Comment gérer l’après-Bongo

Directement affectée par la crise mondiale, l’économie nationale tourne au ralenti. Et si les affaires courantes sont assurées, le meccano mis en place par l’ancien chef de l’État durant plus de quarante et un ans entre dans une période de turbulences.

Publié le 16 juillet 2009 Lecture : 6 minutes.

Si la donne politique est des plus incertaines depuis la mort du président Omar Bongo Ondimba, le 8 juin, l’équation économique demeure finalement assez simple au Gabon. Le pétrole (53 % du PIB), l’industrie forestière et l’exploitation de manganèse (4 % du PIB pour chacune de ces deux activités) sont les trois moteurs de l’activité du pays. Tout dépend d’eux, et, de ce point de vue, le prochain locataire du Palais du bord de mer héritera d’une situation périlleuse. Car directement affectés par la crise mondiale, ces trois piliers montrent d’inquiétants signes de faiblesse. Les effets sont immédiats. Le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse sa prévision de croissance pour 2009, de 3,9 % à 0,7 %. Un sacré coup de frein après les 2 % et 5,6 % obtenus respectivement en 2008 et 2007. Le gouvernement continue d’annoncer un petit 2 % mais cet exercice d’autopersuasion qui relève avant tout de la méthode Coué ne tient pas à l’épreuve des faits.

Depuis octobre 2008, le budget national a été révisé trois fois, suivant la baisse du cours des hydrocarbures. De 120 dollars le baril, nous sommes passés à 45 dollars, selon la dernière loi de finances rectificative. Une prudence de bon aloi puisque le baril est actuellement à moins de 70 dollars tandis que le Gabon voit sa production stabilisée à plus de 12 millions de tonnes par an. De quoi disposer d’une certaine marge de manœuvre en fin d’année. Mais fondamentalement, les clignotants ne sont plus au vert. Et la transition politique suivie d’une délicate succession – après plus de quarante et une années de pouvoir sans partage – ne sont pas de nature à rassurer.

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«  Il y a bien sûr des interrogations et nous constatons un certain attentisme. En économie, un jour d’incertitude est un jour de trop. La situation n’étant déjà pas reluisante, l’inconnue quant à la succession amplifie ce sentiment, même si, à ce jour, aucun projet n’a été suspendu et que l’activité se maintient », explique Henri-Claude Oyima, l’administrateur-directeur général de BGFI Bank, la première banque gabonaise et sous-régionale. « L’année 2009 sera difficile, les incertitudes politiques pèsent évidemment, ce qui risque de freiner un certain nombre d’investissements », estime un fonctionnaire international, moins optimiste, qui pointe également les risques de dérapages budgétaires à l’occasion du scrutin présidentiel. Seul motif de satisfaction en cette période à hauts risques, la continuité de l’État est garantie et les affaires courantes semblent gérées. En première ligne, Pascaline Bongo Ondimba, fille et directrice de cabinet du président défunt, et toujours en poste. Toutefois, la chaîne de dépense hypercentralisée au palais a perdu son décisionnaire. Quant à la cassette personnelle, souvent soumise à contribution, elle n’est plus opérationnelle. 

Défaut de transparence

L’autre interrogation concerne « le meccano économique et patrimonial » échafaudé par Omar Bongo, qui conservait la haute main sur toutes les affaires du pays. À défaut de transparence et du fait de l’étroitesse du marché intérieur, force est de constater que ce meccano quadrille l’économie du pays. État dans l’État, Total Gabon est détenu à hauteur de 58 % par le groupe français Total, 25 % par l’État gabonais – représenté au conseil d’administration par Pascaline Bongo Ondimba – et 17 % par le public.

La Compagnie du Komo, dirigée par le très discret Christian Kerangall – « qui avait une relation directe avec le président », selon un proche du pouvoir –, a fêté ses 50 ans en 2007. Ayant de multiples activités – importation et distribution de véhicules, équipements, construction navale et industrielle… – et de nombreuses participations – BGFI, la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC), la compagnie de chemin de fer Setrag… –, « la Compagnie du Komo fait partie du patrimoine, la famille va continuer à tirer les ficelles, et Pascaline est en première ligne », estime la même source qui a ses habitudes au Palais et qui supplie de ne pas être citée. Contacté par téléphone, Christian Kerangall n’a pas donné suite.

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On pourrait également citer le groupe Kabi, dirigé par Michel Tomi et son fils Jean-Baptiste, présent dans la construction (Kabi Promotion), les loisirs et les jeux (Le Casino Croisette, PMUG), et le transport aérien (Afrijet et Gabon Airlines). Dans le BTP, le Libanais Hassan Hejeij, « qui entretenait des relations quasi familiales avec Omar Bongo », fait figure de poids lourd avec son groupe Socofi. Dans la finance, l’omniprésente BGFI Bank – dont les actionnaires sont notamment, outre la Compagnie du Komo, des privés, Delta Synergie, et la Banque gabonaise de développement – complète ce meccano.

« Vous pensez bien que l’après-Bongo a été prévu, et que les liens entre les héritiers et les intérêts économiques du pays ont été gérés », affirme un membre de la famille qui, par crainte ou par prudence, réclame la règle du « off ». « Ces opérateurs économiques sont tellement puissants qu’il va être difficile de faire sans eux », ajoute un membre éminent du parti présidentiel, le PDG. « C’est d’autant plus vrai, qu’ils ont pour la plupart démontré leur compétence. Toutefois, ils ont aussi perdu leur protecteur en la personne d’Omar Bongo Ondimba. Cela peut les fragiliser », nuance un investisseur étranger, fin connaisseur du Gabon et habitué des entretiens « savoureux » avec l’ex-chef de l’État. « On pourra tout dire sur le personnage, dénoncer son système de redistribution de la richesse pétrolière et sa gestion patrimoniale du pouvoir, regretter les insuffisances en matière sociale, mais lui, au moins, n’était pas un roi fainéant. Il a investi dans son pays, via des sociétés, suivi l’activité économique et lancé des programmes d’investissements », résume ce patron qui se souvient encore des conversations autour d’une carte du Gabon sur laquelle le président présentait sa stratégie pour équiper et moderniser son pays.

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Moderniser le Gabon, il en est toujours question. Le projet minier de Belinga (voir ci-contre), le barrage de Grand Poubara, le port en eau profonde de Santa Clara, le prochain aéroport international de Libreville, la zone franche de l’île Mandji à Port-Gentil, les nombreux chantiers lancés à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2012… Ce sont les dossiers du prochain président, qui va devoir, en premier lieu, boucler les tours de table. 

Des investissements en panne

Il lui faudra également répondre aux attentes de la Comilog, soucieuse de valoriser les gisements de manganèse. La filiale du groupe minier français Eramet et ses 2 900 employés dispose d’un potentiel gigantesque (entre 60 et 70 ans de réserves encore disponibles) « Nous avons été impactés par la crise, notre production devrait être inférieure à 2 millions de tonnes cette année contre 3,2 millions en 2008 », explique Marcel Abéké, le patron de la société. Il n’empêche, la Comilog ne désarme pas. Après avoir investi 91 milliards de F CFA depuis cinq ans, notamment pour rénover la ligne de chemin de fer du Transgabonais (Setrag), elle doit y ajouter 130 milliards pour étendre l’exploitation sur le plateau d’Okouma et construire deux usines de transformation. La première pierre du futur complexe métallurgique de Moanda a été posée, le 7 avril dernier, en présence d’Omar Bongo Ondimba, sa dernière sortie officielle. Mais du côté d’Eramet, on répète que ce programme est conditionné par la construction du barrage du Grand Poubara dont les travaux de terrassement viennent à peine de commencer.

Avec près de 10 000 salariés, l’industrie forestière est le deuxième employeur après la fonction publique et fait vivre des régions reculées. Leader avec plus de 870 000 hectares de concessions, Rougier, présent depuis 1953, a investi plus de 10 milliards de F CFA, ces trois dernières années. Cet effort a permis d’obtenir la certification FSC (gestion durable des forêts) et de transformer sur place 62 % des grumes contre 30 % en 2005, conformément à la volonté affichée par Libreville. « Mais la crise s’est traduite par un ralentissement très fort, fin 2008. Nous avons dû arrêter l’une de nos trois usines, celle de Franceville. L’activité commence seulement à redémarrer, notamment les exportations de grumes vers l’Asie mais, pour les bois transformés vendus en Europe, c’est plus lent », explique Francis Rougier, le président du groupe français qui effectue un tiers de son chiffre d’affaires (158,5 millions d’euros en 2008) au Gabon.

« Omar Bongo a géré le pays comme un bon père de famille », explique l’un de nos interlocuteurs. Son successeur va devoir passer à la vitesse supérieure pour assurer le décollage d’un pays qui a tout pour réussir. « Sortir du paternalisme, faire ce que l’on dit et contrôler ce que l’on fait », voilà la bonne méthode conclut un autre témoin direct de l’époque Bongo.

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