’œil de la nuit pour échapper aux maléfices. Dadis est un homme très sollicité. Intrigants et visiteurs en tout genre se bousculent au portillon et patientent des heures durant. Un face-à-face avec le président vaut bien une nuit blanche. Une interview aussi, d’ailleurs. Mais Dadis, aussi volubile soit-il, préfère savoir à qui il a affaire. Après trois heures d’échanges, c’est finalement vers 2 heures du matin, qu’il acceptera que le micro de Jeune Afrique soit ouvert. L’entretien se terminera vers 4 heures. Et il aura fallu attendre la troisième rencontre pour qu’il accepte enfin de se confier…
Le 23 décembre 2008, quelques heures après l’annonce du décès du président Lansana Conté, un capitaine quasi inconnu prend le pouvoir. Moussa Dadis Camara, acclamé par une foule en liesse, séduit même quelques leaders politiques qui voient en lui un homme capable de stabiliser le pays avant, bien sûr, la tenue d’élections libres et transparentes. Sept mois après, le jeune parachutiste fougueux inquiète plus qu’il ne rassure. Nul ne sait quand auront lieu les législatives et la présidentielle. Ses célébrissimes coups de gueule et son inconstance ont eu raison de sa popularité. Son omniprésence sur le petit écran n’y a rien fait. Au contraire.
En quelques mois, il a réussi à monopoliser les médias publics au détriment de l’opposition, qui n’a d’autres choix que de se rabattre sur la presse privée, à ses risques et périls. Car depuis que circulent des rumeurs d’attaque armée contre la Guinée (voir interview), il vaut mieux tenir sa langue. Les contrevenants s’exposent à la prison. De quoi ternir un peu plus l’image du sauveur auquel plus grand monde ne croit. Accusé de mégalomanie et de paranoïa par certains de ses compatriotes, le capitaine Moussa Dadis Camara, dont le discours est certes empreint de sincérité, ne convainc plus les Guinéens, qui attendent toujours de sortir de la misère. Si Dadis a déçu, c’est sans doute par sa faute.
Jeune Afrique : Le 11 juillet, vous avez déclaré que des troupes massées aux frontières avec le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Liberia étaient « prêtes à attaquer » la Guinée. Sur quoi vous fondez-vous pour dénoncer ces menaces ?
Moussa Dadis Camara : Je me suis basé sur des informations émanant du ministère de la Défense. Elles faisaient état du survol de notre territoire par un hélicoptère près de la frontière avec la Casamance et la Guinée-Bissau, et d’un rassemblement à Foyah, à la frontière libérienne. La présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, a confirmé ce regroupement, précisant qu’il s’agissait d’agriculteurs. À la suite de cela, la rencontre des pays membres de l’Union du fleuve Mano [MRU] prévue le 14 juillet à Conakry a été reportée car nos voisins ont décidé de vérifier ce qui se passe sur toutes les frontières.
Vous avez même menacé les pays limitrophes de représailles en cas d’attaque de ces groupes armés. Cela ne risque-t-il pas de déclencher une crise de grande ampleur ?
Pas du tout, car je sais que, dans le souci de préserver la paix, aucun de nos voisins ne permettra une incursion armée en Guinée. Il valait mieux quand même prendre les devants. Et si des hommes animés de mauvaises intentions se hasardent sur notre territoire, j’enverrai mon armée les bombarder.
Vous accusez les cartels de la drogue de menacer l’intégrité territoriale de votre pays. Pourquoi les narcotrafiquants s’en prendraient-ils à la Guinée ?
Ce sont eux qui ont contribué à déstabiliser la Guinée-Bissau. Et, comme ils ont été chassés de Guinée, ils pourraient être tentés de la déstabiliser pour revenir et faire avorter les procès que nous préparons.
Vous avez menacé de mettre en prison tous ceux qui vous contrediraient. N’est-ce pas une manière d’empêcher toute contestation ?
Absolument pas. J’ai seulement voulu éviter que les populations ne paniquent. Les médias ont commencé à évoquer cette affaire, qui est strictement militaire. Ils ont même insinué que c’était une astuce pour reporter les élections, ce qui est archifaux. Voilà pourquoi j’ai menacé toute personne qui commenterait cette affaire.
Depuis votre arrivée au pouvoir, vous avez été confronté à plusieurs crises. L’exercice du pouvoir s’est-il révélé plus compliqué que vous ne l’imaginiez ?
Les gens pensent toujours que l’exercice du pouvoir est une chose facile. Après sept mois, je réalise que c’est extrêmement difficile. J’ai trouvé un État totalement désorganisé. Sauvage. Depuis ma prise du pouvoir, je travaille sans arrêt. Je dors à peine cinq heures par nuit. Je dois restaurer l’autorité de l’État et trouver les moyens de débarrasser le pays de ses mauvaises habitudes. Pendant un demi-siècle, les Guinéens n’ont connu que deux systèmes : révolutionnaire, puis libéral. À la fin, ce libéralisme sauvage s’est caractérisé par un évident laisser-aller. Les conséquences sont là : crise des mœurs et absence d’infrastructures. J’ai trouvé une économie délabrée. Nos richesses ont été bradées et les Guinéens vivent aujourd’hui dans la pauvreté. Alors comment dans un laps de temps aussi court sortir la Guinée du gouffre ?
Vous vous êtes engagé à lutter contre la corruption et le trafic de drogue. Pourrez-vous relever ces défis sans vous éterniser au pouvoir ?
Je ne peux pas tout faire. Mais le plus important était d’avoir le courage patriotique de restaurer l’autorité de l’État et de lutter contre le fléau de la drogue. Les gros trafiquants ont pris la fuite. Quant à la corruption, l’impunité est révolue. Les anciens dirigeants ne pensaient qu’à se remplir les poches. Que le peuple m’ait accepté jusqu’à présent est important pour moi. Rien ne sert de rester cinquante ans au pouvoir. Ce qui importe, c’est ce qu’on laisse.
Est-il vrai que vous n’avez trouvé que 300 000 dollars dans les caisses de l’État à votre arrivée au pouvoir ?
Oui. Et Lansana Conté n’est pas le seul responsable. Il a eu des ministres, des Premiers ministres. Ils ont vendu nos biens et encaissé les royalties. Tout a été hypothéqué ou cédé à vil prix.
À votre arrivée à la tête du pays, la Société aurifère de Guinée [SAG] vous a proposé 22 millions de dollars pour vous aider. Pourquoi avoir refusé ce geste ?
Je l’ai interprété comme une tentative de corruption. Dans un premier temps, je l’ai refusé. Puis je leur ai dit qu’ils pourraient verser la somme à la fin mars dans les caisses de l’État. Cela a été fait et j’ai montré tous les documents l’attestant à la télévision. On n’a pas encore utilisé cet argent, mais il servira à régler les problèmes de fourniture d’eau et d’électricité, qui sont prioritaires.
Envisagez-vous d’utiliser une partie de ces fonds pour l’organisation des élections ?
Nous avons déjà utilisé 15 milliards de francs guinéens [environ 3,15 millions de dollars] puisés dans les caisses de l’État. Mais nous n’avons pas touché aux 22 millions de dollars. On a pu supporter ces sorties d’argent parce qu’il n’y a plus ni fraudes, ni surfacturations, ni engagements bidons.
Vous avez lancé des audits sur la gestion de vos prédécesseurs, à grand renfort de publicité. N’est-ce pas aussi une façon de détourner l’attention de la population de la question cruciale des élections ?
Le peuple a demandé des audits. Le CNDD [Conseil national pour la démocratie et le développement] a décidé de faire une pause dans ce processus, car, à un certain moment, il y a eu des règlements de comptes. En plus, les coupures d’électricité ont empêché les Guinéens de suivre les débats à la télévision. Nous avons donc décidé une suspension provisoire. Cela doit permettre également d’approfondir les investigations et d’éviter les décisions arbitraires. Mais on vient tout de même de lancer un appel d’offres international pour l’audit de la gestion de tous les anciens Premiers ministres, ainsi que des six premiers mois de notre gouvernement. Cela n’a rien à voir avec le processus électoral. Car pour ce qui est des élections, l’horizon est obscur.
« Obscur », c’est-à-dire ?
Nous sommes au septième mois de l’année 2009. Il reste cinq mois avant les élections. Il faut être objectif.
Cela veut dire que l’échéance du dernier trimestre de 2009 ne pourra pas être respectée ?
Je ne suis pas technicien dans ce domaine, je ne peux donc pas dire si l’échéance peut être respectée ou pas. Je ne suis pas membre de la Ceni [Commission électorale nationale indépendante], mais les Forces vives ont jugé nécessaire d’évaluer le chemin parcouru. Ensuite, elles se prononceront sur la date des élections.
Chaque fois que la question de la date du scrutin est avancée, vous dites que c’est aux Forces vives de se prononcer. N’est-ce pas une façon de fuir vos responsabilités ?
Non. Lors de la prise du pouvoir, j’ai proposé d’organiser les élections en 2010. Mais lors de la première rencontre avec les Forces vives, les leaders politiques ont refusé. Ils ont proposé qu’elles se tiennent en 2009. Je n’ai consulté ni l’armée, ni les membres du CNDD, ni les Guinéens. J’ai accepté le chronogramme de 2009. Six mois après, je me trouve pris en otage. Et je ne peux pas revenir sur ma parole.
S’il n’y a pas d’élections en 2009, à qui en incombera la responsabilité ?
Ce ne sera pas de ma faute. Ce sera de la faute des Forces vives, car j’avais proposé l’échéance de 2010. Mais j’ai été obligé d’accepter. Maintenant, j’attends qu’elles précisent les dates et je me prononcerai. D’ailleurs, je ne serai pas candidat.
C’est sûr ?
En 2009, je ne serai pas candidat.
Et en 2010 ?
Nous ne sommes pas en 2010. Je ne peux pas me prononcer sur ce qui se passera l’an prochain. J’ai pris un engagement pour 2009. Si je me prononçais pour 2010, ce serait interprété comme un signe de mauvaise volonté par la communauté internationale. Mon souci est que ce chronogramme soit respecté.
À la fin juin, les Forces vives ont refusé de vous rencontrer au Palais du peuple pour parler des élections, estimant que cela devait se faire dans un lieu plus approprié au dialogue et non en public. Vous vous êtes soumis à leur exigence…
Oui, car la poursuite du dialogue est pour moi un souci majeur. En boycottant la rencontre au Palais du peuple, certains leaders des Forces vives ont fui leurs responsabilités. J’ai ensuite reçu celles-ci au camp Alpha Yaya Diallo, mais j’étais fâché et je leur ai dit : « Nous avons décidé d’organiser des élections en 2009. Si vous pratiquez la politique de la chaise vide, comment allons-nous convaincre ceux qui sont pour 2010 d’accepter l’échéance de 2009 ? »
Le dialogue, c’est l’épine dorsale de la démocratie. Même si les Forces vives veulent aller à Djakarta pour dialoguer, j’irai ! On ne peut pas commander une nation en fuyant les gens. C’est pourquoi je les ai invitées au camp.
À la mi-juin, l’interdiction faite à Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée [UFDG], de tenir une réunion politique a semé le trouble…
Il ne faut pas que les gens se focalisent sur Dalein. Il n’est pas le seul leader politique et il y a eu manipulation.
Mais sa tournée a bel et bien été interrompue par des militaires alors que d’autres sont allés sans souci à la rencontre de leurs sympathisants ?
Il y a eu un arrêté ministériel interdisant les cortèges et demandant aux hommes politiques de tenir leurs meetings au siège de leur parti. Mais j’ai décidé dans l’intérêt de la nation d’annuler la décision du ministre.
Il y a tout de même eu cafouillage entre vous et le ministre concerné…
Le communiqué du CNDD est juste venu mettre fin à la cacophonie.
Cet incident est survenu à un moment où des rumeurs persistantes faisaient état de tensions entre vous et le Premier ministre Kabiné Komara, dont on a même annoncé le limogeage ou la démission…
La Guinée est un pays de rumeurs, mais les rumeurs ne m’intéressent pas.
La presse a aussi rendu public un enregistrement dans lequel vous tenez des propos discourtois à l’encontre de votre Premier ministre…
Le CNDD a choisi le Premier ministre. Pas l’inverse. Pour se séparer de lui, nous n’avons besoin de l’avis de personne. Si nos relations n’étaient pas bonnes, il serait déjà parti. Pour ce qui est de l’enregistrement, je me suis fâché parce que j’ai toujours dénoncé le manque de transparence dans la gestion des contrats et que le Premier ministre a reçu un important investisseur minier seul, sans consultation préalable. Je veux que le peuple de Guinée sache ce qui se passe dans le secteur des mines.
On vous reproche d’avoir plusieurs fois humilié des participants au Dadis Show et vos colères sont déconcertantes…
Oui, car il faut parfois inquiéter les gens pour qu’ils vous prennent au sérieux.
Il y a eu des critiques sur le Dadis Show, vous l’avez arrêté. Les Forces vives vous ont demandé de changer de lieu de rencontre pour vos échanges, vous avez accepté. Êtes-vous un homme de compromis ?
Absolument. C’est pour cette raison que j’ai suspendu le Dadis Show. Mais si les Guinéens ne veulent pas me comprendre, je leur rendrai le pouvoir.
Comment ?
Je leur dirai d’élire ceux qu’ils pensent les plus capables de gérer le pays et je m’en irai après des élections. Si ni les Guinéens ni la communauté internationale ne veulent me comprendre, je me retirerai.
Vous vous sentez incompris ?
Oui, et parfois j’en souffre.
Depuis que vous êtes au pouvoir, vous êtes établi au camp Alpha Yaya Diallo. Pourquoi n’occupez-vous pas le Palais présidentiel ?
Parce que je ne veux pas d’un mode de vie ostentatoire. Mon peuple est dans les ténèbres, mon peuple souffre. Certains vivent dans des taudis sans électricité. Et vous voudriez que je m’installe dans un palais somptueux et que je roule dans une voiture de dernière génération ? Je n’ai pas cette culture. Je préfère vivre comme je vis actuellement jusqu’à ce que je quitte le pouvoir.
Depuis que vous êtes à la tête de l’État, vous avez annulé plusieurs déplacements à l’étranger, notamment en Libye. Pourquoi ?
Le dernier voyage en Libye a été annulé parce que l’on m’en a dissuadé. On m’a expliqué que certaines personnes voulaient profiter de mon absence pour faire ceci ou cela.
« Ceci ou cela », c’est-à-dire un putsch ?
Non. C’est-à-dire que… Bon, voilà !
Vous faites des jaloux au sein de l’armée ?
Si je faisais des jaloux, je ne serais pas au pouvoir. Il est clair que l’on m’en aurait déjà fait partir. Je n’ai pas pris le pouvoir par orgueil ou par ethnocentrisme. Cette armée est l’une des plus difficiles à gérer dans le monde, et les gens qui me critiquent aujourd’hui n’ont rien fait pour la restructurer. Ils l’ont abandonnée. Pour ma part, j’ai habitué les militaires à un certain équilibre ethnique. Voilà pourquoi l’armée m’a accepté. C’est ma façon de l’aimer. Et d’aimer la nation guinéenne.
Le CNDD et l’armée ont-ils un candidat à la présidentielle ?
Ça dépendra du comportement des autres candidats.
Comment voyez-vous l’après-Dadis ?
Seul Dieu sait de quoi l’avenir sera fait. Ce que moi je sais, c’est que certains ne mesurent pas l’importance de la paix. Nous avons pris le pouvoir sans effusion de sang. Si l’armée m’a soutenu, c’est parce qu’elle est accrochée à un espoir. L’armée ne ment pas. Si elle est parvenue à un consensus autour d’une seule personne, c’est grâce à Dieu.
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