Entre tensions et concertation

Depuis son retour sur la scène internationale après quinze années d’embargo, le pays se porte mieux et commence à engager les réformes indispensables. Cependant, la crise économique internationale a fait revenir la morosité et, à sept mois de la présidentielle, les frictions politiques inquiètent.

Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

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Togo, attention, fragile!

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La scène est si rare au Togo qu’elle en est presque irréelle. Le 21 juin, l’Union des forces de changement (UFC), parti historique de l’opposition, a défilé sans heurts dans la capitale, Lomé. Amassés dès 8 heures du matin dans le quartier de Bè-Château, un millier de manifestants vêtus de jaune, la couleur du parti, ont marché aux sons d’une fanfare digne de la Nouvelle-Orléans, brandissant des slogans hostiles au pouvoir. Arrivés en début d’après-midi sur le bord de mer, ils se sont calmement dispersés après le discours de leur leader, Gilchrist Olympio.

Il n’y a pas si longtemps, une telle manifestation aurait été tuée dans l’œuf par les autorités ou, pis, se serait soldée par de violents affrontements avec les forces de l’ordre. Aujourd’hui, elle passe inaperçue. L’UFC n’avait pas défilé depuis quatre ans, preuve de la pacification relative de la scène politique dans ce pays de 6,6 millions d’âmes où, jusqu’à présent, les morts des périodes pré et postélectorales se comptent par dizaines.

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Est-ce à dire que la prochaine présidentielle, fixée en février 2010, connaîtra la même accalmie ? Goguenard, le ministre de l’Administration territoriale, Pascal Bodjona, numéro deux du gouvernement de Gilbert Houngbo (nommé en septembre 2008), en met sa main au feu : « Ils pensaient que nous les empêcherions de sortir dans la rue pour mieux nous critiquer. Ils ont dû être déçus. La paix est installée dans ce pays. Nous ne reviendrons pas en arrière. »

Reste que, au Togo, la réalité est souvent plus complexe que des engagements solennels. À huit mois d’une échéance cruciale pour l’avenir de ce pays à peine sorti de quinze ans d’embargo sur l’aide internationale, les critiques sur la préparation du scrutin présidentiel s’intensifient. Pour Yawovi Agboyibo, candidat du Comité d’action pour le renouveau (CAR), dont il est le fondateur, « le pouvoir reformule constamment les règles du jeu et se donne l’illusion d’un cadre légal qui lui garantisse la victoire ».

Plans d’avant-campagne

Les principaux reproches visent le code électoral – dont la modification a été approuvée par l’Assemblée nationale le 29 juin au cours d’une séance boycottée par les 31 députés de l’opposition –, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), ou encore la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), dont la neutralité des membres est vivement contestée. Les critiques les plus virulentes sont réservées au Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC). Aux termes de l’Accord politique global (APG) signé entre plusieurs partis en 2006, à Ouagadougou, cette structure est censée approuver les réformes institutionnelles devant préparer la présidentielle. Initialement, ses membres devaient être les formations ayant réalisé plus de 5 % aux législatives d’octobre 2007, ce qui est le cas du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir), de l’UFC et du CAR. Mais ces deux derniers partis, qui disposent respectivement de 27 et de 4 députés à l’Assemblée, ont claqué la porte du CPDC depuis la publication, en mai, d’un décret présidentiel élargissant le Cadre à d’autres formations ainsi qu’à la société civile. « Nous disons non à cette manière de rassembler ceux qui, ensemble, n’ont pu réaliser un pourcentage suffisant pour faire partie du CPDC », estime Gilchrist Olympio.

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L’UFC et le CAR, qui ne cessent de tirer à vue sur ce « CPDC remanié », n’entendent pas pour autant boycotter l’élection présidentielle. Ils vont même unir leurs forces pour proposer une candidature unique. « Ce principe a été arrêté en début d’année, explique Agboyibo. C’est un passage obligé. » Et pour cause. La présidentielle de 2010, scrutin uninominal à un seul tour, ne laisse aucune place à l’improvisation. « Plus l’opposition alignera de noms, plus les chances d’une alternance dans ce pays dominé depuis quarante ans par le RPT se réduiront », estime un diplomate. L’UFC et le CAR, condamnés à s’entendre, ont, le 16 juin, réuni leurs états-majors au sein d’une commission mixte.

Mais ce rapprochement ne va pas de soi. Il ne s’agit pas que de fusionner des programmes. Il faut aussi départager deux figures vieillissantes, pour lesquelles le scrutin de 2010 sera l’une des dernières occasions de concourir. Or, si Olympio (72 ans) se retranche derrière son statut de premier opposant, Agboyibo (66 ans) n’entend pas s’effacer. Jugé plus consensuel, l’ex-Premier ministre du gouvernement d’union nationale de 2006 attend même un retour d’ascenseur après le soutien qu’il a apporté en 2005 au candidat de l’UFC, Bob Akitani. Pour corser le tout, il faut aussi compter avec les candidats transhumants, qui se réclament de l’opposition tout en siégeant au gouvernement, et avec les cavaliers solitaires, tel l’ex-secrétaire d’État de François Mitterrand, Kofi Yamgnane (voir p. 64). « Une dizaine de noms inscrits sur les listes électorales suffiront à fragiliser le camp hostile à Faure Gnassingbé », estime un observateur.

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De telles tractations ne risquent pas d’arriver au RPT. S’il ne s’est pas encore déclaré, le chef de l’État sera logiquement le candidat du parti fondé par son père, feu Gnassingbé Eyadéma. Face à une opposition en quête de stratégie, il devrait de surcroît ne souffrir d’aucune contestation dans son propre camp après l’arrestation, en avril, de son demi-frère. Accusé de complot contre la sûreté de l’État, Kpatcha Gnassingbé, actuellement détenu dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement, attend son procès. Toutefois, la thèse de la tentative de putsch ne fait pas l’unanimité. Selon plusieurs observateurs à Lomé, l’arrestation du populaire député RPT de Kara (dans le nord du pays), fief des Eyadéma, pourrait avoir été orchestrée afin de l’empêcher d’entrer en lice.

Faure marque des points

Sur fond de déchirements familiaux au sommet de l’État, les Togolais tentent, eux, de gérer un quotidien miné par la vie chère. La reprise de la coopération européenne se fait attendre. Quant à la crise internationale, elle aggrave la morosité ambiante. « Ce retournement de conjoncture fragilise notre relance et retarde les investissements », concède le ministre de la Coopération internationale, Gilbert Bawara.

En attendant la reprise économique, le président Gnassingbé devrait s’appuyer sur plusieurs récents succès pour faire la différence. Outre le retour de la communauté internationale et la bonne tenue des législatives en 2007, une Commission vérité, justice et réconciliation a été installée en mai (voir ci-dessous). Du 16 au 19 juin, Faure Gnassingbé a effectué une visite historique en Allemagne, la première d’un président togolais depuis plus de quinze ans. Quelques jours plus tard, il recevait le chef du gouvernement espagnol, en même temps que l’abolition de la peine de mort, adoptée le 23 juin par les députés togolais, était unanimement saluée.

« Face à ce bilan, sa préoccupation n’est pas tant de remporter l’élection que de la remporter proprement », confie un proche du chef de l’État. Entendez : une victoire qui ne puisse souffrir aucune contestation et qui fasse oublier les conditions d’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir. Les résultats du scrutin présidentiel s’étaient soldés en 2005 par plus de 500 morts.

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