Moussavi, la métamorphose

Longtemps présenté comme un technocrate du sérail, l’ex-Premier ministre de Khomeiny continue de rejeter les résultats tronqués de la présidentielle du 12 juin. Et apparaît désormais comme un leader opiniâtre et charismatique.

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 6 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Téhéran, le 15 juin, quarante-huit heures après l’annonce des résultats de la présidentielle. Mir Hossein Moussavi, debout, juché sur le toit d’une voiture, harangue une foule compacte de plusieurs centaines de milliers d’Iraniens, massés le long de l’avenue Azadi, l’une des principales artères de la capitale, sous l’œil énervé de policiers casqués et de miliciens bassidji prêts à en découdre. Il déclare qu’il luttera jusqu’au bout et qu’il est prêt à mourir en martyr.

L’image, forte, fera le tour du monde. La crise change de nature. En choisissant de braver l’interdiction de manifester énoncée par son vieil adversaire le Guide Ali Khamenei, en décidant de ne pas courber l’échine et de ne pas abandonner ses partisans au nom du légalisme, Moussavi a déjoué les pronostics de ceux qui ont voulu lui voler sa victoire. Il s’est révélé aux autres – et peut-être à lui-même. Il s’est métamorphosé en leader opiniâtre et charismatique, lui qu’on présentait comme un technocrate du sérail, pragmatique, respecté, mais un peu froid. Lui, le piètre tribun, dont l’accent azéri et le phrasé hésitant faisaient les délices des caricaturistes.

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C’est que rien, en effet, ne prédisposait cet architecte de 67 ans, peintre à ses heures et fin lettré, pur produit de la nomenklatura islamique, à devenir le porte-drapeau de la contestation. Il a conquis ses lettres de noblesse révolutionnaires entre 1981 et 1989, pendant la guerre Iran-Irak. Premier ministre, il avait organisé l’économie de guerre en s’inspirant du dirigisme soviétique et de ses méthodes de planification. Réputé plus « gérable » et moins « populaire », Moussavi avait été préféré à l’ancien président Mohamad Khatami pour défendre les chances des réformateurs à la présidentielle du 12 juin. Un come-back politique après une éclipse de vingt ans. Engagé très jeune dans le combat aux côtés de la gauche islamique, arrêté une première fois en 1974, Moussavi intègre le comité central du Parti de la République islamique dès 1979. Jouissant de l’entière confiance de l’imam Khomeiny, qui, privilège rare, le tutoie, il est propulsé à la tête du ministère des Affaires étrangères en septembre 1980, en pleine crise des otages américains. 

L’anti-khamenei

L’homme parle arabe et anglais avec aisance. Mais il est intraitable. Une poigne de fer dans un gant de velours. Moins d’un an plus tard, Khomeiny l’impose comme Premier ministre au grand dam du président d’alors… un certain Ali Khamenei ! L’inimitié entre les deux hommes remonte à cette époque. Ironie de l’histoire : en 1981, le hodjatoleslam Khamenei, qu’on sait amateur de poésie et de musique traditionnelle, est catalogué plutôt libéral, alors que Moussavi, qui campe sur des positions ultra­nationalistes, est dépeint sous les traits d’un faucon dogmatique. Le temps et le pouvoir aidant, Khamenei s’enfermera dans ses certitudes et se transformera en intégriste borné, alors que Moussavi fera le cheminement inverse. Il s’ouvrira à la société civile et élargira son horizon, influencé en cela par son épouse, l’universitaire Zahra Rahnavard, qu’il a rencontrée en 1969, lors d’un vernissage. C’est une féministe islamiste. Une Iranienne moderne. Elle arbore un tchador noir, par fidélité aux idéaux de la Révolution. Mais il masque à peine son visage, toujours maquillé. Elle milite pour l’égalité des sexes. N’a pas hésité à briser un tabou en s’affichant aux côtés de son mari pendant la campagne électorale. Zahra n’est pas la première venue : docteur en sciences politiques, elle a été doyenne de l’université féminine d’Al-Zahra, avant d’être limogée quelques années plus tard, au lendemain de la victoire d’Ahmadinejad. Son seul tort : avoir invité Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, à s’exprimer devant les étudiantes.

Moussavi a choisi de redescendre dans l’arène au nom « d’une certaine idée de la Révolution ». Le système de la velayat-el-faqih (le gouvernement du jurisconsulte), pensé et théorisé par Khomeiny, repose sur un savant dosage entre deux principes concurrents : le principe théo­cratique et le principe démocratique. Le premier se manifeste par la prééminence du Guide, censé être l’infaillible interprète de la volonté divine, mais cantonné dans un rôle d’arbitrage. Le second se matérialise à travers l’élection au suffrage universel du président et des députés, et exprime la souveraineté du peuple. La cohabitation de ces deux sources de légitimité, complémentaires plus que concurrentes, faisait l’originalité du système institutionnel iranien. Et assurait sa cohésion interne. Régime hybride, la République islamique n’était ni une dictature de droit divin ni une démocratie tempérée, mais un subtil mélange des deux. 

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Au nom de la révolution

La politique de Khamenei, depuis l’élection d’Ahmadinejad, en 2005, a rompu les équilibres. Le régime s’est militarisé, au profit des pasdarans, les gardiens de la Révolution, le corps d’origine d’Ahmadinejad. Le Guide a confisqué tous les pouvoirs et marginalisé le haut clergé chiite. C’est pour enrayer cette dérive dictatoriale que les religieux pragmatiques et les réformateurs ont fait bloc derrière la candidature de Moussavi. La fraude électorale a fait tomber les masques. La bataille qui se joue actuellement oppose donc deux conceptions radicalement différentes de la révolution. Et deux groupes aux intérêts antagonistes.

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La répression, d’une brutalité inouïe, a permis au pouvoir de vider les rues. Moussavi, pour éviter un bain de sang, a choisi de déplacer le combat sur le terrain des symboles. Cohérente et habile, sa stratégie consiste à invoquer l’esprit de la Révolution et à apparaître comme le plus fidèle héritier de Khomeiny, à capter son héritage. Il sait que Khamenei, Guide de circonstance, ne peut se prévaloir d’aucune légitimité religieuse. Alors il appuie là où ça fait mal. Les grands ayatollahs marja-e-taqlid (source d’imitation) du sommet de la hiérarchie du clergé chiite ont presque tous exprimé, en des termes parfois très virulents, leur désapprobation en qualifiant le déroulement du scrutin de « grand mensonge ». Même l’imam de la mosquée de la ville sainte de Qom, l’ayatollah Djavadi Amoli, notoirement conservateur, a dénoncé l’attitude du Conseil des gardiens, qui a validé sans réserve l’élection d’Ahmadinejad.

Enfin, Moussavi a engrangé deux autres ralliements de poids : celui du fils cadet de l’ayatollah Mohamad Behesti, le plus illustre des martyrs de la Révolution… et celui de Hassan Khomeiny, qui a déclaré qu’il était prêt à mettre le mausolée de l’imam, son grand-père, à la disposition des partisans de Moussavi pour « un rassemblement pacifique de deuil ». Dans un pays comme l’Iran, nourri de religiosité chiite et gavé de mythes révolutionnaires, de tels symboles peuvent faire pencher la balance. Après tout, Khomeiny a bien triomphé du Chah et de son armée par la seule force du verbe.

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