« In sickness and in power »

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Publié le 15 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

«Quand un président fait quelque chose, cela signifie que ce n’est pas illégal. »

Comment réagissez-vous à une telle affirmation ? Sonne-t-elle juste à vos oreilles ? Ou bien êtes-vous choqué de l’entendre ?

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Si je précise que l’auteur de ce postulat était, au moment où il l’a formulé, le président élu d’une grande démocratie, la plus grande de toutes, les États-Unis d’Amérique, et qu’il venait d’être réélu pour un second mandat, cela vous conduit-il à plus d’approbation ou à un rejet plus net ?

L’homme politique qui a prononcé cette phrase y croyait, en tout cas, dur comme fer.

Mais, parce qu’il en était tout à fait persuadé, il s’est rendu coupable, en toute inconscience, de nombreux actes illégaux. Il s’appelait Richard Nixon, était connu pour son cynisme à tous crins et n’allait d’ailleurs pas tarder à être contraint à la démission par la classe politique (et la presse) de son pays, indignées par ses dérapages.

On l’appelait « le tricheur » ; il n’échappera à la justice (et à la prison) que parce que son successeur jugera bon de lui accorder une « grâce présidentielle ».

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Et mourra bien plus tard, sans avoir compris, ou, en tout cas, admis que son postulat était faux…

Son exemple est extrême, mais, hélas, pas unique, beaucoup s’en faut : dans trop de pays, dont certains sont d’authentiques démocraties, des présidents et autres chefs d’exécutif se laissent aller plus souvent qu’on ne le pense à commettre des actes illégaux.

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Ce n’est pas toujours relevé et c’est rarement sanctionné.

Mais nous n’avons, les uns et les autres, qu’à regarder ce qui se passe dans nos pays ou chez nos voisins pour faire le décompte de tels actes et constater qu’ils sont, en effet, fort nombreux.

Dans un livre récent et dont le titre fait frémir, David Owen en passe un certain nombre en revue et leur donne une explication… clinique.

Édité par Prayer, le livre s’intitule In Sickness and in Power*. En français, le titre serait Ces malades qui sont au pouvoir ; il traite de cas que l’auteur a connus, qu’il a examinés ou dont il a entendu parler.

David Owen est doublement qualifié pour nous parler des hommes politiques et de leur santé mentale : il est médecin neuropsychologue et psychiatre de profession, et sa longue carrière politique l’a conduit à occuper les postes les plus élevés dans le gouvernement britannique, dont celui de ministre des Affaires étrangères en 1977.

De l’intérieur d’un système démocratique, il a donc pu voir comment se comportaient les hommes politiques de son pays et ceux du reste du monde.

C’est un auteur qui sait vraiment de quoi il parle et connaît les gens qu’il décrit.

Voici ce qu’il dit et qui va au-delà de ce que nous soupçonnions :

« Chez un grand nombre de chefs d’État, l’expérience du pouvoir entraîne des altérations psychologiques qui se traduisent par des illusions de grandeur et des attitudes narcissiques et irresponsables.

Les dirigeants atteints de ce syndrome d’hubris politique croient qu’ils sont capables de grands exploits et qu’on attend d’eux des actions extraordinaires.

Ils estiment qu’ils savent toujours mieux que les autres et que les règles de moralité ne s’appliquent pas à eux.

Ils sont persuadés que les pays qu’ils dirigent incarnent les forces du bien dans le monde et sont incapables de la moindre injustice.

Plus ces hommes politiques s’accrochent au pouvoir, plus ces tendances comportementales semblent s’accentuer, comme on a pu le voir avec Mao, Castro et Mugabe. »

David Owen examine en particulier le cas de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qu’il connaît bien, et de celui du président américain George W. Bush, qu’il a rencontré.

Au sujet de Blair, qui avait autrefois voulu embrasser la carrière d’acteur, Owen écrit que « grâce à la politique, celui-ci disposait d’une vaste scène de théâtre pour jouer la comédie ». Et de prévenir : « Les acteurs devenus hommes politiques ont tendance à être particulièrement narcissiques. »

Blair avait la conviction absolue que ses motivations étaient toujours parfaitement honorables. C’est cette conviction qui l’a poussé dans les bras de Bush.

Dans un autre chapitre de son livre, David Owen cite le témoignage saisissant de l’ancien ministre des Affaires étrangères palestinien, Nabil Shaath. Ce dernier rapporte que Bush lui a déclaré en présence d’autres responsables palestiniens : « Je suis porté par un sentiment de mission divine à accomplir… Dieu me disait : “George, va mettre fin à la tyrannie en Irak.” Et je l’ai fait. »

Cette religiosité et ce zèle missionnaire ont contribué à rapprocher Blair de Bush, à les coaliser pour renverser Saddam Hussein.

Un dirigeant atteint de ce syndrome d’hubris peut mentir, contourner la loi, envahir un pays étranger : il justifiera le tout par une mission suprême à accomplir.

Il se place au-dessus des lois et de la morale ; les principes religieux eux-mêmes lui paraissent… contingents.

Plus le temps qu’il passe à la tête de l’État est long, plus sa suffisance se trouve légitimée par un pouvoir grandissant que personne n’ose contester.

Les narcissiques sont souvent au pouvoir, car ils le veulent plus que les autres.

Ce que Cioran a écrit sur les tyrans s’applique admirablement à ces malades du pouvoir décrits par David Owen :

« Les tyrans ont une grande connaissance des hommes. Ce ne sont pas des idiots. Ils savent exactement comment on manipule les peuples. On ne peut être à la fois un tyran et un imbécile.

Les tyrans sont comme les scientifiques, toujours en train d’expérimenter pour voir jusqu’où ils peuvent aller. Ils avancent jusqu’au bout, jusqu’au moment où tout s’écroule. Les trois quarts de l’Histoire sont l’histoire de la tyrannie et de l’esclavage. »

L’esclavage est fort heureusement en voie d’extinction, et la tyrannie, elle, est en net recul.

Les hommes politiques qui se sont hissés au sommet du pouvoir n’ont pas tous contracté les maladies décrites par David Owen. Et ce dernier, qui a été l’un d’eux, se garde bien de le laisser entendre.

Ceux dont il traite dans son livre restent donc des cas, même si ces cas sont trop nombreux, et si les dégâts qu’ils ont occasionnés sont très importants.

Lorsqu’on a terminé la lecture (déprimante) du livre de David Owen, on en arrive à cette conclusion simple : de même que l’alcool monte à la tête de ceux qui le consomment sans modération, le pouvoir enivre ceux qui en ont trop rassemblé entre leurs mains, l’exercent trop longtemps et sans contre-pouvoirs suffisants.

Et, parmi eux, certains tiennent l’alcool moins bien que d’autres.

* Sous-titre : Illness in Heads of Government during the Last 100 Years (la maladie chez les chefs de gouvernement au cours du dernier siècle).

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