RD Congo-Chine : les liaisons orageuses

Les relations entre Pékin et Kinshasa sont au beau fixe. En revanche, les expatriés chinois installés en RDC suscitent l’animosité de la population, notamment des commerçants qui subissent leur concurrence.

Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

Il n’est pas 8 heures et M. Goha transpire déjà sous sa chemise de coton à rayures. Des gouttes de sueur perlent dans sa moustache clairsemée. Le derrière calé sur une chaise en plastique, ce commerçant chinois de Kinshasa s’affaire pourtant moins que ses employés congolais : trois jeunes costauds en jeans et tee-shirt en train d’ouvrir, fermer, trier, ranger les innombrables boîtes de chaussures qui tapissent les murs de Yu Hing Congo.

L’enseigne ne le dit pas, mais la boutique de M. Goha, c’est un peu le paradis de la savate. Escarpins dorés genre Cendrillon, tongs, baskets en plastique, mocassins pointus en (faux) croco : on trouve tout dans ce couloir obscur ouvert sur l’avenue Kato, l’artère principale du Grand Marché de Kinshasa. Et à des prix nettement plus abordables que dans les magasins congolais. 

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9 milliards de dollars

Chez ACFR, à quelques mètres de là, la paire de babouches se vend 12 dollars. « Mais eux, les Chinois, ils la font à 4 dollars ! » s’énerve la plantureuse patronne, Mme Ida. Droite comme un militaire devant sa boutique, elle a trouvé sa solution face à la concurrence : le coup de matraque. « Nous, les Chinois, on n’en veut pas, s’ils osent entrer ici, je les chasse », prévient-elle sans décrocher un regard.

La Chine coopère avec la RD Congo depuis les années 1970. À l’époque, l’empire du Milieu construit ici un stade, là le Palais du peuple, immense édifice qui héberge le Parlement. Mais avec la guerre froide, Kinshasa, résolument ancré dans le camp de l’Occident, ne cédera pas davantage à la parade de Pékin. Trente ans plus tard, les deux pays sont au contraire devenus très, très proches. En 2007, ils ont signé des contrats permettant à la Chine d’exploiter les ressources minières congolaises en contrepartie de gigantesques travaux (routes, hôpitaux, chemins de fer), désormais appelés les « cinq chantiers », en référence au programme de reconstruction du président Joseph Kabila. Neuf milliards de dollars : le montant total des contrats, faramineux, donne un indice sur les attentes réciproques de l’un et de l’autre.

Mais sur l’avenue Kato et dans les allées alentour, la liaison sino-congolaise tourne en général à l’orage. Dans ce centre commercial à ciel ouvert, toujours bondé, les boutiques du type « Élégance Congo » alternent avec les « Shun Lin » et « Han Yank ». Plus fournies et meilleur marché, les secondes sont plus fréquentées que les premières. Certainement l’une des raisons à cette animosité que, dans la promiscuité du Grand Marché plus qu’ailleurs à Kinshasa, les Congolais expriment quant à leurs « amis » chinois. Rarement dans la violence, mais plutôt au travers d’aimables clichés. 

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Comme les Allemands

« Les Chinois n’aiment pas les Congolais, ce sont des racistes comme les Allemands », croit savoir Papi, 23 ans, vendeur de chemisiers, qui livre son analyse tout en habillant un mannequin à forte poitrine. « Ils travaillent de 8 heures à 22 heures et n’emploient que des journaliers pour faire des économies », assure Alain, un professionnel de la publicité, venu faire ses courses au Grand Marché. L’année dernière, son père, officier militaire à la retraite, a reçu une offre : louer l’une de ses maisons de Ma Campagne, un quartier rupin, à des immigrés chinois. « Il a dit niet, raconte-t-il. Ils ne sont pas propres, ils s’entassent à 30 ou 40 et laissent tout en mauvais état. » Il y a aussi les désormais célèbres « cinq chantiers » : prononcés avec un accent se voulant chinois, les deux mots sont lâchés par des plaisantins quand ils croisent un visage à la peau claire et aux yeux bridés dans une rue de Kinshasa.

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Moyennant quelques efforts, on peut toutefois soutirer quelques points positifs de la bouche des persifleurs. Grâce aux « cinq chantiers », les Chinois développent le pays. Et oui, c’est vrai, les produits chinois sont bon marché et nous sommes là pour les acheter. Autre qualité reconnue par Alain : « Les Chinois restent entre eux, ils ne sortent pas le soir et ne nous prennent pas nos femmes. »

Monsieur Goha, le patron de Yu Hing Congo, ne peut démentir. Réjoui de parler à un journaliste, ce quadragénaire sympathique déroule sa vie dans un récit en anglais entrecoupé de quelques phrases en lingala. Le soir, il évite de sortir. D’abord, parce qu’il n’est pas question d’aller voir les femmes congolaises, « elles ne sont pas belles ». Et puis, il y a aussi les « questions de sécurité ». Mais surtout, M. Goha préfère chatter sur Internet avec son épouse et son fils, restés vivre en Chine. Et au fond, il n’est pas si seul : il partage sa maison de Ma Campagne avec cinq colocataires, chinois également.

Commerçant quand il vivait dans son pays, M. Goha a débarqué en RD Congo en 2006, « pour faire du business ». C’est son patron, qui a des affaires en Tanzanie, au Congo-Brazzaville, en Angola et en RDC, qui l’a décidé. Aujourd’hui, il récite l’argumentaire qui l’a convaincu il y a trois ans : « La Chine produit pour le monde entier mais elle a mauvaise réputation, explique-t-il. Il faut des Chinois pour vendre et défendre la marchandise chinoise. » À l’appui, il brandit un mocassin noir dont il montre le numéro de série en promettant : « C’est du cuir ! »

Mais pour M. Goha comme pour bien de ses compatriotes des magasins alentour, les affaires ne marchent pas. « La vie est dure, se plaint-il. On ne peut comparer ce pays à aucun autre. Certains endroits sont vraiment très sales. » Bienveillant avec ses employés, il regrette les malentendus qui s’installent entre Chinois et Congolais. « C’est vrai, il y a du racisme entre nous. Eux ne comprennent pas pourquoi on n’a qu’un enfant. Nous, on les trouve paresseux. »

Mais ce qui énerve M. Goha par-dessus tout, c’est l’anarchie : « Ici, il n’y a pas d’État de droit, il faut payer des bakchichs. » Et de conclure : « Le problème, ce ne sont pas les habitants, c’est le gouvernement. » Une rengaine de la vie quotidienne qu’éprouvent chaque jour les Congolais.

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