Roi de la pop, roi d’Afrique
Soiréés spéciales en boîtes de nuit ou recueillement improvisés… comme partout ailleurs, les fans du continent pleurent la mort du Roi de la pop. Un roi qui, malgré ses transformations physiques, n’aura jamais renié ses racines.
Michael Jackson : roi de la pop, roi de l’Afrique
Michael Jackson n’a pas fini de faire parler de lui, que ce soit en Amérique, en Europe, en Asie ou en Afrique. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Maroc, en Algérie, partout sur le continent, plusieurs jours après sa mort, la presse continue d’évoquer l’immense talent, l’enfance difficile et les déboires avec la justice de la star.
Michael, presque oublié ou boudé des mélomanes africains depuis une dizaine d’années, a fait son retour dans les foyers et dans les boîtes de nuit, où se multiplient les soirées organisées en son honneur. Sur les ondes des radios et les écrans de télévision. Albums piratés et posters ont même réapparu à Sandaga, le grand marché du centre de Dakar. « J’en ai vendu moins que prévu car les temps sont durs, mais ça va venir », témoigne un marchand ambulant qui espère faire de bonnes affaires. Les Sénégalais, gênés par l’image d’une créature fantomatique, même s’ils saluent les performances de l’artiste, ne sont peut-être pas encore totalement réconciliés avec lui. Car ici, personne ne comprend ni n’accepte que l’idole black des années 1970 et 1980 soit devenue cette chose plutôt maigrichonne au teint laiteux, à la chevelure de jais et au sourire carmin. Une incompréhension encore largement partagée aujourd’hui en Afrique subsaharienne. Le 29 juin dernier, dans un quotidien nigérian, Daily Independent, le journaliste Michael John ironise : « C’était un gars épatant, au nez épaté – c’est du moins ainsi que Dieu l’a fait. […] À 26 ans, le Roi de la pop est apparu avec un nez et des traits de Blanc. Nul ne sait pourquoi il lui fallait se débarrasser de cet appendice. […] Sous notre nez, Michael décida qu’il ne pouvait plus blairer sa condition de Noir. » Et de conclure : « Michael Jackson aurait pu garder le nez avec lequel il était né et que nous aimions tant. Car ce nez, qu’avait-il à voir avec son succès ? »
Néanmoins, la mort aura réussi à combler en un temps record l’abîme qui s’est creusé entre l’artiste et la très grande majorité de ses anciens fans. Lui pardonne-t-on de s’être montré, en 1992, à Abidjan et à Libreville avec des gants et un masque sur le nez de peur de gober de vilains microbes ? Peut-être bien. Surtout que beaucoup, en 1999, se laissent attendrir par l’image de la star dans les bras de Nelson Mandela.
D’ailleurs, peu rancunier des maladresses de Michael lors de sa visite ivoirienne, l’actuel roi des Agnis (groupe akan), Nanan N’Douffou V, demande même que son corps soit inhumé à Krindjabo, petit village à 150 km à l’est d’Abidjan. Là même où, en 1992, il a été sacré roi. En effet, grâce à l’entremise d’Edgar Brou, un homme d’affaires ivoirien installé aux États-Unis, Michael, à la recherche de ses origines africaines (voir J.A. n° 2429), se rend en terres agnies. Rues balayées, arbres élagués, panneaux de bienvenue, danseurs traditionnels, tam-tams, bijoux et pagnes des grandes cérémonies, Krindjabo l’intronise en grande pompe roi honoraire du Sanwi et le baptise Amalaman Anoh, en mémoire au premier monarque qui a régné sur le royaume au XVIIe siècle. Raison pour laquelle, aujourd’hui, Nanan N’Douffou V veut offrir une sépulture à la star. Car, dit-il, un roi agni ne peut être enterré que sur la terre de ses ancêtres…
Un roi qui a inspiré des générations d’adolescents. Dans les années 1980, à Dakar comme dans de nombreuses capitales africaines, nombre de jeunes séducteurs veulent ressembler à Michael. Ils promènent partout une chevelure bouclée luisante que l’on appelle alors « curly ». Surtout dans les clubs où l’on se trémousse sans se lasser sur « Wanna Be Startin’ Somethin’ », « Billie Jean » et autres tubes mythiques de Thriller. Certes son nez a déjà rapetissé et son teint a un peu blanchi, mais il chante et danse si bien qu’on n’y prête guère attention.
D’autant qu’à l’époque où les lecteurs vidéo commencent à être très à la mode, le plus important est d’être à la page en visionnant en boucle ses clips et en assimilant ses pas de danse. Mais cela ne suffit pas à contenir la déferlante rap. Grandmaster Flash and the Furious Five, Sugarhill Gang, Public Enemy… arrivent au moment où la jeunesse africaine commence à subir de plein fouet les effets de la crise économique. C’est donc sans peine que ces farouches défenseurs de la cause noire, épris de justice et de liberté, balaient le phénomène Jackson.
Génération consciente
Découverts en même temps que le smurf et le breakdance – des danses urbaines nées aux États-Unis qui connaissent un certain succès en Afrique –, ces rappeurs permettent l’éclosion de ce que l’on appellera plus tard la génération consciente. Alors que Michael pâlit jour après jour, les nouveaux venus revendiquent eux leur africanité et reprennent les messages de Malcolm X, fervent défenseur des droits des Noirs, assassiné en 1965.
Michael n’est plus dans le coup. Même sa musique de plus en plus pop-rock l’éloigne des communautés afro-américaines et africaines, souvent plus portées vers la soul, le R’nB, le funk et le rap. « Il n’était peut-être pas obligé d’être engagé, mais je pense qu’il n’avait pas le droit de ne pas l’être, estime le pionnier du rap africain, Didier Awadi. Il est inadmissible que quelqu’un qui a été un symbole pour la communauté noire soit mort blanc sans s’être jamais illustré aux côtés des siens. »
Sans doute est-ce en partie pourquoi en Afrique, dix ans après Thriller, l’enfant prodige n’avait déjà pratiquement plus sa place ni chez les anciens, qui avaient aimé les Jackson 5 et l’excellent Off the Wall produit par Quincy Jones en 1979, ni chez les plus jeunes, à la recherche de textes engagés. Michael Jackson, même s’il a soutenu de grandes causes, ne pèse pas lourd face à ces rappeurs survoltés.
Il est vrai qu’en 1985 il s’est investi dans le projet de son aîné, le célèbre musicien et compositeur Harry Belafonte, visant à récolter des fonds pour les victimes de la famine en Éthiopie. Il compose alors avec Lionel Richie l’emblématique morceau « We are the World » produit par Quincy Jones. Le single, enregistré avec une vingtaine de stars et vendu à 7,5 millions d’exemplaires, rapporte 50 millions de dollars. Malgré son implication plus tard dans la lutte contre le sida, cet épisode restera le plus marquant de sa vie de « militant », mais ne fera pas pour autant de lui un artiste dit engagé.
Néanmoins, depuis son décès, on murmure que Michael Jackson aurait été proche de la Nation of Islam (NOI), une organisation politique et religieuse américaine controversée à laquelle a appartenu Malcolm X. Tout le monde s’interroge : était-il musulman ? Au Sénégal et dans quelques autres pays à majorité musulmane, la supposée conversion de Michael suscite de nombreux commentaires, soulevant même une vague de sympathie pour celui qui passe désormais aux yeux des fidèles pour un repenti. Quoi qu’il en soit, le monde aujourd’hui retient surtout la créativité et le talent de l’illustre disparu, parti sur la pointe des pieds dans un ultime pas de danse.
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