Washington et Moscou s’aiment, mais du bout des lèvres
La première visite officielle de Barack Obama à Moscou, les 6 et 7 juillet, a été plus studieuse que flamboyante. Objectif atteint en matière de réduction des arsenaux nucléaires et convergence de vues sur l’Afghanistan. Pour le reste, il faudra attendre…
Rien à voir avec ses séjours au Caire, à Prague ou à Berlin. Barack Obama n’a pas fait un tabac à Moscou, lors de sa visite officielle, les 6 et 7 juillet. Le président américain et son homologue russe Dmitri Medvedev ont dû recourir à une série de locutions pour qualifier les laborieuses retrouvailles des deux grandes puissances qui, depuis des années, se regardent en chiens de faïence : redémarrage, reset, rapprochement, remise à zéro des compteurs, nouveau départ…
Dès son arrivée à la Maison Blanche, pourtant, l’Américain était demandeur. Il avait fait du réchauffement avec la Russie l’une des priorités de sa diplomatie. Côté russe, la réserve restait de mise. On avait du mal à digérer le soutien américain aux révolutions « orange » parties d’Ukraine et de Géorgie, ainsi que la pénétration de l’Otan dans les ex-démocraties populaires, ancien glacis de l’Union soviétique. Au Kremlin, on n’avait pas cru une seconde à l’élection d’un Noir à la présidence des États-Unis. À Obama on préférait son adversaire, John McCain, qui incarnait cette guerre froide dont nombre de dirigeants russes gardent une certaine nostalgie. Au moins, avec le candidat républicain, on savait à qui on avait affaire : un ennemi, mais prévisible.
Fini la diabolisation
Avec l’insaisissable Obama, rien n’est sûr. D’abord, parce qu’il brouille les frontières idéologiques : « Le meilleur moyen de tester une idée n’est pas de savoir si elle est américaine ou russe, mais si elle marche ou pas », a-t-il ainsi expliqué aux étudiants de la New Economic School de Moscou, le 7 juillet. Ensuite, parce qu’il pense qu’une « grande puissance ne montre pas sa force en dominant ou en diabolisant les autres pays ». Deux affirmations qui sont la négation du manichéisme et du nationalisme russes.
Le résultat des sept heures de négociations entre les deux présidents est tout de même appréciable. La Russie, qui n’a aucune envie de voir les talibans s’emparer du pouvoir à Kaboul, autorise l’armée américaine à utiliser son espace aérien pour acheminer des soldats, des armes et des munitions en Afghanistan. Elle a même accepté de prendre à sa charge les droits de survol et d’escale de 4 500 vols par an. L’économie sera de 133 millions de dollars (95,2 millions d’euros) pour Washington.
Les deux parties ont également signé un mémorandum prescrivant à leurs négociateurs respectifs de rédiger, avant le 5 décembre, un accord de type Start (Traité sur la réduction des armes stratégiques) qui ramènerait le nombre des têtes nucléaires américaines et russes dans une fourchette de 1 500 à 1 675 (contre 2 200 aujourd’hui), et le nombre des missiles et des bombardiers dans une fourchette de 500 à 1 100 (contre 1 600).
Mais ce résultat pourtant positif a aussi révélé que l’insatisfaction et l’ambiguïté demeurent. Le Kremlin voulait lier cette réduction des armes nucléaires stratégiques à l’abandon définitif du projet d’installation d’un bouclier antimissile américain en Pologne et en République tchèque – une idée de George W. Bush pour l’instant gelée par le président Obama qui veut en apprécier la pertinence. Les Américains ont beau expliquer aux Russes que cet ensemble de radars et de missiles est destiné, en Europe, à contrer une attaque éventuelle des Iraniens, Moscou n’en croit pas un mot et soutient que le dispositif est dirigé contre lui.
Les proches de Medvedev ont crié victoire et affirmé que la question du désarmement et celle du bouclier avaient été couplées, notamment parce que les experts des deux pays vont analyser « ensemble » la menace que représentent l’Iran et la Corée du Nord et la défense antimissile à leur opposer. L’entourage d’Obama s’est aussitôt employé à relativiser ces propos, en précisant que les négociateurs de Start n’avaient pas pour compétence « de discuter de la limitation des capacités de défense antimissile ».
Les patrons traînent les pieds
Les Russes souhaiteraient que les firmes américaines investissent davantage dans leur pays. On a donc profité de la visite de Barack Obama pour inaugurer la huitième usine de Pepsi dans la banlieue moscovite et pour lancer un partenariat entre le leader mondial du titane VSMPO-Avisma et l’avionneur Boeing. Malgré cela, les patrons américains traînent encore les pieds : le deuxième procès de Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien dirigeant du groupe pétrolier Ioukos, et de Platon Lebedev, son associé, n’est guère incitatif. Il rappelle que le pouvoir russe n’hésite pas à utiliser la justice à des fins politiques – et économiques – pour s’approprier des actifs qu’il juge stratégiques. Obama a accordé une interview au journal d’opposition Novaïa Gazeta, dans laquelle, tout en se défendant d’interférer dans le fonctionnement de la justice russe, il trouve « étrange que ces nouvelles accusations [de revente illégale de pétrole], qui ressemblent à celles du premier procès mais formulées autrement, ressortent aujourd’hui, plusieurs années après que ces deux hommes ont été emprisonnés ».
Tout au long de sa visite, l’Américain aura donc irrité le Kremlin, mais sans commettre l’irréparable ni faire la leçon de façon trop ostentatoire. Par exemple, il a affirmé que « la souveraineté des nations doit être un pilier de l’ordre international : ce principe doit s’appliquer à toutes les nations, y compris à la Géorgie et à l’Ukraine ». Manière de rappeler que l’invasion de la Géorgie par les troupes russes, au mois d’août 2008, et la reconnaissance des républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud n’étaient ni oubliées ni admises.
Peut-être parce qu’en 2008, alors qu’il était sénateur de l’Illinois, il avait été retenu par la police pendant trois heures à l’aéroport de Moscou avec son collègue républicain, le sénateur Richard Lugar, Obama a voulu rappeler que la liberté et les droits de l’homme faisaient partie de ses préoccupations. Le 7 juillet, il a reçu les principaux responsables de l’opposition – Boris Nemtsov, le président du mouvement Solidarnost, et Garry Kasparov, l’ancien champion du monde d’échecs –, malgré leur marginalisation totale dans la vie politique russe.
Preuve que le réchauffement des relations bilatérales tarde à se faire sentir, la rencontre entre Obama et le véritable tsar de toutes les Russies, le Premier ministre Vladimir Vladimirovitch Poutine, n’a duré, elle, que le temps d’un petit déjeuner très crispé.
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