« Vous êtes mal gouvernés… »

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Publié le 20 juillet 2009 Lecture : 6 minutes.

Ce nouveau séjour de Barack Obama sur le sol africain a été, une fois de plus, très court, les 10 et 11 juillet : une escale d’une vingtaine d’heures, à la fin d’un périple qui l’avait mené en Russie, puis en Italie.

Mais, accompagné de son épouse et de ses deux filles, il a donné à ses hôtes l’impression qu’il était chez lui.

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Il y a cinq semaines, il avait fait un séjour tout aussi rapide en Égypte pour s’adresser au monde musulman : ce fut son discours mémorable prononcé le 4 juin à l’université du Caire.

La visite de Barack Obama au Ghana est en réalité son premier vrai voyage en tant que président des États-Unis sur le « continent de son père », et son discours d’Accra est son premier message aux Africains.

Pourquoi lui et ses conseillers ont-ils choisi le Ghana ? Anglophone, situé au centre de l’Afrique de l’Ouest, en face des États-Unis, c’est le premier pays de l’Afrique subsaharienne à avoir reconquis son indépendance (en mars 1957).

Après un brillant départ, il a connu une longue période d’errements politiques et économiques. Mais il a pris depuis vingt ans le chemin de la démocratie et du développement.

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Cerise sur le gâteau : il fait son entrée cette année dans le club des pays exportateurs de pétrole (dont il sera, dès 2010, un membre modeste) !

Un mot d’abord du symbole : il est… hollywoodien et je comprends que le destin unique de ce fils d’Africain fasse rêver les jeunes de tous les continents, plus particulièrement ceux d’Afrique.

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Noirs ou Blancs, âgés d’environ 20 ans, ils sont chaque année des milliers d’Africains à quitter leur pays pour s’en aller au-delà des mers faire des études supérieures, soit aux États-Unis, soit en Europe.

Il y a cinquante ans, l’un d’eux est parti du Kenya pour terminer ses études aux États-Unis.

Ce jeune Africain noir s’arrête à Hawaii, y fait la connaissance d’une Américaine blanche, étudiante elle aussi. Ils se marient et ont un garçon qu’ils prénomment Barack Hussein.

Quarante-sept ans plus tard, ce garçon métissé est élu président du pays où il est né en pleine ségrégation raciale, du plus improbable des mariages.

Le messager est donc un homme d’exception ; son message du 11 juillet aux Africains, comme celui qu’il a adressé le 4 juin aux musulmans (voir J.A. n° 2526), est à la fois clair et d’une grande qualité.

Avant lui, que nous disaient les Européens, les Américains et les Chinois ?

Américains et Européens tenaient, à l’endroit des Africains, le même langage de compassion plus ou moins sincère : « Nous sommes désolés de vous voir dans la difficulté, croyez-le bien. Mais nous avons nos problèmes et ne pouvons vous aider que marginalement.

Nous achetons celles de vos productions dont nous avons besoin, à notre prix et, toujours à notre prix, vous vendons nos produits…

Nous n’oublions pas, nous Européens, que nous avons naguère occupé vos pays et déversé sur vous, comme sur le reste du monde, notre surplus de population. Mais les temps ont changé et, bien que nous puissions les accueillir, nous ne voulons pas que vos pauvres et vos inéduqués viennent nous encombrer chez nous. »

Aux Africains, les Chinois tiennent, eux, de façon tout aussi implicite, un langage différent : « Ce que vous êtes et ce que font vos gouvernements ne nous intéresse guère, mais nous avons le plus grand besoin des richesses de votre sous-sol. Nous venons donc les prendre et vous donnons en échange, sans barguigner, ce que nous possédons en abondance : des dollars et de la main-d’œuvre.

Cette dernière construira pour vous, et à votre place, les infrastructures qui vous manquent. »

Barack Obama, lui, vient à nous avec un autre discours, où il n’y a ni fausse compassion ni semblant de repentance.

C’est le discours de quelqu’un qui a cherché à nous connaître et nous dit, avec amitié, ce qu’à son avis nous devrions faire pour nous en sortir. Aux musulmans, il rappelle ce qu’ils auraient dû savoir et ne jamais oublier : « Dieu ne changera pas votre condition, n’améliorera pas votre sort tant que vous ne vous serez pas changés vous-mêmes, améliorés et redressés. »

S’adressant aux Africains depuis le Parlement du Ghana, ce fils de l’Afrique devenu président des États-Unis n’a fait, le 11 juillet, que décliner cette « vérité d’évangile ».

Rien que les Africains ne sachent ! Des évidences que nous répétons dans ce journal semaine après semaine, un corps de doctrine qui est la profession de foi des démocrates africains et de leurs homologues du reste du monde.

Mais venant de ce président des États-Unis d’Amérique, qui n’a pas oublié « le sang africain qui coule dans ses veines », l’appel à se transformer pour réussir trouve une extraordinaire résonance.

Ici, comme lorsqu’il était en Europe, Barack Obama s’adresse aux peuples et à leur jeunesse par-dessus la tête des dirigeants. Il dit à ces derniers leurs vérités, mais sans dépasser les limites de la bienséance.

Je résume son discours :

« Le tribalisme, le népotisme, la corruption sont les ennemis du progrès : il vous faut les réduire.

Le colonialisme a été maléfique, sans aucun doute. Pas seulement parce qu’il a imposé au continent des frontières artificielles et des termes de l’échange inéquitables, mais aussi pour ce qu’il vous a infligé dans votre vie quotidienne.

Cessez, néanmoins, de penser que le colonialisme d’hier et l’Occident d’aujourd’hui sont les responsables de vos maux actuels, des obstacles que vous rencontrez.

Vous avez besoin d’institutions solides et stables, d’une bonne gouvernance : organiser des élections de temps à autre ne suffit pas, il faut des pouvoirs qui gouvernent par le consentement et non par la coercition.

Des élections çà et là ne font pas disparaître la tyrannie : on peut en tenir tout en continuant à réprimer et à appauvrir son peuple, à bafouer la loi et à s’enrichir.

Ceux qui font des coups d’État ou modifient les Constitutions pour rester au pouvoir vont à l’encontre du progrès. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions.

Les Africains qui viennent s’installer aux États-Unis réussissent très bien. Pourquoi ne trouvent-ils pas chez eux les conditions de la réussite ?

Le continent africain est riche en ressources naturelles. Mais les pays qui dépendent trop de leur sous-sol ou, pis, d’un seul produit d’exportation, risquent de voir ces ou ce produit n’enrichir qu’une minorité.

Au Ghana même, il ne faut pas que le pétrole que vous allez produire et exporter vous fasse négliger votre richesse traditionnelle : le cacao.

Regardez les pays qui sont partis d’aussi bas que vous, il y a cinquante ans, et qui ont réussi de façon spectaculaire, tels Singapour et la Corée du Sud : ils se sont donné de bonnes infrastructures et ont investi dans l’éducation et dans la santé pour transformer la société. »

L’essentiel du discours d’Accra vous est donné plus loin (pp. 25-28) et François Soudan l’analyse en pages 23-24. Mais j’ai eu plaisir à rappeler les recettes du Dr Obama, à énumérer ses recommandations à la jeunesse africaine. Il lui dit qu’elle constitue plus de 50 % de la population de chacun des pays du continent et que le XXIe siècle de l’Afrique sera ce qu’elle en fera.

À nous tous, Africains et musulmans, il a assuré, le 4 juin et le 11 juillet, que si nous ne sommes pas encore dans la caravane (mondiale) du progrès, c’est d’abord parce que nous sommes, en général, mal gouvernés.

Il nous faut changer cette situation pour espérer voir notre condition se transformer.

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