Tibéhirine: Jusqu’où ira la crise ?

Le témoignage d’un général français imputant la mort des sept moines de Tibéhirine, en 1996, à une bavure de l’armée algérienne suscite l’indignation à Alger. Le président Bouteflika pourrait reporter sa visite officielle en France, prévue pour septembre.

Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

L’assassinat, en mars 1996, de sept moines trappistes, enlevés par les Groupes islamiques armés (GIA) et retrouvés décapités, continue d’empoisonner les relations franco-algériennes. Dernier rebondissement : le témoignage du général François Buchwalter, qui était, à l’époque, attaché militaire à l’ambassade de France à Alger. Entendu le 25 juin à Paris par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trevidic, l’officier français apporte une nouvelle version des faits : les moines auraient été tués après une bavure de l’armée algérienne, qui aurait bombardé un camp retranché des GIA dans les maquis de Tibéhirine, non loin de Médéa. Cette information lui aurait été confirmée par un ressortissant algérien, dont le frère, militaire, aurait participé à l’opération.

Le 5 juillet, jour anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’affaire fait la une des médias français. Le président Nicolas Sarkozy s’émeut et assure que la justice ira jusqu’au bout, car « les relations entre les grands pays s’établissent sur la vérité et non sur les mensonges ». À Alger, c’est le tollé. Du moins du côté de la presse indépendante, qui dénonce le retour du « qui tue qui ? », formule qui, dans les années 1990, désignait la campagne menée par la presse et des ONG françaises mettant en doute l’identité des auteurs de massacres et les attribuant à l’armée algérienne. « On croyait en avoir fini depuis les attentats du 11 septembre 2001 », déplore un éditorialiste algérois.

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Les relations entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale n’ont jamais été simples. Elles fluctuent au gré des humeurs et passent par des hauts et des bas – ces derniers étant les plus fréquents. La crise de juillet 2009 est, sans doute, la plus lourde de menaces. « Nous sommes habitués à des provocations de ce genre, assure un diplomate algérien. Mais jamais pareille attaque n’était venue d’un niveau de responsabilité aussi élevé. »

Presse déchaînée

À Alger, on rappelle les faits. Quelques jours après le rapt revendiqué par les GIA, le général Philippe Rondot, alors patron des services de renseignements français (et aujourd’hui connu du public pour le rôle qu’il a joué dans l’affaire Clearstream), se rend à Alger. Il prend contact avec ses homologues algériens, les généraux Tewfik, patron du Département renseignement et sécurité (DRS), et Smaïn Lamari, chef du contre-espionnage et coordonnateur de la lutte antiterroriste, aujourd’hui décédé.

Rondot demande et obtient que l’armée algérienne s’abstienne de toute action pouvant mettre la vie des otages en danger. Des garanties lui sont données. En outre, il informe ses interlocuteurs qu’il négocie avec un émissaire des GIA et exige que ce dernier ne soit pas inquiété durant les tractations. Les pourparlers échouent et les otages connaissent le sort que l’on sait.

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Selon Buchwalter, c’est cet accord qui aurait été transgressé par l’armée algérienne, des hélicoptères de combat ayant bombardé le camp où étaient détenus les religieux français. Une version démentie, le 6 juillet 2009, par Alain Juppé et Hervé de Charette, respectivement Premier ministre et ministre des Affaires étrangères au moment des faits. Ce dernier affirme que le témoignage de Buchwalter n’est qu’une énième version qui repose sur des spéculations et des témoignages douteux, émanant de déserteurs de l’armée algérienne ou de demandeurs d’asile en attente de régularisation.

Ces propos modérés ne calment nullement les Algériens. Si, côté officiel, on observe le silence, la presse et la classe politique se déchaînent. Et reprochent au pouvoir algérien sa mollesse. « La moindre des réactions aurait été de convoquer l’ambassadeur de France pour qu’il explique les propos provocateurs de Sarko ! » D’autres exigent le rappel de Missoum Sbih, l’ambassadeur d’Algérie à Paris. Pour la « Famille révolutionnaire » – les partis et les organisations qui se réclament du nationalisme pur et dur –, les autorités françaises ont choisi à dessein le moment des festivités célébrant le 47e anniversaire de l’indépendance pour « faire diversion alors que l’on exige de la France qu’elle se repente de l’ensemble des crimes commis durant sa présence coloniale ».

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Une autre partie de la classe politique estime que cette « nouvelle sortie » de la France répond à des motifs économiques. Le gouvernement d’Ahmed Ouyahia vient en effet d’adopter une série de mesures qui gênent considérablement les importateurs en leur imposant d’associer, à hauteur de 30 % de leur capital, un partenaire algérien, public ou privé. Une catastrophe pour les opérateurs français, la France étant le premier pays fournisseur de l’Algérie, avec un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de dollars pour la seule année 2008.

« Ce sont nos martyrs »

Circonstance aggravante : la « provocation » française survient au moment où Abdelaziz Bouteflika vit un drame familial : sa mère, Mansouriah Ghezlaoui, est décédée dans la nuit du 5 au 6 juillet. L’absence de réaction officielle au moment où nous mettions sous presse ne signifie pas qu’il n’y en aura aucune. Selon nos informations, le deuil n’a pas empêché le président algérien de mettre en place, à El-Mouradia, une cellule de réflexion et d’évaluation chargée de lui soumettre une série de propositions sur l’attitude à tenir et d’élaborer une réponse appropriée. D’ores et déjà, il semblerait que sa visite d’État à Paris, prévue pour septembre prochain, sera reportée sine die.

Une fois de plus, le « qui tue qui ? » se révèle contre-productif pour ses initiateurs. Non seulement il n’a pas déstabilisé le pouvoir, mais il a consolidé la place de l’armée dans le cœur des Algériens qui l’ont perçu comme une démarche visant à blanchir les bourreaux salafistes des crimes commis contre le peuple. En outre, les moines trappistes sont considérés, ici, comme des Algériens. « Ce sont nos martyrs, au même titre que les 100 000 autres victimes de la barbarie islamiste », assure Zakaria, un éleveur de Tibéhirine qui les a longtemps côtoyés.

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