Rodolphe Saadé : « Nous serons bientôt le numéro un en Afrique »

Le patron Afrique de l’armateur marseillais maintient ses engagements sur le continent malgré la crise qui frappe le transport maritime.

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Dynamisé par l’intégration de Delmas en 2006, le groupe marseillais dispute désormais au danois Maersk la première place du marché africain dans le transport maritime. Déjà actionnaire des ports de Tanger et de Casablanca, le groupe a également décroché la construction du port en eau profonde de São Tomé. Un investissement de 400 millions de dollars opérationnel en 2013. De 20 % aujourd’hui (2,1 milliards de dollars), son chiffre d’affaires en Afrique doit grimper à 30 % d’ici à cinq ans. 

Jeune Afrique : Le transport maritime est un indicateur de l’activité économique. L’année 2009 doit être particulièrement rude ?

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Rodolphe Saadé : Les premiers six mois de 2009 ont été très difficiles pour nous et toute la profession. Nous avons noté une chute des volumes au départ de la Chine, où le groupe CMA-CGM est très bien implanté, à destination des États-Unis, de l’Europe et du Moyen-Orient. De plus, tous les armateurs ont commandé de nombreux navires en pleine euphorie, entre 2006 et 2007. Or ces bateaux sont livrés en ce moment. Nous, nous avons commandé une cinquantaine de navires dans les trois ans, dont seize pour l’Afrique, qui seront livrés jusqu’en 2011, pour plus de 1 milliard de dollars d’investissement. Ce phénomène, cumulé à la baisse significative des volumes, a eu un effet relativement négatif sur le groupe. Mais nous pensons avoir touché le fond. La situation va s’améliorer même si cela prendra du temps. Nous sommes confiants dans l’avenir. 

Serez-vous dans le rouge en 2009, après des années fastes comme en 2007 ?

L’année 2007 a été exceptionnelle pour le transport maritime. Le groupe a affiché environ 1 milliard de dollars de résultat. L’année 2008 a été beaucoup plus difficile même si nous dégageons un résultat positif. En 2009, il est évident que, comme tout le monde, nous souffrons de la situation actuelle. Mais nous sommes un groupe global, présent partout. Et même si la crise est internationale, des marchés sont un peu moins sous pression, notamment l’Afrique de l’Ouest. 

Comment réagissez-vous face à la crise ?

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Nous rationalisons nos services, ajustons nos capacités en restituant des navires affrétés et passons des accords avec des groupes maritimes de premier plan. Nous réceptionnons actuellement des navires de 11 400 conteneurs et nous partageons les capacités, et donc le risque, notamment avec Maersk entre l’Asie et l’Europe et les États-Unis. En Afrique, en revanche, nous restons 100 % CMA-CGM/Delmas. 

Après avoir « touché le fond », entrevoyez-vous une reprise mondiale ?

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On note une amélioration de la situation. Les volumes sont revenus au départ de la Chine vers toutes les destinations. Les bateaux commencent à se remplir. Nous partageons ce sentiment avec d’autres compagnies maritimes et nous essayons de passer des augmentations de tarifs puisque les volumes sont au rendez-vous. 

Vous ne perdez pas de temps ! De combien seront ces hausses ?

Il faut savoir que les prix du fret ont été divisés par deux en quelques mois. Comme vous l’avez dit, le transport maritime est précurseur de l’activité. Le fait qu’à nouveau les bateaux se remplissent au départ de l’Asie est positif. Sur l’Asie/Afrique et sur l’Asie/Europe, nous passons 300 dollars de hausse au 1er juillet 2009 pour simplement revenir à un taux de fret de 3 000 dollars d’avant la crise. 

Comment l’Afrique traverse la crise ?

L’Afrique reste une zone de croissance. Nous voulons nous renforcer et être présent partout. Nous sommes en Afrique de l’Ouest, au Maghreb, et nous essayons de nous développer à l’est. Nous avons ouvert des bureaux au Kenya, en Tanzanie et au Mozambique. Nous regardons comment nous renforcer en Afrique du Sud. Être le troisième transporteur maritime mondial et le premier en Afrique nous impose d’être présent partout. 

N’est-ce pas plutôt Maersk le numéro un ? 

Certes, Maersk est le premier transporteur maritime en Afrique mais nous ne sommes plus très loin derrière eux. Sur un chiffre d’affaires de 15 milliards de dollars, nous réalisons 20 % de notre activité sur le continent. Soit 2,1 milliards de dollars en 2008 en Afrique de l’Ouest [à quoi il faut ajouter près de 900 millions de dollars au Maghreb, NDLR], dont 1,7 milliard avec Delmas. Dans cinq ans, je ne trouve pas inconsidéré de penser que nous réaliserons de 25 % à 30 % de notre activité en Afrique. 

Comment réussissez-vous cette remontée ?

Grâce au rachat de Delmas en 2006. Nous avons connecté toutes les lignes de la CMA d’Amérique et du Moyen-Orient à celles de Delmas en Afrique de l’Ouest. Les synergies et nouveaux services mis en place ont eu un effet positif sur l’activité. Nous sommes aussi actionnaires à 40 % du port de Tanger, idéalement situé pour proposer des transits très compétitifs. 

Devenir opérateur portuaire, est-ce l’évolution naturelle pour un transporteur ?

Dans notre métier, il faut à la fois avoir des navires performants et s’assurer que lorsqu’ils arrivent dans un port ils accèdent directement à un quai. Nous ne voulons pas être à la merci d’opérateurs. C’est pourquoi nous voulons aussi être présents dans la manutention. Nous avons par exemple 100 % de la concession portuaire de Malte pour soixante-cinq ans. 

Comment cela se traduit-il en Afrique, notamment à São Tomé ?

Outre Tanger, CMA-CGM détient la société qui gère le terminal de Casablanca. Nous avons la concession du port de São Tomé, qui sera utilisé comme port de transbordement pour l’Afrique de l’Ouest. Les travaux sont prévus entre 2010 et 2013. São Tomé, qui demandera 400 millions de dollars d’investissement, est notre priorité en Afrique. 

Difficile d’être présent partout…

On ne peut pas être partout. Les investissements dans les terminaux sont lourds. À São Tomé nous y allons seul car c’est très stratégique. Ailleurs, le groupe est ouvert à des partenariats pour partager le risque. Nous étudions des prises de participations minoritaires dans des ports d’Afrique de l’Ouest et sur lesquels je ne veux pas m’exprimer. 

À cause de la crise, les mégaprojets de ports en Afrique verront-ils tous le jour ?

Il va y avoir un tri, c’est évident. Des opérateurs portuaires ont annoncé des investissements colossaux. Ils vont vouloir les répercuter sur leur clientèle. Il faudra s’assurer que ces ports restent compétitifs. Des opérateurs nous annoncent des augmentations de 100 % des prix de manutention pour rentabiliser l’appel d’offres qu’ils ont remporté. Nous leur disons que ce n’est pas possible au regard de la situation mondiale extrêmement difficile. Il faut rester raisonnable. 

Qui vous impose ces hausses ?

Certains opérateurs de terminaux. 

Pourquoi n’avez-vous pas été candidat pour la concession de Pointe-Noire, au Congo ?

Nous investissons dans un terminal pour en avoir la maîtrise. Or, si c’est pour faire un investissement patrimonial ou financier, ce n’est pas dans notre intérêt. Nous recherchons des terminaux où nous gérerons nos navires au quotidien. 

En 2008, vous avez pris une participation dans Dagris. Pourquoi ? En prendrez-vous d’autres ?

Il s’agit de sécuriser les volumes de coton que nous transportons à travers cette participation minoritaire. Nous pourrions réaliser d’autres investissements de ce type dans le capital de nos clients, à condition qu’ils soient rentables. Nous sommes d’ailleurs en négociation au Cameroun pour le chargement par conteneurs de certaines commodités. 

Avec qui négociez-vous au Cameroun ? Est-ce dans la banane ?

Les négociations sont très avancées. Elles aboutiront d’ici quelques mois. Je ne peux rien dire de plus. 

Prendrez-vous bientôt, à 39 ans, la tête du groupe ?

CMA-CGM est une entreprise familiale et mon père en est le patron. Passer la main n’est pas le style de la maison. Mon père est très présent, ce qui est un atout en ces temps difficiles, et il me confie de plus en plus de responsabilités. 

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