Le discours d’Accra de Barack Obama
11 juillet 2009
Il y a eu le discours du Caire pour le monde musulman. Il y a désormais celui d’Accra pour l’Afrique subsaharienne. Certes, les enjeux, l’intensité dramatique et la rupture signifiés par ces deux adresses majeures de Barack Hussein Obama ne sont pas de même nature, le passif américain et l’image des États-Unis aux yeux des populations n’ayant aucune commune mesure dans ces deux régions du monde. Il n’empêche : l’allocution du 11 juillet devant le Parlement ghanéen était aussi attendue qu’un show posthume de Michael Jackson et, une fois de plus, la star Obama a été à la hauteur des espérances de ses fans. Un parler simple et direct, un message sain et clair immédiatement compréhensible de l’auditeur moyen : la recette Obama fonctionne d’autant mieux qu’il ne viendrait à personne l’idée de mettre en doute la sincérité de celui qui est, aussi, un fils du continent.
Dès la première minute, après avoir comparé le son des trompettes saluant son entrée en scène avec celui, inimitable, de Louis Armstrong, le président américain tord le cou à la fable répétée ad nauseam, de Friedrich Hegel à Henri Guaino, d’une Afrique marginalisée, enclavée, isolée, déconnectée de la mondialisation et non encore entrée dans l’Histoire. Oui, cette Afrique qui n’a jamais cessé tout au long des siècles d’échanger, souvent de façon violente, de la traite à l’émigration, avec l’Europe, l’Asie et l’Amérique est partie prenante d’un système international au sein duquel son insertion s’intensifie chaque jour. Sur ce point précis et même si l’effet n’en est pas forcément volontaire, le discours d’Accra peut se lire en creux comme un contre-discours de Dakar.
Au fil des mots, Obama livre une vision du continent résolument tournée vers l’avenir. Il n’hésite pas pour cela à bousculer l’importance de cette rente de situation que sont les indépendances africaines. L’Histoire, dit-il, ne s’est pas arrêtée il y a un demi-siècle, à l’époque de Nkrumah et de Kenyatta. Forger sa propre nation est une tâche autrement plus redoutable – et fondamentale – qu’un changement d’hymne et de drapeau : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. » Il n’hésite pas non plus à relativiser le label de bonne gouvernance hâtivement décerné aux faiseurs d’élections. Les élections, rappelle-t-il, ne sont pas toute la démocratie, « il faut voir ce qui se passe entre les scrutins ». Tout comme il convient de rejeter du mauvais côté de l’Histoire « ceux qui se servent des coups d’État ou qui modifient les Constitutions pour rester au pouvoir ». Le président américain ne cite aucun nom, mais de Niamey à Conakry, les intéressés auront compris.
Cape Coast, « point de départ de l’expérience afro-américaine »
Comme Nicolas Sarkozy à Dakar, mais avec une légitimité tout autre, son pays étant vierge de tout passé colonial, Barack Obama exhorte les dirigeants à assumer leurs responsabilités, l’Occident ne pouvant être comptable d’une culture du conflit, lequel, ose-t-il dire sans craindre d’être accusé de condescendance, « est aussi constant que le soleil » dans la vie de beaucoup d’Africains. La première partie – que nous reproduisons ici dans son intégralité – de ce discours d’Accra est également marquée par une vive condamnation des pratiques de corruption. À l’appui de sa démonstration, Obama se veut précis, citant les pourcentages de pots-de-vin exigibles et prenant pour exemple les ports africains, hauts lieux de tous les trafics. Le reste – protection de l’environnement, lutte contre le VIH-sida… – est de facture plus classique, dans la lignée de la politique Bush sur le continent. Barack Obama y réaffirme notamment le lien entre développement et bonne gouvernance, sans s’interroger sur le contenu et la validité de ce dernier concept fourre-tout et néolibéral qui prétend dompter la complexité des sociétés africaines en faisant fi de leur historicité.
Certes, les auditeurs du discours d’Accra ne sont pas des naïfs. Ils n’ignorent rien de l’intérêt américain pour leur pétrole et leurs matières premières et ils savent tout du soutien accordé autrefois par les États-Unis à quelques-unes des pires dictatures du continent. Mais s’ils n’ont pas reçu cette allocution comme une leçon de plus, c’est qu’ils savent que Barack Obama est différent de tous ceux qui sont venus un jour leur dispenser une parole biaisée avec un zèle de missionnaire. Sur le continent, cet homme qui n’est pas un descendant d’esclaves porte un double regard, absolument unique. Un regard sévère : la vie de son propre père, qu’il n’a pratiquement pas connu, s’est brisée, au Kenya, sur le mur du tribalisme, de l’intolérance, de la haine, et il en a été profondément marqué. Mais un regard empli d’espoir aussi, comme en témoigne sa visite au fort des esclaves de Cape Coast. Barack Obama a voulu voir dans ce lieu hanté « le point de départ de l’expérience africaine-américaine », « le symbole des progrès extraordinaires accomplis depuis » et la preuve par le mal qu’aussi cruelle que puisse être l’Histoire, « il est toujours possible de la surmonter ».
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