Théâtre : des banlieues à Beyrouth
Chaque année depuis 1997, Greg Germain et Marie-Pierre Bousquet font entendre au Festival d’Avignon, dans le sud de la France, la parole des principaux écrivains d’Afrique et d’outre-mer. Juillet venu, le couple investit la Chapelle du verbe incarné, l’un des monuments les plus anciens et les plus symboliques de la Cité des papes. Grâce à la vitalité des compagnies de théâtre et à celle des auteurs prestigieux que le duo Germain-Bousquet y accueille depuis douze ans, ce monastère du XVIe siècle est devenu l’un des hauts lieux du festival « off ».
Guérisseuse-exciseuse
Parmi les spectacles présentés cette saison, plusieurs méritent le détour. En particulier Bintou, une pièce de Koffi Kwahulé, un écrivain d’origine ivoirienne, mise en scène par Laëtitia Guédon, de la Compagnie 0,10.
Bintou, une adolescente de 13 ans, née de parents immigrés, est habitée par la haine. Haine envers son père qui a renoncé à exercer ses responsabilités de chef de famille, haine envers son oncle, qui veut imposer son autorité à la jeune fille tout en lui faisant savoir qu’il n’est pas insensible à ses charmes naissants. Révoltée, Bintou s’enfonce dans la violence qui s’est emparée de sa cité de banlieue. La violence s’exerce aussi dans son foyer, où les adultes veulent la forcer à retourner en Afrique. Elle résiste, mais finira sous le couteau de la guérisseuse-exciseuse.
« Puis ce furent le feu/ le sang/ la nuit. » La pièce se clôt sur les lamentations du chœur. Cette voix scande la pièce. Elle représente la cité, témoin du drame. La metteuse en scène utilise avec originalité ce ressort de la tragédie antique, faisant intervenir dès la première scène cet ensemble qui chante et danse. C’est Sophocle et Euripide sur le mode de West Side Story. Résultat : un spectacle d’une puissance rare, où la force incantatrice de la langue de Kwahulé et le jeu tout en finesse des seize comédiens contribuent à croquer sur le vif un dramatique instant de vie.
À quelques encablures de la Chapelle, dans la salle Benoît-XII, s’est joué, jusqu’au 16 juillet, l’un des spectacles les plus réussis du festival « in » cette année : Photo-Romance, du couple libanais Lina Saneh et Rabih Mroué. Usant de toutes les ressources de la scène moderne (musique, vidéo) et de l’imaginaire contemporain (intertextualité, métafiction), les metteurs en scène, qui sont aussi les comédiens de leur propre spectacle, racontent les dérives de la société libanaise confrontée à la guerre.
Nous sommes dans le Beyrouth de l’été 2006, après l’attaque israélienne. Une productrice de cinéma vient présenter au responsable d’un comité de censure son projet de documentaire sur la vie d’une jeune femme de la bourgeoisie. Elle s’est inspirée d’Une journée particulière, le célèbre film de l’Italien Ettore Scola (avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni), qu’elle a transposé au Liban d’aujourd’hui. À partir de la dialectique qui s’instaure entre le film projeté sur un écran et les comédiens sur la scène se construit un récit distancié et savoureux sur les angoisses existentielles des Libanais, sur la marginalisation des femmes et des minorités (communistes, athées…), sur l’art. Magnifique.
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