Yazid Oulab

À 51 ans, cet artiste algérien atteint la consécration. Son œuvre atypique, qui mêle dessin, sculpture et vidéo, a été exposée au Centre Pompidou, à Paris.

Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Un clou en inox géant suspendu dans une église romane du XIIe siècle : l’idée est de Yazid Oulab. Chemise ouverte, Ray Ban à grosse monture, barbe sévère éclairée par un généreux sourire, l’artiste invité à exposer dans l’église Saint-Nicolas, à Tavant, près de Tours, explique sa démarche aux visiteurs. « Le clou, c’est évidemment le clou de la croix pour les chrétiens. Mais c’est aussi le clou de Nasreddine, le sage-fou du monde musulman, et une référence aux colonnes sur lesquelles méditaient les stylites, ces ermites syriens qui vivaient complètement isolés… » Une dame hausse le sourcil, un peu interloquée. Mais que vient faire cet artiste d’origine algérienne au fin fond de l’Indre-et-Loire ?

Rien ne prédisposait ce gamin de Sedrata, une petite ville de la wilaya de Souk Ahras, à l’est d’Alger, à devenir l’une des étoiles montantes de la création européenne. Il naît en 1958, aîné d’une fratrie qui compte trois garçons et une fille. Son père est mécanicien et agriculteur ; sa mère, professeur de français, est originaire de la Petite Kabylie. Après leur séparation, c’est la grand-mère paternelle qui élève Yazid. Mais c’est sa grand-mère maternelle, violoniste et dessinatrice à ses heures, qui lui transmet le virus de l’art. « Elle était épileptique, on lui interdisait le café, mais elle adorait ça, se souvient-il. Elle prenait une craie, dessinait sur le carrelage noir une cafetière et des tasses, puis s’en prenait gentiment à ma mère, en roulant les “r” : “Alors quoi ? Il faut que je vous fasse un dessin pour avoir du café ?” »

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Yazid grandit au sein d’une famille aimante, bien intégrée dans son quartier. À l’école, pourtant, les choses se gâtent. Il est myope et souffre sans le savoir de dyslexie : il confond souvent les lettres et obtient de mauvais résultats. De quoi faire enrager sa mère qui, un jour, lui casse son ardoise d’écolier sur la tête !

Études laborieuses, échec au bac… C’est une visite à un oncle, le grand écrivain Kateb Yacine, qui changera le cours de son destin. L’auteur de Nedjma prend le jeune homme sous son aile. Yazid devient l’homme à tout faire de la maison : il prépare la cuisine, conduit la voiture… et s’épanouit. Il règne en effet, dans le foyer du dramaturge, devenu le QG des étudiants, des intellectuels et des opposants au pouvoir algérien, une incroyable atmosphère de créativité. L’un de ces hôtes, le voyant peindre, lui propose de visiter l’École des beaux-arts d’Alger. « À 22 ans, je ne savais même pas que l’on pouvait apprendre l’art dans une école. J’étais abasourdi ! » Là, nouveau choc : Yazid aperçoit des filles et des garçons libres, sûrs d’eux, qui fument dans la cour. « C’est là que je devais être. »

À force de volonté et de travail, l’ancien cancre réussit à intégrer l’établissement. Mais six années d’études ne lui suffisent pas : en 1988, il s’inscrit à l’École d’art de Luminy, à Marseille. Ce n’est pas la première fois qu’il franchit la Méditerranée, aussi l’intégration se fait-elle en douceur. « J’avais eu l’occasion de voyager plusieurs fois en Europe. Je connaissais déjà un peu Marseille, je m’y suis fait accepter sans problème… Peut-être aussi parce que l’on souffre moins du racisme dans le milieu de l’art. »

Mais cet artiste multicarte, à la fois dessinateur, sculpteur et vidéaste, fasciné par l’œuvre autobiographique de l’artiste allemand Joseph Beuys (décédé en 1986) et les peintures riches en matière du Catalan Antoni Tápies, a aussi connu la pénibilité des tâches dévolues aux travailleurs immigrés. Multipliant les petits boulots pour financer ses études, il s’est ainsi frotté à la maçonnerie, ce qui explique que l’on retrouve souvent dans son œuvre des objets utilisés sur les chantiers : clous, tamis ou dessins réalisés au cordeau bleu de maçon. Depuis février 2009 et jusqu’à la fin de juillet, Oulab a élu résidence à l’Atelier Calder, à Saché, près de Tours, qui a déjà accueilli plusieurs grands noms (Sarkis, Ernesto Neto…). Et il est exposé dans les plus grandes institutions françaises (le musée des Abattoirs à Toulouse, le Centre Pompidou à Paris), ainsi qu’en Allemagne, au Japon, à New York…

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Oulab n’oublie pas pour autant à quel point le chemin de la reconnaissance fut long. Cela ne fait d’ailleurs que quelques années que ce quinquagénaire est affilié à la Maison des artistes, alors que la plupart des plasticiens en font la demande avant d’avoir 30 ans. « Un jour, un galeriste allemand m’a dit : “Vous venez de nulle part, vous n’avez pas d’histoire. Aucun artiste contemporain important n’est originaire du Maghreb.” Cela m’a forcé à réfléchir sur moi, à me demander ce qu’était ma culture. »

Sa culture ? Ce croyant converti sur le tard est fasciné par la mystique soufie – une de ses vidéos a d’ailleurs été tournée au cœur d’une cérémonie religieuse, proche de la transe, dans la communauté soufie de Toulouse. Sa foi est teintée de déisme – il se passionne autant pour la beauté des versets du Coran que pour la méditation transcendantale – et fondée sur la tolérance. Père divorcé, il s’enflamme contre l’ignorance des fondamentalistes, fume volontiers et ne dédaigne pas le vin fruité des Pays-de-la-Loire. « Ce que nous, Orientaux, pouvons apporter à l’art, c’est de la poésie », estime-t-il. Éric Dupont, son galeriste et ami, ne le contredit pas : « Il crée des œuvres justes, universelles, d’une totale gratuité. Il a, par exemple, réalisé le pari fou de construire un échafaudage de 33 mètres de long et de 11 mètres de haut en plein désert, à plus de 1 000 kilomètres au sud d’Alger ! », sous le regard médusé d’une dizaine d’ouvriers algériens.

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Le travail de l’artiste est atypique. Son mode de vie aussi. Installé dans le centre de Marseille, il retourne régulièrement en Algérie pour voir famille et amis. Son style tranche également : « Certains artistes ne sont pas autonomes, refusent de dialoguer avec le public. Lui, c’est un gros bosseur et un débrouillard, capable de réaliser des sculptures à la tronçonneuse dans des troncs de chêne environnant la résidence. Et il peut passer une heure avec un visiteur pour lui expliquer son travail », raconte Guillaume Blanc, responsable de la résidence de l’Atelier Calder.

Ce sont sans doute ces atouts, sa double culture et sa maturité, qui ont séduit des décideurs du monde de l’art contemporain, comme Jean de Loisy et Jean-Hubert Martin, grâce à qui il a pu entrer dans les collections du Centre Pompidou.

Devant l’essor fulgurant de sa carrière, son galeriste se prend à rêver : « C’est un artiste hors norme qui, un jour, dans une grande manifestation internationale, pourrait défendre les couleurs de la France. » 

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