Dieudonné Niangouna : « D’abord artiste, accessoirement africain »
À l’affiche du Festival d’Avignon, dans le sud de la France, avec sa pièce Les Inepties volantes, le Congolais est l’une des figures du renouveau dramatique du continent.
Dieudonné Niangouna ne décolère pas. Considéré comme l’une des figures marquantes de la nouvelle génération de dramaturges africains, le Congolais peste, tonne, fulmine contre les critiques parisiens qui s’obstinent à voir en sa participation au Festival d’Avignon une ouverture à l’Afrique.
« C’était la même chose il y a deux ans, quand j’ai présenté mon précédent spectacle, Attitude clando ! Tous les médias ont écrit que cette invitation s’adressait à l’Afrique. Or moi je suis d’abord artiste, et accessoirement africain. D’ailleurs, pour les programmateurs, la question ne se pose pas en ces termes. Vincent Baudrier, le codirecteur du Festival, répète à l’envi qu’il programme des artistes et pas un pays, encore moins un continent. Qu’il m’ait invité à nouveau est sans doute la preuve que c’est l’artiste Niangouna qui intéresse les festivaliers et pas Niangouna le Noir ! »
Artiste, Dieudonné Niangouna l’est indubitablement. Jusqu’au bout des ongles. Il suffit de le regarder se déplacer sur scène, occupant tout l’espace malgré son corps gringalet et son regard timide. Sa voix explose dans un débit effréné scandé par des colères, des convictions et des indignations. C’est ainsi que le grand public l’a découvert à Avignon en 2007, debout sur un lit de braises, déclamant le monologue intérieur d’un clandestin. Dramaturge, metteur en scène, comédien, l’homme interprète aussi bien ses propres créations que les classiques du répertoire européen. L’âpreté de ses propos, son jeu mêlant le burlesque et le dramatique rappellent Sony Labou Tansi, pape du théâtre congolais.
Dérives de la société
Né à Brazzaville en 1976, Niangouna a grandi dans le Congo d’avant-guerre, petit pays de trois millions d’habitants, mais d’une vitalité artistique inouïe et qui a vu naître sur ses terres quelques-uns des artistes africains les plus remarquables : Tchicaya U Tam’si, Henri Lopes, Sylvain Bemba, Emmanuel Dongala, Sony Labou Tansi, Caya Makhélé, Jean-Baptiste Tati Loutard (décédé le 4 juillet), Alain Mabanckou, Pamelo Mounk’a, Gotène, Zao… Le jeune Niangouna s’est nourri de cette créativité ambiante. « Enfant, déjà, je rêvais de faire du théâtre, se souvient-il. Je peux dire aujourd’hui que je suis devenu ce que j’ai toujours rêvé d’être : auteur et comédien à la fois. »
Mais, au Congo, les années 1990 sombrent dans le chaos et la violence. Coûteuses en vies humaines, les trois guerres successives de 1993, 1997, et 1998-1999, qui mettent le pays à feu et à sang, détruisent les infrastructures culturelles, les théâtres, les cabarets, les bars-dancing où les Congolais avaient l’habitude de se rencontrer. Niangouna profite de ce néant pour créer en 1997 sa propre compagnie, Les Bruits de la rue.
Rompant avec la sensibilité psychologique et narrative qui avait cours jusque-là sur les planches congolaises, il signe des textes et des mises en scène d’une rare force expressive. Le théâtre de Niangouna ne raconte pas, il donne à voir, à travers des images et des métaphores obsédantes, les dérives de la société.â©patati patatra et des tralalas
Le dramaturge crée un style qui lui est propre, baptisé « Big, boum, bah… ». Son jeu mime la chute des obus qui tombaient aux abords de sa salle de répétition. « Sifflement, explosion, puis le silence de la mort, explique-t-il. Je me suis servi de cette force et de cette violence pour inventer un style de jeu qui soit à la hauteur de la situation. »
Révélé en France par les Francophonies en Limousin qui programment ses pièces régulièrement depuis 2002 (Carré blanc, Patati patatra et des tralalas, Intérieur-extérieur…), Niangouna est devenu en quelques années une figure familière des rencontres dramatiques en Europe. En 2005, l’une de ses pièces, Vieux colombier, a été choisie pour illustrer le nouveau théâtre africain à la Comédie-Française. Malgré cette reconnaissance, l’écrivain n’est aucunement tenté de quitter son Congo natal, qui demeure le véritable pourvoyeur de sa matière littéraire. « Sur ce fumier, celui du sous-développement, je fais pousser mes fleurs », expliquait-il en 2007, dans le quotidien français Le Monde.
Son pays ne le quitte jamais. Même à Avignon, où il se produit jusqu’au 17 juillet, il met en scène un spectacle sur le conflit congolais. « C’est l’histoire d’un bonhomme qui traverse les barricades, avec la guerre comme décor. » La pièce s’intitule Les Inepties volantes. Ineptie car « toute guerre est absurde ». Au point que les mots se révèlent in fine incapables de la dire. Alors, pour combler la défaillance de la parole, le Congolais a invité l’accordéoniste français Pascal Contet à venir partager la scène avec lui. « Dans cette partition à deux voix, la mission de la musique est de relayer les mots, d’évoquer cet au-delà du sens et de la compréhension où les mots ne peuvent s’aventurer. »
C’est en artiste total, conscient des potentialités, mais aussi des limites de son art, que Dieudonné Niangouna parcourt aujourd’hui le monde. « Mon père disait qu’on est le fils de son père et de sa mère. Notre véritable identité n’est pas celle-là, mais celle que nous inventons chaque jour en s’arrachant de cette biologique fondamentale pour mieux se rapprocher de nos rêves », proclame-t-il.
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