L’offensive discrète des groupes allemands

Les entreprises de la première puissance exportatrice mondiale font le forcing. En cinq ans, les groupes allemands ont presque doublé leurs ventes en Afrique.

Publié le 16 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

Après Luanda et Malabo, ce sera, à partir du 15 juillet, au tour de Libreville et d’Accra d’être reliés à Francfort par des vols directs de la Lufthansa. Deux jours plus tôt, une vingtaine de groupes cotés au DAX (le CAC 40 allemand), dont le réassureur Munich Re et les producteurs d’énergie E.ON et RWE, auront souscrit au lancement de Desertec, un consortium destiné à construire une gigantesque centrale solaire dans le Sahara. Un investissement évalué à 400 milliards d’euros. Enfin, en septembre, lors de l’inauguration du métro d’Alger, Siemens apparaîtra en tête de rame de cet investissement de 1 milliard de dollars. Autant d’événements qui illustrent l’intérêt croissant des entreprises allemandes pour l’Afrique.

En vingt ans, les investissements directs en provenance de la République fédérale n’ont cessé d’augmenter (voir tableau p. 85) et le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises allemandes sur le continent s’élève aujourd’hui à plus de 25 milliards d’euros. Parallèlement, les garanties concédées par l’État allemand à ses entreprises s’implantant en Afrique ont doublé en dix ans, augmentant même de 27 % entre 2006 et 2007. Certes, le tropisme africain du président allemand, Horst Köhler, n’est pas un secret, à tel point qu’il lui a été reproché de s’intéresser davantage à l’Afrique qu’à son propre pays. De même, l’offensive culturelle « Aktion Afrika » orchestrée par l’ouverture de onze Goethe-Institut en Afrique subsaharienne, dont la dernière date du 11 juin en Angola, confirme l’intérêt allemand pour le continent.

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Cependant, ces initiatives n’expliquent pas à elles seules l’engouement des milieux économiques d’outre-Rhin. Présents depuis plusieurs décennies, les fleurons de l’industrie tels Siemens ou E.ON considéraient jusqu’alors l’Afrique comme un réservoir de matières premières. Aujourd’hui, ils découvrent qu’ils ont des cartes à jouer dans l’essor économique du continent. Et dans des secteurs où ils excellent : production énergétique, transports et construction mécanique. « Cette activité rencontre beaucoup de succès en Afrique. En 2008, la demande en machines pour la construction et pour l’extraction minière a augmenté de 20 %, voire de 50 % dans certains pays », note Michael Monnerjahn, porte-parole d’Afrika-Verein, un club d’investisseurs allemands en Afrique. 

Premier employeur du Nigeria

Signe des temps, les travaux publics et le bâtiment représentés par des groupes comme Lahmeyer ou Julius Berger – premier employeur du Nigeria avec 16 500 salariés – profitent aussi de la croissance économique africaine. Une tendance à la diversification que confirme Winfried Nau, directeur du département Afrique auprès de la société d’investissements et de développement allemande, DEG (Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft) : « Au-delà des domaines d’intervention traditionnels, nous notons un intérêt croissant pour des secteurs tels que le traitement des eaux, les techniques médicales, le transport, la logistique et l’énergie. » Et de citer dans ce dernier domaine les coopérations au Kenya ou au Nigeria (The German-Nigerian Energy Partnership). Encore peu actif en Afrique dans son activité agriculture, BASF y décèle un axe de croissance pour ses pesticides. « Nous constatons une hausse de la demande en solutions de protection des plantations en Afrique du Sud et dans les pays du Maghreb. Car ces produits jouent un rôle accru dans la production des fruits et légumes à l’exportation », indique Gabor Mehn, le directeur du département Crop Protection Africa & Middle East de BASF.

Longtemps concentrés en République sud-africaine avec des sites de production automobile VW, BMW et Daimler et au Maghreb dans l’énergie avec RWE DEA, E.ON et Wintershall, les investisseurs allemands découvrent l’Afrique subsaharienne. À l’est, le Kenya est leur première cible avec 100 millions d’euros d’investissements et des grandes enseignes comme Cetco, BASF ou Henkel Polymers. À l’ouest, le Nigeria est leur pays de prédilection. Les investisseurs allemands sont juste derrière les Américains et les Britanniques. De fait, Herwig Maaßen, expert auprès de Pricewater­houseCoopers AG, à Berlin, relève que « pour la première fois l’État allemand s’est porté garant en 2008 pour un investissement en Angola. De manière générale, une croissance des investissements s’observe dans le golfe de Guinée et dans les pays limitrophes. » E.ON Ruhrgas est ainsi l’un des investisseurs du projet d’usine de liquéfaction de gaz en Guinée équatoriale.

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« Les lignes bougent », confirme Goullom Ouattara du cabinet Ingenierie Consulting de Nuremberg, qui accompagne les entreprises allemandes en Afrique. La preuve ? Le départ de groupes français lors de la crise ivoirienne a, entre autres, bénéficié aux implantations allemandes dans la région, de la Côte d’Ivoire jusqu’au Gabon.

Pour autant, la démarche n’est pas à sens unique. Les investisseurs allemands, s’ils sont séduits par ces nouveaux marchés, sont aussi convoités par les États. Au cours des dernières semaines, le Togo, la Côte d’Ivoire et l’Algérie ont envoyé des missions économiques à Berlin dans le but de resserrer les liens bilatéraux. En retour, Angela Merkel n’a cessé d’inviter ses PME-PMI à entrer sur un continent de 900 millions d’habitants. Et multiplie les sommets germano-africains comme l’Energieforum, qui a fêté sa quatrième édition en avril dernier. Sur place, l’Allemagne intensifie ses relais locaux avec l’ouverture de chambres consulaires, comme en Angola, au Kenya et au Ghana en 2008. Et le « cocooning » des entreprises allemandes dans ces régions d’Afrique se poursuit. Après avoir ouvert une représentation en 2007 à Addis-Abeba, en 2008 à Lagos, la Commerzbank vient de s’implanter à Tripoli en mai dernier. Elle sert d’interface entre les exportateurs allemands et les banques locales, apportant les garanties nécessaires. « Nous collectons par ailleurs des données économiques sur ces régions en pleine expansion », note Friedrich Verspohl, expert pour l’Afrique de la Commerzbank. Toutefois, ce continent n’échappe pas à la morosité générale. Depuis quelques mois, il note un recul des volumes d’affaires. Les effets conjugués de la crise et de la baisse des prix des matières premières entament quelque peu, pour le moment, l’enthousiasme ambiant.

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