Des bienfaits de la diplomatie

En décidant de renouer avec Damas, Washington reconnaît l’importance régionale de la Syrie, qui récolte ainsi les fruits d’une politique étrangère fondée sur la préservation de ses intérêts vitaux et de sa sphère d’influence.

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

La décision de l’administration Obama d’envoyer un ambassadeur à Damas après une rupture diplomatique de quatre ans est un événement remarquable. Cela signifie que les États-Unis reconnaissent l’importance régionale de la Syrie, admettent que la politique de George Bush cherchant à isoler et punir Damas était une erreur et, enfin, jugent, à raison, qu’un accord de paix israélo-palestinien serait difficile – voire impossible – sans l’appui syrien. C’est un signal fort envoyé par Barack Obama, qui ne cherche donc pas seulement à obtenir la paix entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi un accord global au Moyen-Orient incluant la Syrie et, bien sûr, le Liban.

Obama a bien compris que la politique de l’ex-administration Bush envers le monde arabe et musulman – la « guerre globale contre le terrorisme » et le soutien inconditionnel à Israël – ne faisait que nourrir le terrorisme, dresser des obstacles majeurs à la paix au Moyen-Orient et mettre en péril les intérêts nationaux des États-Unis. Il cherche désormais à corriger le tir.

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C’est une bonne nouvelle pour le président syrien, Bachar al-Assad, dont les premières années au pouvoir, en particulier de 2002 à 2006, ont été particulièrement difficiles. Tout était contre lui. Il a dû affronter la volonté agressive des « néocons » de redessiner la carte du Moyen-Orient au profit d’Israël. Il a dû aussi composer avec l’occupation américaine de l’Irak, qui, si elle avait été couronnée de succès, aurait immanquablement conduit à la chute de son régime. Enfin, les troupes syriennes ont été forcées de se retirer du Liban après l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, en février 2005. 

Un réseau d’alliés et d’amis

Malgré ces épreuves, la Syrie a réussi à protéger ses intérêts vitaux grâce à sa diplomatie. Elle a préservé sa sphère d’influence dans la région en évitant que son « satellite », le Liban, ne tombe sous la coupe d’une puissance ennemie. Elle a résisté à la volonté d’hégémonie israélo-américaine en forgeant sa propre alliance régionale, notamment via l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah. Et elle est restée fidèle à son engagement en faveur de tous les Palestiniens, dont les frères ennemis Mahmoud Abbas du Fatah et Khaled Mechaal du Hamas.

La légitimité du pouvoir syrien réside essentiellement dans son refus catégorique de renoncer au nationalisme arabe. À l’intérieur du pays, elle repose aussi sur la capacité du régime à protéger efficacement la population dans un environnement régional très instable. Plusieurs sociétés arabes ont été traumatisées par les invasions américaines, les attaques israéliennes, les guerres civiles, les insurrections islamistes ou d’autres troubles. Mais la Syrie, elle, s’en sort relativement indemne.

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Ce résultat a toutefois un prix. Damas a lâché la bride à ses puissants services de sécurité. L’État de droit n’a pas toujours été respecté. La situation des droits de l’homme laisse beaucoup à désirer. La liberté d’expression est limitée. Des militants des droits de l’homme et autres critiques du régime ont été emprisonnés. Et le fait que d’autres États – Israël, certains pays arabes et même les États-Unis – aient fait montre d’un cruel désintérêt pour les droits humains fondamentaux n’absout pas la Syrie de ses fautes. Et l’image du pays en a souffert.â©Bachar al-Assad est conscient que, pour réaliser son ambition de construire un État moderne, la paix régionale est essentielle. Il a appelé à plusieurs reprises à l’ouverture de négociations avec Israël. Il est évidemment impatient de récupérer le Golan, annexé par les Israéliens en 1967. Mais la Syrie ne perdra pas de temps pour une paix qui donnerait des avantages stratégiques supplémentaires à l’État hébreu ou qui autoriserait ce dernier à continuer d’opprimer les Palestiniens.

Vivre nez à nez avec un voisin agressif, expansionniste et appuyé par les États-Unis n’a pas été une expérience de tout repos pour la Syrie. Pendant toutes ces années, trouver un moyen de contenir l’État hébreu a donc constitué un objectif invariable pour Damas. Lequel a cherché à acquérir une capacité de dissuasion, non pas militaire – objectif difficile à atteindre compte tenu de la suprématie de Tsahal –, mais diplomatique grâce au développement d’un réseau d’alliés et d’amis.

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Depuis trente ans, l’Iran est le partenaire stratégique de la Syrie, c’est-à-dire depuis que la Révolution islamique de 1979 a déposé le Chah et mis fin à l’alliance avec les États-Unis et Israël. Et le Hezbollah a été le meilleur allié de la Syrie au Liban depuis qu’il a émergé au début des années 1980 pour combattre l’occupation israélienne. Le mouvement chiite a contraint les Israéliens à quitter le pays en 2000 et a résisté victorieusement à leur dernier assaut en 2006.

Damas soutient le gouvernement du Hamas à Gaza et fournit une base arrière à son leader Khaled Mechaal. Pour la Syrie, le Hamas (comme le Hezbollah libanais) n’est donc pas une « organisation terroriste » mais un mouvement légitime de résistance nationale à l’occupation et à l’agression israéliennes – une interprétation très répandue dans le monde arabe que l’Europe et les États-Unis eux-mêmes finiront sans doute par partager le moment venu.

Avant le récent dégel de ses relations avec les États-Unis, la Syrie avait déjà établi de meilleurs contacts avec les poids lourds européens comme la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, ainsi qu’avec la Russie et la Chine. Ses rapports avec la Turquie se sont également consolidés. Plus récemment, un terrain d’entente a été trouvé avec le Qatar, influent État du Golfe, et avec l’Irak, voisin proche et partenaire commercial potentiellement vital.

D’aucuns, aux États-Unis ou ailleurs, entretiennent encore l’illusion que la Syrie, pour récupérer le Golan, serait prête à conclure une paix séparée avec Israël, rompant avec l’Iran et le Hezbollah, et abandonnant les Palestiniens à leur sort sous domination israélienne. Cette idée atteste d’une méconnaissance totale des intérêts vitaux de la Syrie que Bachar al-Assad, depuis 2000, et son père, feu le président Hafez al-Assad, ont défendus avec détermination.

Tel-Aviv ne veut rien entendre

Cela ne veut pas dire que la Syrie ne peut pas faire preuve de flexibilité ou que son désir de paix est factice. Manifestement, dans un contexte où un règlement global (tel que celui envisagé par Obama) interviendrait, la Syrie serait moins dépendante de l’Iran ; le Hezbollah le serait moins à la fois de l’Iran et de la Syrie, et n’aurait plus besoin de sa milice lourdement armée ; et les Palestiniens – enfin – seraient tout à la construction de leur État.

Mais un dénouement régional heureux de ce type implique un changement radical de l’attitude israélienne, dont on ne voit pour le moment aucun signe. Non seulement le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou a rejeté catégoriquement la formule « la terre contre la paix », qui impliquerait un retrait sur les frontières de 1967, mais elle s’est opposée à toute paix qui se fonderait sur un nouvel équilibre régional. Au lieu de cela, elle insiste sur la préservation de sa suprématie militaire sur tous ses voisins, qu’ils soient proches ou lointains, ce qui se traduit par l’euphémisme de « l’avantage militaire qualitatif ».

L’ouverture américaine envers la Syrie est un petit pas dans la bonne direction. Mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire. Le chemin vers la paix au Moyen-Orient sera long et difficile.

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