Le bac hors sujet

Malgré les réformes engagées, à peine un élève sur trois a décroché cette année le précieux sésame de l’enseignement supérieur. En cause : l’inadéquation entre les sujets proposés et les méthodes pédagogiques.

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Publié le 6 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Le 15 juin, sur les parvis des lycées marocains, l’annonce des résultats du baccalauréat a davantage donné lieu à des crises de larmes qu’à des scènes de liesse. Cette année encore, le sésame de l’enseignement supérieur a laissé de nombreux élèves sur le bord de la route. Sur les 250 829 candidats à l’examen, 87 605 seulement l’ont obtenu, soit un taux de réussite de 34,9 %. Ce chiffre est cependant provisoire et devrait augmenter, puisque les élèves ayant obtenu entre 7 et 10 de moyenne passeront la session de rattrapage. Il n’empêche : il est peu probable que l’on dépasse cette année le taux de réussite de 2007, qui s’était élevé à 43,6 %, ou même les 39 % de 2008. « C’est dramatique », s’insurge Fatiha, dont le fils, lycéen à Salé, n’a pas réussi à obtenir une moyenne suffisante. « On a l’impression d’envoyer nos enfants à l’abattoir. Pour nous, c’est un jour malheureux. » Plus résignée, Amina reconnaît que « de toute façon, on n’y croyait pas vraiment. Dans la famille, personne n’a le baccalauréat. »

Introduit par le protectorat français en 1945, le baccalauréat reste une institution récente, longtemps réservée à une élite. « Les mauvais résultats du baccalauréat ne datent malheureusement pas d’aujourd’hui », explique Mohamed Sassi, directeur du centre national des examens. Pour améliorer le rendement du bac, un nouveau système a été mis en place il y a huit ans. Depuis, le résultat final de l’examen est la moyenne de trois notes : un contrôle continu qui compte pour 25 %, un examen régional (25 %) et un examen national.

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La réforme a aussi profondément modifié l’architecture pédagogique des épreuves et l’examen a été adapté aux standards internationaux. Pour le sociologue Ahmed el-Motamassik, c’est précisément là que se situe le problème. « Il y a une inadéquation entre les sujets proposés et les méthodes pédagogiques. Du fait des réformes, on propose aux élèves des sujets de compréhension, d’analyse et de réflexion personnelle. Et pourtant, beaucoup de professeurs continuent de favoriser l’apprentissage par cœur et le bachotage. » En voulant mettre le baccalauréat au diapason des normes internationales, le ministère de l’Éducation nationale pécherait-il par excès d’ambition ? « Le problème, ça n’est pas le bac, c’est l’ensemble de la formation depuis le primaire jusqu’au lycée. Si les élèves étaient mieux formés, depuis les plus petites classes, l’examen du baccalauréat ne serait qu’une formalité », estime un professeur dans une école française. 

Plan d’urgence

À travers le bac, c’est donc tout le système éducatif qui est mis en cause. « Nous arrivons au terme de la réforme et il faut bien reconnaître que les performances du système sont encore très modestes », se désole Mohamed Sassi. C’est pourquoi le ministère de l’Éducation nationale a lancé son plan d’urgence 2009-2012 destiné à accélérer le rythme des réformes. Une grande réflexion devrait s’engager et plusieurs pistes se profilent. Le poids de l’examen régional devrait être réduit, et un système d’appui aux élèves en difficulté pourrait être institué dans les établissements. « Depuis l’indépendance, l’histoire du système éducatif est l’histoire d’une crise. Chaque décennie voit apparaître de nouvelles réformes, mais, jusqu’à présent, il n’y a eu aucune stratégie fiable, cohérente et efficace », regrette l’universitaire Mohamed Darif.

La cuvée 2009 n’a cependant pas apporté que de mauvaises nouvelles. Dans un communiqué, le ministère de l’Éducation nationale s’est félicité que le nombre de candidats ait augmenté de 5,5 % en un an. Une nouvelle réjouissante dans un pays où l’abandon scolaire reste un véritable fléau. « Dans le parcours du primaire à la faculté, nous perdons pratiquement un tiers des élèves à chaque cycle », expliquait le conseiller du roi, Meziane Belfqih, lors d’une allocution à la presse. La Charte nationale de l’éducation, promulguée en 1999, s’assigne comme objectif de porter à 40 % le taux de scolarisation au niveau bac. Un taux qui, selon des études universitaires, ne dépasserait pas actuellement 14 %.

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Les résultats du bac sont d’autant plus dramatiques que ce diplôme reste l’outil indispensable pour espérer faire des études supérieures. Pour ceux qui ont échoué, les débouchés sont donc très réduits, et la filière professionnelle, encore très insuffisamment développée, ne peut en absorber qu’une infime partie. « Pour les familles comme pour le système, le coût de ces échecs est colossal », reconnaît Mohamed Sassi. Le ministère de l’Éducation nationale peut cependant se féliciter de l’amélioration des performances des bacheliers, qui, pour 36 % d’entre eux, ont obtenu une mention. Mais pour tous les autres, l’avenir s’annonce plutôt sombre. Les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles n’admettent que les candidats ayant obtenu une moyenne située autour de 15/20. « Même s’il y avait 90 % de réussite, on ne disposerait pas des infrastructures nécessaires pour les accueillir », explique Motamassik. « Tous ces efforts ne servent à rien, s’insurge Hicham, lycéen à Rabat. Quand on arrive à avoir la moyenne, c’est pour se retrouver à la fac et finir par manifester avec les diplômés chômeurs devant le Parlement. » 

Démotivation

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Pour rendre un semblant de crédibilité au baccalauréat et lutter contre la démotivation des élèves, les autorités ont consenti cette année de nombreux efforts. Les conditions matérielles de passage de l’examen ont été améliorées et les candidats ont passé leurs épreuves dans des centres différents de ceux où ils travaillent d’habitude. « Le bac ne vaut que par la valeur qu’on veut bien lui donner, explique le chercheur Hamid Chedati. Quand des élèves sont dans des salles inadaptées, qu’ils n’ont même pas de matériel pour travailler et que la surveillance est quasi nulle, ils n’ont pas le sentiment de passer un examen. » Chaque année, les journaux rapportent des cas d’agression pendant les examens ou des délits de corruption et de tricherie qui viennent entacher l’image du baccalauréat. Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé des sanctions très sévères à l’encontre des tricheurs et augmenté le nombre de surveillants. « Aujourd’hui, il faut que s’ouvre un véritable débat national et que nous nous posions la question de la fonction réelle du baccalauréat. Sommes-nous capables de dire à quoi sert un examen qui laisse près de 70 % d’élèves sur le carreau ? » s’interroge Hamid Chedati.

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