Le silence radio de RFI
En grève depuis deux mois, une centaine de salariés perturbent 80 % de l’antenne de RFI. Un conflit qui, malgré une trêve, s’enlise et profite à ses concurrentes.
« RFI est une vieille dame respectée et respectable, elle n’aime pas être méprisée, c’est ce que n’a toujours pas compris la direction. » Comme beaucoup de ses collègues, ce journaliste parle sous le couvert de l’anonymat pour commenter une grève qui le « chagrine » et « l’inquiète ».
Deux mois maintenant que l’antenne de Radio France Internationale (RFI) est perturbée par la grève perlée des techniciens, des réalisateurs et de quelques journalistes qui s’opposent au plan de restructuration présenté par le nouveau président, Alain de Pouzilhac. Un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui prévoit la suppression de 206 postes et la fermeture de six rédactions (en allemand, albanais, polonais, serbo-croate, turc et laotien). Deux mois que les 45 millions d’auditeurs du monde entier, et d’Afrique en particulier, attendent leurs programmes favoris et doivent se contenter d’un flux musical, composé et mis à l’antenne par un ordinateur. La voix de la Francophonie ne s’est pas éteinte, mais elle est sérieusement enrouée. De Dakar à Kinshasa, c’est l’incompréhension. Comment cette station de service public, cette institution qui est écoutée en FM et en ondes courtes jusque dans les villages les plus reculés peut-elle cesser d’émettre aussi brutalement et, surtout, pendant aussi longtemps ? Comment une centaine de salariés mobilisés, sur un effectif total d’un millier, arrivent-ils à perturber près de 80 % de l’antenne ?
« Nous travaillons normalement, mais nous ne savons jamais si nos journaux ou nos émissions vont pouvoir passer à l’antenne, explique un présentateur. C’est très démobilisant, surtout en cas d’actualité importante, comme la mort d’Omar Bongo. » C’est en effet une loterie qui attend les journalistes, qui n’apprennent que quelques heures avant de passer en studio si les techniciens se déclarent ou non grévistes. « On bloque l’antenne sur trois niveaux, d’abord celui des techniciens, ensuite celui des réalisateurs, puis on peut compter au final sur la solidarité des journalistes grévistes. Nous opérons avec un minimum de forces, c’est une garantie pour la longévité du mouvement », explique un délégué de l’intersyndicale (FO, CGT, SNJ). « Chaque journal, c’est comme un bateau prêt à appareiller avec le plein de carburant, de vivres, mais à qui l’on interdirait de larguer les amarres », compare un journaliste « démoralisé ».
« La mobilisation est intacte, le personnel est avec nous », assure de son côté Elisa Drago, élue SNJ-CGT au comité d’entreprise, qui souligne l’existence d’une « caisse de grève » pour financer le mouvement et à laquelle quelque 400 salariés auraient cotisé. Jour après jour, du 12 mai au 9 juillet, les assemblées générales du noyau dur des grévistes ont confirmé, à la quasi-unanimité et à main levée, la reconduction de la grève. Une grève d’une longévité inédite dans l’histoire de la Maison ronde, le célèbre immeuble circulaire de l’avenue du Président-Kennedy, actuellement en réfection.
Nouveau préavis pour septembre
L’assemblée générale du 10 juillet a suspendu le mouvement jusqu’au 31 août. Mais a déjà déposé un préavis pour le 1er septembre. « C’est très frustrant de voir la grille de diffusion trouée comme du gruyère », explique un spécialiste de l’Afrique. Pourtant, et c’est l’un des nombreux paradoxes de cette grève, le service Afrique, bastion du syndicat CFDT qui a longtemps fait la pluie et le beau temps social à RFI, fonctionne à peu près normalement. La CFDT n’a pas appelé à l’épreuve de force avec la nouvelle direction. Car, quand les langues des journalistes se délient, la nécessité d’une réforme de la « radio mondiale » est souvent admise. « Oui, RFI doit évoluer, explique Juan Gomez, le célèbre animateur des Appels sur l’actualité, mais, pour l’instant, notre tutelle ne bouge pas et la situation est bloquée. Il faut que les syndicats et les grévistes puissent sortir du conflit dignement. »
Dépoussiérage de la maison
Plusieurs autres journalistes influents estiment d’ailleurs que le conflit porte presque plus sur la forme que sur le fond. Le dépoussiérage de la maison « après des années d’immobilisme » semble admis, au moins au niveau de la rédaction. S’il n’annonce pas un second plan de « dégraissage », le PSE pourrait s’effectuer « au moins aux deux tiers sur la base du volontariat », explique un journaliste cadre. La réorientation de l’antenne sur des zones, des langues et des programmes prioritaires (Afrique, langues anglaise, portugaise et swahili) n’est pas non plus fondamentalement remise en cause par la rédaction. « Sous réserve de ne pas verser dans l’afrocentrisme car l’auditeur africain, lui aussi, est aujourd’hui globalisé et s’intéresse beaucoup à l’international », précise Anne Corpet, la rédactrice en chef-adjointe du Service international.
En réalité, ce qui semble coincer à RFI aujourd’hui, c’est le style du président Pouzilhac. Ancien publicitaire (Havas Euro RSCG), homme d’affaires avisé, le nouveau patron de RFI ne fait pas dans la dentelle. « C’est dans l’air du temps, il sait qu’il peut compter sur l’appui de Nicolas Sarkozy et il veut jouer du Kärcher dans un magasin de porcelaine », explique un cadre. Et, à la différence de Christine Ockrent, avec qui il dirige le holding Audiovisuel extérieur de la France (voir encadré), Pouzilhac n’a pas la légitimité d’un journaliste professionnel. En attendant la fin du ménage, les auditeurs du monde entier apprennent à vivre sans RFI. À la grande satisfaction de ses concurrentes (BBC, Voice of Africa, Deutsche Welle…) et des stati ons locales FM d’Afrique francophone. Et au grand désespoir de ses (fidèles ?) auditeurs.
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