Sirleaf égratignée
C’est un coup dur pour Ellen Johnson Sirleaf, la « dame de fer » du Liberia. Le rapport final de la Commission vérité et réconciliation (CVR), rendu public au début de juillet après trois ans d’enquête, recommande en effet d’écarter la présidente, au pouvoir depuis 2006, de toute fonction officielle pendant trente ans. Une lourde sanction pour cette femme de combat, qui ne pourrait donc remettre son mandat en jeu en 2011.
Entendue par la CVR en février dernier, Sirleaf avait nié avoir joué un rôle dans la guerre civile qui a ravagé le pays de 1989 à 2003. Elle a néanmoins reconnu avoir soutenu Charles Taylor aux premières heures de sa lutte contre Samuel Doe. Victime de l’ancien chef de l’État, connu pour sa brutalité, Sirleaf avait été plusieurs fois jetée en prison avant de choisir l’exil aux États-Unis.
À cette époque, au début de 1990, la diaspora est divisée : faut-il recourir aux armes pour renverser Samuel Doe ? Sirleaf pense qu’il faut soutenir Taylor. Avec un groupe de dissidents en exil, elle participe à une collecte de fonds. « Nous avons réuni 10 000 dollars », explique-t-elle dans son autobiographie*, ajoutant que cette somme devait servir « à acheter de la nourriture pour les troupes de Taylor et pour les habitants du comté de Nimba ». Une naïveté qui sied mal à cette politicienne avertie…
Devant la commission comme dans son livre, elle a exprimé ses regrets et reconnu une « erreur de jugement ». Faute avouée qui n’est pas pour autant pardonnée… Dans le rapport final, la présidente libérienne fait partie des quelque deux cents personnes épinglées pour des faits allant du simple soutien financier aux crimes de guerre. En tête de liste figurent les tristement célèbres chefs de guerre, comme l’ancien président Charles Taylor, aujourd’hui détenu à La Haye dans le cadre d’une enquête du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ou Prince Johnson, devenu sénateur.
Voir le nom de Sirleaf mêlé à celui des plus grands criminels du pays est, pour beaucoup d’observateurs, à la fois choquant et suspect. Selon Stephen Ellis, chercheur et spécialiste du Liberia, cité par le quotidien britannique The Independent, la présidente est victime de « ses ennemis et rivaux, influents au sein de la commission », qui veulent saper sa carrière. Pour cette commission, par ailleurs divisée sur l’opportunité de citer Sirleaf dans son rapport, s’attaquer au premier personnage de l’État est aussi une façon de crédibiliser son action en montrant que nul n’est épargné par la recherche de la vérité.
Sirleaf, dont l’opposition a réclamé la démission dès le 7 juillet, ne s’était pas encore exprimée quand nous mettions sous presse. En revanche, la riposte des anciens chefs de guerre a été immédiate. Prince Johnson a dénoncé une « justice sélective » et qualifié le rapport de « vaste plaisanterie ». Il pourrait, avec d’autres, remettre en cause la paix si difficilement acquise.
Les députés devraient commencer à examiner le rapport dès la mi-juillet. Puis déterminer quelles suites lui donner et décider s’il est enfin temps de pardonner.
* This Child Will Be Great, Harper Collins, 2009.
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