Tous contre le putsch
L’armée l’a renversé alors qu’il voulait modifier la Constitution pour briguer un second mandat. Le président Zelaya est soutenu par la communauté internationale, d’Obama à Chávez.
L’épisode entrera sans doute dans les manuels de sciences politiques. À la question : une armée a-t-elle le droit de déposer un président qui, pour prolonger son mandat, veut amender la Constitution par référendum, les militaires honduriens ont tranché le 28 juin en arrêtant – un dimanche – le président Manuel Zelaya, au saut du lit, avant de le conduire, en pyjama, à l’aéroport de Tegucigalpa, d’où il a été expulsé vers le Costa Rica.
Ce coup d’État renoue avec une tradition que l’on croyait révolue. Voilà plus de trente ans que l’Amérique latine a rompu avec les pronunciamientos (à l’exception de deux tentatives avortées au Venezuela et en Équateur). Et c’est avec une vigueur exceptionnelle que la communauté internationale a réagi. L’Assemblée générale de l’ONU a condamné le coup d’État ; l’Organisation des États américains (OEA) donnait aux putschistes jusqu’au 4 juillet pour rétablir Zelaya dans ses fonctions ; l’Espagne, la France et l’Italie ont rappelé leurs ambassadeurs, et les pays de la région (Costa Rica, Nicaragua, Guatemala, Salvador) ont protesté énergiquement. Le président vénézuélien Hugo Chávez a, lui, menacé d’envoyer des troupes. Enfin, Barack Obama a qualifié le putsch d’« illégal » et appelé à la résolution pacifique de la crise sans immixtions étrangères.
Tout a commencé le 23 juin. Ce jour-là, le Parlement hondurien déclare contraire à la Constitution l’organisation d’un référendum qui aurait permis au président, en cas de victoire, de briguer un nouveau mandat en novembre. Décidé à ignorer le vote des parlementaires, Zelaya somme Romeo Vásquez, son chef d’état-major, d’organiser le scrutin pour le 28 juin. Le général refuse. Il est aussitôt démis. Quelques heures plus tard, la Cour suprême de justice le rétablit dans ses fonctions.
Répit de courte durée
Le 25 juin, la confusion est à son comble. Les militaires prennent position dans les rues de la capitale tandis que le président, à la tête d’une manifestation, pénètre dans la caserne où sont gardées les urnes. Hésitations. Manuel Zelaya sort de l’enceinte sans encombre. La troupe regagne ses quartiers. Le chef de l’État a gagné. Du moins le croit-il. Le répit sera de courte durée : trois jours plus tard, les militaires feront irruption à son domicile.
Curieux putsch ! On est à mille lieues, par exemple, du Chili de 1973, où les militaires renversèrent le président socialiste Salvador Allende au nom de la lutte contre le marxisme. Manuel Zelaya, 56 ans, héritier d’une dynastie de grands propriétaires terriens, est membre du parti libéral (centre droit). Sa famille est impliquée dans le massacre d’un groupe de paysans sans terre. Élu d’une courte tête en 2005, il a fait campagne sur un programme musclé : doublement des effectifs policiers, renforcement des peines d’emprisonnement, stricte orthodoxie libérale en matière économique.
Pourquoi, alors, a-t-il été renversé par des officiers qui, a priori, partagent ses convictions ? Pourquoi trois dirigeants de gauche (le Vénézuélien Hugo Chávez, le Cubain Raúl Castro et le Nicaraguayen Daniel Ortega) se sont-ils précipités pour prendre la défense d’un homme qui incarne tout ce qu’ils combattent par ailleurs ? Tout simplement parce qu’en août 2008, touché par une grâce aussi tardive que suspecte, Zelaya a fait adhérer son pays à l’Alternative bolivarienne des Amériques (Alba), un pacte économique qui regroupe, autour du Venezuela, le Nicaragua, la Bolivie, Cuba, l’Équateur et plusieurs îles des Caraïbes. Une institution qui combat pied à pied le néolibéralisme.
Opportunisme ou pragmatisme ? Les deux sans doute : le Honduras est l’un des États les plus pauvres d’Amérique latine. Il ne survit que grâce à l’aide internationale. Zelaya a compris qu’il ne parviendrait à redresser son pays qu’en s’appuyant sur la puissance régionale montante, le Venezuela. La rente pétrolière vaut bien une messe. Surtout si cette conversion permet de rester au pouvoir et de compter sur le soutien de nouveaux amis.
Mais Zelaya s’est trompé dans ses calculs. En renversant les alliances du Honduras (qui fut longtemps la base arrière de la guérilla antisandiniste), il a affolé son oligarchie, qui redoute de voir se développer un mouvement d’inspiration « cháviste ».
Le président hondurien n’a pas davantage rassuré les États-Unis, qui voient d’un mauvais œil l’influence grandissante de Chávez dans la région. Mais avec Barack Obama l’heure est plutôt à la détente, et Washington craint davantage le retour d’une tentation putschiste sur un continent dans son immense majorité acquis à l’alternance démocratique. Un souci que l’Europe partage. C’est la chance de Manuel Zelaya, dont le sort, sinon, n’aurait pas ému grand monde.
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