Batailles au sommet

À la 13e conférence des chefs d’État et de gouvernement africains, à Syrte, Kadhafi a tenté de faire passer ses idées en force. Résultat : les querelles institutionnelles ont presque éclipsé les initiatives destinées à régler les conflits sur le continent.

Publié le 6 juillet 2009 Lecture : 7 minutes.

La 13e conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) restera dans les annales comme le sommet de toutes les crises. La grand-messe africaine, qui s’est réunie du 1er au 3 juillet à Syrte, en Libye, et non à Antananarivo (Madagascar ayant été disqualifiée, justement, pour cause de crise politique !), s’est ouverte sur l’étalage, au grand jour, d’une divergence d’approche longtemps contenue entre Jean Ping, le président de la Commission de l’UA, tenant de l’orthodoxie des décisions de l’Organisation, et Mouammar Kadhafi, son très indiscipliné président en exercice.

Malgré tous ses talents de diplomate, Ping n’a pu s’empêcher d’exprimer sa désapprobation quand, le 30 juin, le « Guide » libyen a soumis aux ministres des Affaires étrangères, qui s’apprêtaient à conclure les travaux préparatoires, un document contenant des propositions tout à fait nouvelles sur les prérogatives de l’Autorité censée se substituer à la Commission.

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Ce document, qui contredit le rapport adopté par les ministres les 15 et 16 avril à Tripoli, a suscité une levée de boucliers tout au long du sommet. « Vous devriez vous excuser, M. Triki, d’essayer de nous faire croire que ce texte a été adopté », a lancé Chief Ojo Maduekwe, le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, au ministre libyen des Affaires africaines. « Faites attention à ce que vous dites, Monsieur le Ministre ! » a rétorqué ce dernier sur un ton menaçant.

Le document de la discorde, soumis par Kadhafi à ses pairs le 2 juillet, a également provoqué une réaction vigoureuse de Jakaya Kikwete, le chef de l’État tanzanien : « Il faut respecter la procédure en vigueur dans notre organisation. Nous ne pouvons pas délibérer sur des propositions qui n’ont pas été discutées par les ministres des Affaires étrangères. Ceux-ci ont adopté un autre texte, qui n’a rien à voir avec celui qui nous est présenté maintenant. »

Les explications du « Guide », assurant n’avoir ajouté que la protection de la sécurité collective aux attributions dévolues à la future Autorité, n’ont fait qu’intensifier la polémique.

Un autre pilier du « camp anglophone », le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi, connu pour son hostilité à toute marche forcée vers des États-Unis d’Afrique, a tapé du poing sur la table : « Je suis opposé à cette démarche. Il est hors de question que je discute d’un texte qui n’a jamais été vu par mon ministre des Affaires étrangères. »

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La réplique a froissé le « Guide », qui a quitté la pièce pour « aller faire sa prière de la mi-journée ». Il est revenu dix minutes plus tard, ramené par ses homologues Amadou Toumani Touré et Yahya Jammeh, partis le chercher dans un salon attenant. Ambiance…

Un compromis a été trouvé : réunir d’urgence les ministres pour fusionner les deux propositions. Sur cette base, les chefs d’État ont abouti à un accord tard dans la soirée du 2 au 3 juillet. Aux attributions du Conseil de paix et de sécurité (CPS) ont été ajoutées « la coordination des positions des États membres de l’UA lors des négociations internationales » et « la mise en œuvre de la politique africaine commune de défense et de sécurité, ainsi que les stratégies et la mobilisation des ressources nécessaires pour la défense du continent. » Deux autres postes ont vu leurs compétences élargies, pour devenir « Secrétaire paix, sécurité, défense commune et médiation » et « Secrétaire affaires politiques et coordination des positions communes dans le domaine des relations extérieures ».

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Afin d’arriver à tous ces compromis, l’organisation s’est mobilisée pour régler ses querelles intestines au détriment des problèmes de l’Afrique, qu’elle est censée résoudre. Dans un contexte de recrudescence des coups d’État et de transitions démocratiques houleuses, les dirigeants réunis à Syrte avaient suffisamment de crises à juguler pour ne pas en inventer de nouvelles. D’autant que le cas du Niger est venu s’ajouter à la liste déjà longue des points chauds du continent. Relativement stable depuis 1999, après des années très agitées, ce pays a retenu l’attention de l’UA. Le 1er juillet, Ping a annoncé l’envoi à Niamey d’une mission d’information dirigée par John Kufuor, l’ancien chef de l’État ghanéen, prélude à une résolution du CPS. N’en déplaise à Aïchatou Mindaoudou, la ministre nigérienne des Affaires étrangères, qui a multiplié les rencontres à Syrte pour répéter : « Notre pays n’est pas en crise. Il est le théâtre d’un débat passionné, comme il en a connu bien d’autres depuis l’ouverture démocratique du début des années 1990. »

Commentaire d’un des dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), présent à Syrte : « La situation relevait du débat interne tant que la Constitution n’avait pas été violée. Depuis que le président Mamadou Tandja a dissous la Cour constitutionnelle et décidé de gouverner à coups de décrets et d’ordonnances, il a commis une illégalité qui menace la paix dans son pays. L’UA va se désolidariser de lui. La Cedeao aussi. Umaru Yar’Adua, son président en exercice, lui enverra d’ailleurs l’ancien chef de l’État nigérian, Abdulsalami Abubakar, pour tenter de le ramener à la raison. Si Tandja persiste, l’UA et la Cedeao prendront des mesures concertées pour éviter que le Niger ne sombre. »

L’Afrique de l’Ouest peut d’autant moins se le permettre qu’un autre pays de la région, la Guinée, suscite des inquiétudes grandissantes depuis le coup d’État du 23 décembre 2008, survenu au lendemain de la mort du président Lansana Conté. Ibrahima Fall, ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères et membre du Groupe international de contact (le GIC, composé de représentants de l’ONU, de l’OIF, de la Cedeao, de l’OCI…), est venu exposer la situation qui prévaut à Conakry.

Inquiète de la tournure des événements (une junte désireuse de confisquer le pouvoir, un dialogue politique avec les « forces vives » au bord de la rupture, une économie déliquescente, source d’une colère grandissante de la population…), l’UA a pris des mesures d’urgence : réunion du CPS le 8 juillet ; envoi à Conakry, les 16 et 17 juillet, d’une délégation de haut niveau, composée des membres du GIC et de ministres étrangers. Parallèlement, trois chefs d’État, l’Ivoirien Laurent Gbagbo, le Sénégalais Abdoulaye Wade et le Burkinabè Blaise Compaoré, sont invités à « raisonner » le chef de la junte, Moussa Dadis Camara.

Les conflits qui agitent d’autres parties du continent n’ont pas été oubliés. Ainsi, l’interminable casse-tête Tchad-Soudan : une énième guerre opposant des rebelles armés par le pouvoir de Khartoum au gouvernement de N’Djamena a éclaté le 4 mai dernier. Kadhafi a insisté jusqu’à la dernière minute pour inscrire cette crise à l’ordre du jour du sommet. Réponse du numéro un tchadien, Idriss Déby Itno : « Si cette question figure à l’ordre du jour, je ne viendrai pas au sommet. Si elle est abordée au cours des travaux, je reprendrai mon avion pour N’Djamena. Je préfère consacrer mon temps à réfléchir à la manière de défendre mon pays plutôt qu’à négocier des accords de paix qui ne seront jamais respectés par le pouvoir soudanais. » Joignant le geste à la parole, Déby Itno n’a pas assisté au dîner offert par Kadhafi à ses pairs le 1er juillet, pour éviter d’y croiser son homologue soudanais, Omar el-Béchir.

Si le président tchadien, qui a repoussé les rebelles au début de mai, n’a été demandeur d’aucune forme d’intervention de l’UA, tel n’a pas été le cas de son homologue somalien, Cheikh Cherif Ahmed. Alors que Mogadiscio est assailli depuis plusieurs semaines par les rebelles de la milice Al-Chabaab, il a instamment demandé à bénéficier d’un soutien rapide. Relayée notamment par le président kényan Mwai Kibaki (qui a appelé à « prendre des mesures urgentes pour empêcher la Somalie de sombrer dans le chaos »), sa requête a été entendue. L’UA a suivi les recommandations de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (Igad), réunie à Syrte en prélude au sommet : modification du mandat de la Mission de l’Union africaine en Somalie (l’Amisom, forte de 4 300 hommes) pour lui permettre de combattre les rebelles ; levée de l’interdiction faite aux pays voisins d’envoyer des troupes dans le pays ; adoption de mesures pour assurer la sécurité du président et des institutions élues…

Cheikh Cherif Ahmed ne pouvait espérer mieux. Mélès Zenawi, qui l’a fortement soutenu, a fait d’une pierre deux coups : il a désormais carte blanche pour intervenir en Somalie chaque fois qu’il l’estimera opportun ; et il a obtenu la condamnation de l’Érythrée, son turbulent voisin, nommément cité dans la déclaration de l’Igad comme étant le principal soutien de la milice Al-Chabaab qui ensanglante Mogadiscio et ses environs.

Enfin, l’UA a planché sur des mesures destinées à sécuriser Madagascar, plongée dans la tourmente depuis la destitution de Marc Ravalomanana, le 17 mars dernier. Pour sortir le pays de l’impasse, le Groupe international de contact sur Madagascar travaille activement à réunir dans une capitale africaine Andry Rajoelina, qui s’est emparé du pouvoir, et ses trois prédécesseurs à la tête de l’État : Albert Zafy, Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana.

Seule note d’espoir dans ce tableau plutôt sombre : l’accord de Dakar, conclu par les protagonistes mauritaniens, a connu un début d’exécution le 25 juin, à la veille du sommet de Syrte.

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