Tandja, l’apprenti sorcier

Le président semble prêt à tout pour rester au pouvoir. Au risque de plonger son pays dans la tourmente.

Publié le 6 juillet 2009 Lecture : 7 minutes.

Pouvoirs exceptionnels pour le président Mamadou Tandja, dissolution de la Cour constitutionnelle, appel de l’opposition à l’armée, réponse de la Grande Muette réitérant sa stricte neutralité, le leader de l’opposition, Mahamadou Issoufou, interpellé, et des militants des droits de l’homme brièvement arrêtés… La fièvre monte à Niamey. Alors que la journée « Pays mort » initiée par l’opposition n’a pas remporté le succès escompté, les marches de soutien au président Mamadou Tandja se sont multipliées, suscitant l’inquiétude du voisin nigérian, de la France et de l’Union africaine.

En quelques semaines, le Niger est brutalement sorti d’une décennie de stabilité politique et de performances économiques (une croissance de près de 10 % malgré la récession mondiale). Tout a commencé le 5 mai, à Agadez. Ce jour-là, Mamadou Tandja triomphe, surfant sur le succès de ses discussions avec le groupe français Areva, avec lequel il a réussi à négocier au prix fort la concession du gisement géant d’uranium d’Imouraren (principale richesse minière du pays), à quoi vient s’ajouter l’ébauche d’un accord de paix avec la rébellion touarègue. Profitant de ces circonstances favorables, le chef de l’État annonce son intention d’organiser un référendum pour changer la Constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat, ce que lui interdit l’actuel texte fondamental du Niger. Entre le 5 mai et le 29 juin, date de la signature du décret présidentiel annonçant le recours par le chef de l’État à l’article 53 de la Constitution pour s’adjuger les pleins pouvoirs, Niamey voit s’affronter deux logiques sur un fond d’interprétations divergentes des textes qui régissent le fonctionnement des institutions. Jusque-là, sans trop de casse.

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Partisan du Tazartché

Toutefois, rien ne dit que le pays en sorte indemne. « J’ai des frissons dans le dos en pensant à la tournure que pourraient prendre les événements dans les jours à venir », affirme Sidibé Issoufou, secrétaire général de la Confédération démocratique des travailleurs nigériens (CDTN), porte-parole de l’intersyndicale qui regroupe les sept organisations du pays, unies dans leur opposition au maintien de Tandja au pouvoir. « C’est une nouvelle étape pour la consolidation de la démocratie, tempère Hadji Bachir, journaliste, partisan du tazartché (« continuité », en haoussa, mouvement favorable au président sortant). Il n’y a pas mieux que le suffrage universel pour départager les deux camps. Ainsi va Niamey, partagé entre pro- et anti-tazartché, où l’on appréhende des dérapages. L’inquiétude est manifeste, à quelques jours de l’ouverture de la campagne référendaire, même s’il n’y a pas de signes d’affolement, comme la constitution de stocks de nourriture.

Pour se maintenir au pouvoir, le président Tandja n’envisage pas un simple toilettage de la Constitution, car celle-ci stipule que son article limitant le nombre de mandats présidentiels à deux (article 36) ne peut être soumis à une quelconque révision. Il a donc décidé l’introduction d’une nouvelle Constitution, donnant naissance à la VIe République. Le Parlement a bien tenté de s’y opposer… et a été dissous le 26 mai par un président plus déterminé que jamais. La Cour constitutionnelle, à son tour, choisit d’invalider le décret convoquant, pour le 4 août, le corps électoral pour un référendum ? Le chef de l’État a aussitôt introduit un recours alors que les décisions de cette institution sont censées être sans appel.

Une armée bienveillante

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Fort d’un indéniable soutien populaire, notamment dans le milieu rural, grand bénéficiaire de sa stratégie de développement, Tandja compte sur son parti, le Mouvement nigérien de la société de développement (MNSD-Nassara), ancien parti unique et redoutable machine électorale. Parmi ses appuis, on recense plusieurs personnalités politiques, membres de la mouvance présidentielle, la chefferie traditionnelle, les médias publics, une administration aux ordres et une nette bienveillance de l’armée.

Toutefois, Tandja a enregistré une défaillance de taille dans son dispositif. Ancien président de la République et principal allié électoral, Mahamane Ousmane, chef de la Convention démocratique et sociale (CDS-Zaman Lahiya), a manifesté son hostilité aux ambitions du chef de l’État. Huit ministres de la CDS ont démissionné du gouvernement, remplacés aussitôt par des représentants de partis soutenant le tazartché.

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Mahamane Ousmane est donc venu grossir les rangs des opposants, fort nombreux, à Tandja. Ces derniers sont regroupés en trois grandes structures : le Front pour la défense de la démocratie (FDD), regroupement de partis, d’associations et de syndicats, que préside Mahamadou Issoufou, rival perpétuel (il l’avait contraint à un second tour lors des présidentielles de 1999 et de 2004) ; le Mouvement pour la défense de la démocratie et de la République (MDDR), dirigé également par Mahamane Ousmane ; ainsi que le Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques (Fusad), qui regroupe les membres de la société civile opposés au tazartché. Les deux camps ont déjà eu l’occasion de montrer leurs capacités de mobilisation. Les marches de soutien ou d’hostilité réunissent des dizaines de milliers de manifestants. Hormis la manifestation du 2 juin, à Dosso, qui a connu quelques dérapages (une dizaine de blessés, des bâtiments publics saccagés et plusieurs interpellations), chaque fois que les Nigériens se sont exprimés dans la rue, ce fut jusqu’ici sans casse.

Dans les deux camps, la détermination semble sans faille. Ancien colonel de l’armée, Tandja n’est pas réputé pour « fuir le champ de bataille ». Albadé Abouba, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, assure que son mentor ne fera pas marche arrière. « Contrairement à ce qu’affirment certains cercles, le projet du président Tandja ne se limite pas à une simple prorogation de mandat, mais pose une question de fond : cette Constitution n’est pas adaptée à l’étape du moment. On dénonce le recours aux pouvoirs exceptionnels, même si cela est conforme à cette Constitution, aujourd’hui sacralisée au nom d’intérêts étroits. »

Arguments fallacieux

Mahamadou Issoufou n’est pas de cet avis. « Les arguments ayant servi au président pour le recours aux pouvoirs exceptionnels sont fallacieux. Ce n’est pas la Constitution qui est mauvaise, mais l’interprétation qu’en fait le premier magistrat du pays. » Le président Tandja n’a pas le monopole de la détermination et Issoufou a montré que lui non plus n’était pas prêt à se laisser impressionner. Quand les gendarmes sont venus l’interroger sur ses propos, après qu’il a appelé les forces de l’ordre à la désobéissance, ils ont eu la surprise de trouver sur leur chemin des centaines de militants opposés au gouvernement. L’Intersyndicale promet elle aussi de recourir à la rue pour empêcher la tenue du référendum.

« Notre priorité est d’empêcher par les moyens légaux l’ambition de Tandja de rester au pouvoir et nous n’avons pas d’autres armes que la grève », assure le secrétaire général de la CDTN, Sidibé Issoufou. Les Nigériens sont-ils pour autant prêts à se mobiliser massivement ? « Je ne suis pas d’accord avec le projet de Tandja, témoigne Rahinatou, jeune employée d’un cybercafé de la capitale, mais je ne suis pas prête à mourir pour cela. »

Albadé Abouba assure l’intérim du Premier ministre, Seyni Oumarou, parti à Syrte pour diriger la délégation nigérienne au sommet de l’UA. Il s’offusque si on lui demande s’il est inquiet de l’attitude de l’organisation continentale à propos de l’actualité nigérienne. « Qui pourrait se permettre de nous donner des leçons de démocratie en Afrique ? s’emporte-t-il. Le Nigérian Umaru Yar’Adua ? Son élection n’a toujours pas été validée dans son propre pays. » En ville, on ne partage pas ce point de vue. « Nous sommes entièrement dépendants du Nigeria pour la distribution électrique, déplore Abdou Dramane, jeune dirigeant d’une entreprise informatique, et l’hostilité des autorités de notre voisin peut nous valoir des mesures coercitives. Ce n’est pas un hasard si le nombre de délestages a connu une nette hausse depuis l’annonce de la tenue du référendum ». 

L’attitude du secrétaire général de l’Organisation de la francophonie, Abdou Diouf, agace les officiels. « On ne l’a pas beaucoup entendu se plaindre quand Abdoulaye Wade, président du Sénégal, changeait à sa guise de Constitution et intervenait dans le fonctionnement des institutions de son pays », souligne l’un d’eux. De son côté, la France a rappelé « l’importance qu’elle attache au cadre constitutionnel du Niger, à la préservation de l’acquis démocratique de ce pays et à sa stabilité ».

Pour l’heure, la bataille qui secoue Niamey sombre dans le juridisme et les débats de prétoire, mais on redoute que l’échange entre constitutionnalistes se transforme en affrontements urbains. Les nuits de Niamey sont calmes, mais au petit matin, plusieurs quartiers de la capitale sont envahis par des éléments des troupes spéciales de la police. En survêtement, ils sont censés n’être déployés que pour entretenir leur forme physique. Mais l’uniforme façon « Robocop », si utile dans les opérations de maintien de l’ordre, pourrait très vite remplacer les tenues de sport.

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