Idriss Déby Itno : « Je ne suis ni un tueur ni un dictateur »

Les rebelles, Omar el-Béchir, l’argent du pétrole, l’affaire Habré, les relations avec la France… Le président tchadien se montre particulièrement incisif. En véritable chef de guerre, volontiers provocateur, l’homme qui a connu l’épreuve du feu sait mieux que quiconque attaquer pour se défendre.

Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 17 minutes.

Idriss Déby Itno est visiblement requinqué par sa victoire contre les rebelles qui ont mené le 4 mai, à partir du Soudan, une énième attaque. Le général, qui règne sur le Tchad depuis février 1990, a aujourd’hui les traits apaisés et la réplique abondante. Le contexte n’y est sans doute pas pour rien. Le péril, en février 2008, lorsque les insurgés sont arrivés aux portes du palais, semble aujourd’hui écarté.

Déby Itno ne s’en cache pas : il a fait le choix de consacrer une partie de l’argent du pétrole à l’acquisition d’armes pour enrayer ce qu’il considère comme un danger majeur pour son pays. Mais sans oublier de tenter de satisfaire une population dont le mécontentement pourrait être son pire ennemi de l’intérieur s’il arrive à anéantir cette menace venue de l’extérieur. En plus d’une augmentation des salaires de 12 % entre 2008 et 2009, il a créé une commission chargée de surveiller la cherté de la vie et de proposer les aides à accorder pour l’atténuer. Les Tchadiens peinent en effet à voir les retombées de l’argent du pétrole dans leur assiette de « pâte à la sauce gombo ».

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Leur cadre de vie change toutefois à vue d’œil. N’Djamena, la capitale, est devenue un vaste chantier. Presque toutes ses artères sont en train d’être goudronnées. Des édifices, comme l’hôpital de la Mère et de l’Enfant d’un coût de 13 milliards de F CFA conçu par l’architecte sénégalais Pierre Goudiaby, sortent de terre. Des hôpitaux, des écoles et des routes sont construits sur l’ensemble du pays. L’argent du pétrole coule sur le Tchad. Et ce n’est pas près de s’arrêter. Le 1er juillet, Idriss Déby Itno a posé la première pierre d’un oléoduc installé par les Chinois reliant les champs Rônier et Mimosa, situés à Mogo (à 300 km de N’Djamena), à la future raffinerie de Djermaya, à 40 km de la capitale. Après la cérémonie, il s’est prêté sans détour aux questions de Jeune Afrique

Jeune Afrique : Après avoir repoussé en trois jours, début mai, la dernière attaque rebelle, vous sentez-vous aujourd’hui en position de force ?

Idriss Déby Itno : Je ne me suis jamais senti en position de faiblesse. On ne peut pas être à la place où je suis, devoir protéger le territoire et la population de son pays contre des agressions extérieures, et trahir la moindre faiblesse. L’abdication n’est pas dans la culture de mon peuple, qui, depuis 1965, se bat pour sauvegarder sa souveraineté, la plupart du temps dans une position d’infériorité matérielle. Tout ce qui a changé, c’est que nous sommes aujourd’hui mieux armés pour faire face à nos ennemis. 

Est-ce à dire que votre capacité de dissuasion va dorénavant arrêter vos adversaires ?

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Chaque fois qu’ils nous ont attaqués, nous les avons défaits. Les nombreux revers ne les ont toutefois pas empêchés de recommencer. Il est sûr que le Soudan va continuer à agresser le Tchad. D’autant que la communauté internationale se limite à des condamnations de principe au lieu de prendre les dispositions adéquates pour faire cesser les violations répétées du droit international perpétrées par Khartoum. Voici cinq ans que je me bats au niveau de l’Union africaine, qui se réunit deux fois l’an, et qui, en autant de rencontres, n’a même pas réussi à rédiger un rapport de dix pages, ne serait-ce que pour relater les agressions contre le Tchad. Voilà pourquoi, au cours de la dernière attaque, lancée le 4 mai, j’ai décidé de retirer le dossier à l’UA pour le confier aux Nations unies. 

Peut-on parler d’agression extérieure, alors que ce sont des rebelles tchadiens, dont certains sont vos anciens collaborateurs, qui mènent les attaques ?

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Il se trouve que ces rebelles sont logés, nourris, blanchis, organisés, entraînés et équipés par le Soudan, qui leur sert également de base arrière et de zone de repli chaque fois qu’ils sont pourchassés. Le pouvoir de Khartoum, qui use du recrutement forcé, a un énorme réservoir – plus de 3 millions de Tchadiens vivent au Soudan – pour, après chaque défaite, régénérer la rébellion et organiser une nouvelle offensive. 

Un peu comme en 1990, lorsque le Soudan vous a aidé à renverser Hissène Habré…

La comparaison est mauvaise. En 1990, le danger que représentait Habré pour les droits de l’homme, l’unité des Tchadiens et la paix dans la sous-région imposait une implication de tous les pays voisins pour obtenir son départ. Aujourd’hui, le Soudan arme et soutient une bande de pillards dénués de projet politique, qui n’ont d’autre programme que la prise du pouvoir à tout prix. Ceux que vous appelez des rebelles, parmi lesquels figurent d’anciens collaborateurs, ne sont en réalité que des mercenaires. Détournés par les pétrodollars d’Omar el-Béchir, ils sont aujourd’hui devenus ses supplétifs. Ils se sont mis au service du Soudan.

En février 2008, quand ils sont arrivés jusqu’à N’Djamena, les Tchadiens ont vu l’ampleur des dégâts qu’ils ont causés : mise à sac des localités traversées, sabotage des infrastructures et administrations publiques, pillages des récoltes et greniers, viols à grande échelle, enrôlement forcé d’enfants dans leurs rangs… En seulement quarante-huit heures, ils ont tué 700 personnes et causé pour 160 milliards de F CFA de dégâts matériels. 

Que ressentez-vous en voyant les rebelles dirigés par votre neveu et ex-homme de confiance, Timane Erdimi ?

J’ai honte pour lui. Mais je sais, au vu de l’histoire des guerres, qu’il y a toujours eu des ralliés à l’ennemi, des traîtres à la patrie et autres animateurs de la cinquième colonne. Au cours de la guerre de libération de l’Algérie, il y a bien eu les harkis, ces Algériens qui sont allés combattre leurs frères dans les rangs de l’ex-puissance colonisatrice. Ils se sont plaints, à la fin de la guerre, d’avoir été abandonnés par la France. Tragique leçon de l’Histoire que les « harkis » tchadiens devraient méditer ! 

Vous avez été proche de votre homologue soudanais, Omar el-Béchir, avant de devenir son ennemi. Pourquoi ?

À un moment donné, son agenda nous a séparés : il a voulu installer un régime à sa dévotion à N’Djamena pour pouvoir ensuite, à partir de notre capitale, distiller le fondamentalisme islamique à travers toute l’Afrique subsaharienne. En 1991 déjà, je l’avais averti que nos deux pays, unis par de forts liens géographiques et humains, ne pouvaient cohabiter en paix que s’il s’abstenait de tenter d’imposer le fondamentalisme au Tchad, qui a opté pour la laïcité. Il a pris cette mise en garde pour de la rigolade.

Au lendemain de la fin de la guerre qui l’opposait à la rébellion du Sud-Soudan, El-Béchir s’est lancé dans un projet d’épuration ethnique : pousser tous les Noirs soudanais du Darfour, chrétiens comme musulmans, vers le Tchad, et faire revenir tous les Arabes tchadiens. D’où la technique de la terre brûlée utilisée par les Djandjawids pour « nettoyer » le Darfour. Au cours d’une rencontre, en 2006, à N’Djamena, je lui ai dit, en présence des présidents Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso et Abdoulaye Wade : « Votre projet est raciste et irréaliste. Vous ne pouvez pas m’envoyer 5 millions de Darfouris et prendre les Arabes tchadiens qui sont dans leur pays et ne veulent pas se retrouver au Soudan. » 

Soutenez-vous la Cour pénale internationale [CPI] dans ses accusations contre le président soudanais ?

Au-delà du Darfour, la politique de la terre brûlée mise en œuvre par El-Béchir a été étendue à notre pays. Jusqu’à 60 km en deçà de la frontière, vous ne trouverez âme qui vive. Tous les villages ont été incendiés, rayés de la carte. Les hommes ont été exterminés, les femmes violées et les enfants réduits à l’esclavage. Les mêmes techniques ont été employées pour chasser du Darfour les 3 à 4 millions de déplacés que nous accueillons. Aucun village négro-africain ne subsiste au Darfour. L’Allemagne nazie et le régime sud-africain d’apartheid n’ont pas fait pire que les Djandjawids et l’armée soudanaise. Ceux qui disent qu’il n’y a pas eu génocide ignorent les faits. 

Vous approuvez donc le mandat d’arrêt international lancé par la CPI contre El-Béchir ?

Je l’approuve. J’affirme même la pleine détermination de mon pays à coopérer avec la CPI dans ce dossier. 

L’avocat de la famille de l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu après son arrestation le 3 février 2008, vous menace également de poursuite devant la CPI… Allez-vous coopérer, le cas échéant ?

Quel que soit le tribunal au monde qui me convoquera, je répondrai. Je ne me reproche rien dans ce qui est arrivé à Ibni. Ceux qui allèguent le contraire n’ont qu’à exhiber des preuves pour étayer ce qu’ils avancent.

Pour les proches d’Ibni, vous avez au pire commandité son assassinat, au mieux couvert une bavure de militaires zélés…

Ce ne sont là que purs fantasmes. Malgré tout le respect que j’avais pour Ibni, il n’était pas au cœur de mes préoccupations, au début de février 2008. Les rebelles étaient aux portes de la présidence. Du 28 janvier au 3 février, la République avait cessé de fonctionner. À la tête des troupes à Massaguet, pour tenter de stopper la progression ennemie vers la capitale, j’ai perdu le chef d’état-major général des armées, le commandant de l’armée de terre et un nombre important d’officiers généraux. Le 1er février au soir, j’étais presque seul au Centre des opérations de la présidence. Il n’y avait ni le ministre de l’Intérieur, ni son homologue de la Défense, ni le chef d’état-major adjoint, ni le moindre officier général. Le 3 février, nous avons réussi, avec moins de 500 éléments de ma sécurité, à repousser les mercenaires. J’étais donc trop occupé pour penser à m’occuper d’opposants. Abdelkader Kamougué est le seul d’entre eux à m’être venu à l’esprit, car il m’a appelé de Kousséri, au Cameroun, pour se mettre à ma disposition. Je l’ai invité à me rejoindre au palais, mais il n’est jamais venu. 

Que répondez-vous à ceux qui argumentent qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh était pour vous un opposant dangereux ?

Je le répète : je ne gagne rien, ni sur le plan militaire ni sur le plan politique, à tuer un opposant. La capacité de nuisance électorale d’Ibni, sortie de l’imagination de pseudo-analystes, n’a jamais été prouvée dans aucune des élections auxquelles il a pris part. 

Pourquoi n’arrivez-vous pas à instaurer un vrai dialogue politique avec Ngarlejy Yorongar et Lol Mahamat Choua, chefs de file de l’opposition ?

Vous évoquez deux personnalités fort différentes. Si j’ai des problèmes de communication avec Yorongar – et je ne suis pas le seul, vu ses désaccords avec le reste de l’opposition –, je parle régulièrement avec Lol. Je n’y peux rien si Yorongar persiste à ne pas vouloir discuter avec moi, en dépit de mes appels répétés. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de dialogue politique au Tchad. L’accord du 13 août 2007, signé par toutes les forces politiques, est en cours d’application. Dans ce cadre, la loi créant la Commission électorale nationale indépendante [Ceni] a été promulguée. La mouvance présidentielle a déjà fourni les noms de ses quinze représentants au sein de cette structure. L’opposition, quant à elle, peine à désigner les siens, faute d’entente entre ses leaders sur la répartition des places. Figurez-vous qu’il y a pas moins de 110 partis au Tchad. Nous espérons toutefois qu’ils arrivent à s’entendre pour que la Ceni commence à fonctionner et à préparer les échéances électorales de 2011. 

Êtes-vous favorable à un jugement de votre prédécesseur, Hissène Habré ? Vous étiez son chef d’état-major, ne craignez-vous pas d’être épinglé ?

Je suis, plus que quiconque, favorable au jugement d’Habré. Je sais que beaucoup pensent, y compris mon frère et homologue Abdoulaye Wade, que j’ai des choses à me reprocher. Il n’en est rien. En tant que chef d’état-major, je me suis limité à combattre les forces libyennes qui occupaient une partie de notre pays. En bon soldat, j’ai honoré mon devoir en me battant personnellement sur tous les fronts. 

Par quel miracle avez-vous pu vous tenir à l’écart de toutes les dérives du régime Habré ?

Je ne suis mêlé, ni de près ni de loin, aux différentes exactions alors perpétrées par les services spéciaux. Si tel était le cas, je n’aurais pas perdu onze de mes frères, onze Déby, qui ont péri dans les geôles d’Habré. Même si je ne me plains pas, je suis une victime. Je réclame d’autant plus justice que je ne sais pas si mes frères – dont un ancien ministre, un médecin et des militaires – ont été incendiés, jetés dans le fleuve ou ensevelis dans des fosses communes.

J’ai demandé, en offrant toutes les garanties d’un procès équitable, que Hissène Habré soit jugé au Tchad. Devant le refus de l’UA, j’ai offert ma collaboration au Sénégal. Le ministre tchadien de la Justice s’est rendu à Dakar pour annoncer à Abdoulaye Wade une contribution initiale de 2 milliards de F CFA pour organiser le procès. Nous ne pouvons pas mieux exprimer notre bonne foi. 

Le 25 octobre 2007, cent trois enfants tchadiens ont été libérés alors qu’ils s’apprêtaient à être exfiltrés par l’ONG L’Arche de Zoé. Les six responsables de ce scandale sont aujourd’hui en liberté, après avoir accompli cinq mois de prison. Si c’était à refaire, les auriez-vous remis à la France ?

J’ai fait ce que j’ai fait en pleine conscience : appliquer une convention judiciaire liant la France à notre pays. Je suis toutefois surpris que ces voyous se retrouvent en liberté aussitôt après avoir quitté le Tchad. Et que les dommages et intérêts revenant aux familles des victimes n’aient toujours pas été payés. Je considère que cette affaire est toujours pendante. D’autant que le président français, Nicolas Sarkozy, m’avait garanti que son pays allait contribuer à l’indemnisation des victimes. 

Vous sentez-vous donc floué par Nicolas Sarkozy ?

Je continue jusqu’ici à croire que Nicolas Sarkozy fera ce qu’il a dit. Je ne peux penser un seul instant qu’un chef d’État qui a donné sa parole puisse se dédire. 

Où en sont vos relations avec la Banque mondiale, qui, en septembre 2008, a annoncé la rupture de ses liens avec le Tchad pour désaccord sur l’utilisation de l’argent du pétrole ?

Je n’ai pas de problème particulier avec la Banque mondiale, qui reste un partenaire. Son bureau local travaille d’ailleurs en bonne intelligence avec le ministère des Finances et nous poursuivons un programme de référence. Ce qui est arrivé en 2005, avec le bras de fer autour du Fonds pour les générations futures, est aujourd’hui du passé. À l’époque, nous ne pouvions continuer à garder de l’argent alors que notre pays, attaqué de toutes parts, risquait d’être démembré. En ma qualité de garant de l’intégrité territoriale, je ne pouvais laisser faire et ne pas équiper nos soldats pour faire face à des rebelles lourdement armés. Voilà pourquoi j’ai touché au Fonds pour les générations futures, qui avait été mis en place – il faut le préciser – sur ma propre initiative et non sur celle de la Banque. C’est également moi qui ai eu l’idée du Collège chargé du contrôle et de la surveillance des ressources pétrolières et de la rétrocession de 5 % des recettes à la région productrice. 

L’argent du pétrole ne vous sert-il pas avant tout à acquérir des armes plus qu’à satisfaire les besoins de la population ?

Aucun pays au monde n’utilise mieux ses ressources pétrolières que le Tchad. La transparence est absolue. Le Collège dépose tous les trois mois un rapport public sur la gestion des recettes. Même nos adversaires reconnaissent aujourd’hui que le Tchad change à vue d’œil. J’ai acheté des armes, certes, mais aussi et surtout construit des écoles et des hôpitaux, augmenté le salaire des fonctionnaires, recruté des diplômés sans emploi, goudronné des milliers de kilomètres de routes – 500 km en ce moment même –, érigé des ponts, instauré la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les malades du sida et mis plus de 60 milliards de F CFA dans un ambitieux Programme national pour la sécurité alimentaire [PNSA] destiné à promouvoir ­l’agriculture et l’élevage… 

Des ONG tchadiennes dénoncent aussi des fortunes subites nées dans votre entourage depuis que le pétrole a commencé à couler…

C’est dans le rôle d’une ONG de dénoncer pour exister. Si c’est moi qui suis visé, tous ceux qui me connaissent savent que je me fous de l’argent. Je ne vois dans l’argent du pétrole qu’un instrument pour construire le Tchad. Je déteste les intrigants, les cupides et les corrompus. Quiconque détourne les deniers publics sera puni, mon entourage le sait. 

Que faites-vous pour diminuer la dépendance au pétrole ?

Le Tchad n’est pas un pays pétrolier. Je m’emploie tous les jours à faire comprendre à mes compatriotes que nous sommes un pays agricole qui produit un peu de pétrole, et que les deux mamelles de notre économie sont l’agriculture et l’élevage. Je suis en train d’investir massivement pour moderniser nos outils de production. Dans quelques années, je veux que, outre le coton, le Tchad soit exportateur de sésame, d’arachide, de maïs… Dans le cadre du PNSA, des surfaces sont actuellement aménagées pour qu’il y ait deux récoltes de riz par an. Avec nos plaines larges et fertiles ainsi que nos lacs et rivières, il est anormal que notre agriculture ne génère pas d’excédents.

Qui peut jouer à présent le rôle du sage en Afrique centrale, après le décès du « doyen » Omar Bongo Ondimba ?

Je ne pense pas qu’il soit facile de remplir toute la place laissée vacante par le président Bongo Ondimba, à qui je rends un vibrant hommage pour le rôle de pacificateur qu’il a joué dans notre sous-région. À l’occasion de ses obsèques, à Libreville, nous nous sommes retrouvés, chefs d’État d’Afrique centrale, pour analyser la suite. J’ai proposé à notre homologue camerounais, Paul Biya, de prendre le relais. Une région aussi tourmentée que la nôtre a besoin d’une autorité morale pour régler ses crises. 

Pourquoi avez-vous fait arrêter, puis libérer, l’opposant centrafricain Charles Massi alors qu’il s’apprêtait à franchir la frontière pour rejoindre ses troupes entrées en rébellion ?

J’ai fait arrêter Charles Massi car il tentait de passer illégalement par le Tchad pour aller attaquer la Centrafrique. Je n’ai pas compris pourquoi ce jeune, qui a été ministre du président François Bozizé, se lève brusquement pour tenter de le renverser par les armes. Ne pouvait-il pas lui parler pour aplanir leur différend ? À présent, le mieux serait que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés le conduise vers un pays non frontalier avec la Centrafrique.

Qu’elle émane de Massi, ou d’Abdoulaye Miskine, qui a créé une rébellion à partir de la Libye où il s’est réfugié, je n’accepterai aucune action de déstabilisation de la République centrafricaine. J’interviendrai militairement dans ce pays frère, comme je l’ai fait au Tchad où je n’ai pas attendu la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad [Minurcat] pour sécuriser mes compatriotes. 

Pourquoi avez-vous plus de mal à vous entendre avec Nicolas Sarkozy qu’avec son prédécesseur, Jacques Chirac ?

Je n’ai pas de problème relationnel avec Sarkozy. Seulement, Chirac avait une grande facilité de contact et de communication avec les Africains. Il savait trouver le bon langage. Le Tchad et la France gardent toutefois les mêmes rapports de coopération. Je discute avec Nicolas Sarkozy, avec qui j’ai de temps en temps des contacts téléphoniques. Mais, au-delà, il faut que les Africains se départissent de l’idée que sans la France le monde s’arrête. Nos pays sont indépendants depuis cinquante ans. Il faut qu’ils s’assument comme des États à part entière. Sarkozy a raison de le dire : l’époque où il fallait attendre l’avis de Paris sur tout est révolue.

Vous avez tout de même eu besoin de la France pour repousser les rebelles, en février 2008…

La France nous a fourni du renseignement et je l’en remercie. Ce n’est toutefois pas trop demander à un partenaire, dont les forces sont stationnées chez nous, et qui est lié au Tchad par un accord de coopération militaire prévoyant l’intervention en cas d’agression extérieure. Ce qui était, en l’occurrence, le cas. 

Êtes-vous un chef d’État ou un éternel chef de guerre ?

Je suis un Tchadien fier, qui a choisi le métier des armes pour servir son pays qu’il aime. Je suis devenu soldat contre l’avis du proviseur de mon lycée, qui me voyait devenir médecin après le bon bac D que j’ai obtenu. Admis à l’école des officiers, j’ai choisi la formation de pilote, que j’ai effectuée en France. J’ai été formé dans les plus grandes écoles militaires. Par respect du devoir, j’ai toujours conduit moi-même mes troupes sur les théâtres de conflit. J’ai ainsi du plomb dans le corps, pris notamment au cours de la guerre pour libérer une partie de notre pays occupée par les forces libyennes, dans les années 1980.

J’aime mon pays. J’ai pris le pouvoir par devoir, pour sauver le Tchad du chaos, sans jamais en avoir rêvé auparavant. Je suis un homme sincère, tolérant, qui déteste le mensonge et la cupidité. Ceux qui me collent l’étiquette caricaturale d’un dictateur tropical ne me connaissent pas. 

Vos adversaires vous accusent d’avoir révisé la Constitution en 2006 afin de continuer à profiter des richesses pétrolières…

À la différence de ceux qui usent de l’argent public à leur guise, j’ai choisi de le dépenser pour changer le sort de mes compatriotes. Nul ne me connaît le moindre bien immobilier en dehors de mon pays. J’ai grandi dans une famille modeste, qui m’a inculqué la sobriété. Avec mes six frères et sœurs, mon père nous donnait à chacun, à chaque ouverture des classes, un mouton à vendre pour couvrir les frais de scolarité. Voilà pourquoi j’ai dit à mes enfants de ne pas compter sur moi pour leur léguer un quelconque héritage. À eux de se débrouiller, après avoir bénéficié de conditions que je n’ai pas eues. 

Le 1er février 2008, au cours des combats à Massaguet, à 80 km de N’Djamena, vous avez manqué de peu d’être capturé par les rebelles. Replié sur la capitale, vous avez été presque encerclé dans votre palais. Avez-vous eu peur ?

Je ne connais pas la peur ; protéger mon pays m’apporte sérénité et calme aux moments les plus critiques. Et puis je ne suis pas quelqu’un qu’on attrape. Je ne suis pas fait pour cela. On dira peut-être un jour qu’Idriss est mort sur le champ de bataille. Mais on ne dira jamais qu’il a été capturé ou qu’il a été fait prisonnier. Mon honneur de général de l’armée du Tchad me l’interdit. 

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