L’Afrique part en guerre contre les fonds vautours

Afin de neutraliser l’action des fonds vautours contre les pays pauvres endettés, la BAD organise, avec des juristes de haut vol, une contre-attaque dotée d’un budget initial de 20 millions de dollars, enrichi bientôt de 30 millions supplémentaires.

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

La Banque africaine de développement (BAD) a inventé un nouveau concept, celui de l’assistance à État en danger. Un État est en danger quand il est attaqué par des « fonds vautours » ou quand il négocie en position de faiblesse un prêt bancaire, une concession minière, pétrolière ou forestière, un contrat d’infrastructures… Face à des fonctionnaires africains facilement corruptibles ou ignorant le droit des affaires internationales, face à des hommes politiques souvent pressés, les bailleurs de fonds comme les multinationales parviennent à imposer leur diktat… Comment l’éviter ? Comment atténuer les conséquences des attaques contre une dizaine de pays africains poursuivis dans une cinquantaine de procès dont l’enjeu est estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars ?

Basés dans les paradis fiscaux, avec des bureaux à New York, les fonds vautours sont spécialisés dans le rachat à vil prix de vieilles créances impayées par des pays africains et latino-américains (à moins 20 % de la valeur faciale) dans le but d’en réclamer le remboursement intégral avec les intérêts, les pénalités de retard et les frais de justice. Les propriétaires de ces fonds, qui se cachent derrière des fonds d’investissement classiques, sont, pour la plupart, des milliardaires américains, comme Paul Singer ou Kenneth B. Dart, conseillés par des avocats et des financiers ayant une connaissance exacte des points faibles des pays empêtrés dans la dette.

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La parade ? Une aide juridique immédiate de haut niveau mise à la disposition des États africains qui le souhaitent. Après deux ans de consultations et de négociations avec les États membres de la BAD et les grands cabinets d’avocats de Londres, Paris et New York, le conseiller juridique général de la BAD, Kalidou Gadio, a élaboré une structure inédite : la Facilité africaine de soutien juridique (African Legal Support Facility, ALSF).

Son assemblée constitutive, réunie le 29 juin à Tunis, a précisé les premiers éléments de cet échafaudage : le conseil de gouvernance (douze membres), sous la présidence du professeur Tchétché N’Guessan (Côte d’Ivoire), l’autorité suprême ; le conseil de gestion (cinq membres, dont Peter Eigen, fondateur de Transparency International) ; un budget de départ de 20 millions de dollars…

Ouverte à tous les États membres de la BAD (77, dont 53 africains), l’ALSF accueillera aussi les pays non membres. Premier adhérent, le Brésil est arrivé fort de son expérience de lutte contre les fonds vautours dans les années 1990. Mais on a noté à Tunis deux absents de taille : la Chine et les États-Unis. La Chine, qui a trop d’intérêts en Afrique, est peu connue pour sa transparence. Quant aux États-Unis, ils s’étaient opposés à ce projet sous l’administration Bush. Depuis, un projet de loi a été présenté devant le Congrès pour restreindre l’accès des fonds vautours aux tribunaux américains.

En effet, leur action est tout à fait légale, même si elle est amorale. Elle tire son origine des contrats de prêts eux-mêmes. Rédigés la plupart du temps en anglais, ils sont établis avec des clauses très dangereuses pour l’emprunteur :

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– la cession de la créance est totalement libre par le créancier ;

– le droit applicable en cas de litige est le droit anglo-saxon ;

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– les tribunaux compétents sont situés aux États-Unis ou au Royaume-Uni ;

– la levée d’immunité (sur les biens de l’État emprunteur ou garant) en cas d’impayés est prévue ;

– les pénalités de retard dans le remboursement des échéances ;

– et la clause d’accélération, qui permet de réclamer l’intégralité de la créance avant terme en cas de défaut.

Pourquoi le droit anglo-saxon ? Parce qu’il est le plus libéral. La créance est considérée comme un bien ordinaire, cessible à tout moment et exigible éternellement. Sur les cinquante plaintes en cours, dix-neuf ont été déposées à Londres, quinze à New York et deux à Paris. Le droit français étant considéré par les banquiers comme trop protecteur des victimes. « Le juge agit comme un redresseur de torts. Au contraire du juge anglo-saxon, qui applique la loi sans pitié pour la victime », explique un avocat.

Ces contrats léonins, signés dans les années 1980 par des gouvernements peu ou pas du tout démocratiques ou compétents, ont donné naissance aux contentieux d’aujourd’hui. Face aux défauts de paiement successifs, les prêteurs initiaux ont commencé dans les années 1990 à nettoyer leur bilan en revendant sur le marché secondaire (de gré à gré) leurs créances impayées à des fonds vautours. Ces créances étaient cotées à Genève par des intermédiaires qui évaluaient la chance de remboursement et, en conséquence, le taux de la « décote ». 

Une plus-value de 605 millions

Ces rachats à des prix bradés permettaient aux fonds vautours « d’investir » en plus de 2 à 5 millions de dollars dans les frais d’avocats (à 800 dollars l’heure) et de patienter autant qu’il le faut avant d’en récolter les fruits. Pour le rachat des bons du Trésor du Brésil, Kenneth B. Dart a déboursé 375 millions de dollars pour une valeur nominale de 1,4 milliard. Un accord amiable lui a permis d’empocher 980 millions, soit une plus-value de 605 millions ! Une créance sur le Congo-Brazzaville, toujours en instance, vaut pour le fonds vautour qui l’a rachetée 118 millions de dollars, dont 87 millions pour les pénalités de retard et les intérêts accumulés. Bénéfice potentiel : 116 millions !

« L’ALSF jouera un rôle répulsif et de formation », explique Kalidou Gadio. Les fonds vautours savent désormais qu’ils auront affaire, lors des procès à venir, à des avocats de même calibre, qui parlent le même langage qu’eux et savent exploiter tous les rouages de la justice pour faire durer les procédures et réduire leurs prétentions. Payés directement par l’ALSF, les avocats « sans frontières » seront moins exigeants quant à leurs honoraires, mais non moins féroces. Car, à la clé, lorsqu’ils réussiront à les battre, ils seront reconnus par les pays. Et leurs services seront plus que jamais sollicités dans les grandes affaires commerciales courantes. Ils auront également un rôle de formateurs pour la future élite d’avocats africains. « La lutte contre les fonds vautours n’est pas une fin en soi. Notre but, c’est de renforcer les capacités des pays africains en matière de négociation de la dette et des contrats », conclut Kalidou Gadio.

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Jean Merckaert

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