Des fleurs pour D.

Fouad Laroui © DR

Publié le 30 juin 2009 Lecture : 3 minutes.

J’évite en général les sujets tristes, un peu déprimants. Après tout, la vie est assez pénible comme ça sans qu’on ressasse les raisons d’aller se pendre au prochain réverbère. « Hâtons-nous de rire de tout, de peur d’avoir à en pleurer », disait Beaumarchais. Mais parfois, il faut en parler, des sujets graves : la vie, l’amour, la mort, le foot, etc.

Bref, il y a quelques mois, un des pionniers de la culture marocaine en Hollande s’en est allé, après une longue maladie : D. avait son talk-show à la télé batave, dès les années 1980, et ce fut là que des immigrés de la première génération firent irruption dans la psyché collective : dignes, taciturnes, un peu méfiants, ils venaient raconter une vie au fond de la mine ou dans les usines, une vie consumée dans le labeur, loin de la terre natale, loin des amis et de la famille. Tout le monde regardait le talk-show, qui portait le nom de son animateur, et il a changé beaucoup de choses aux Pays-Bas, dans la compréhension entre communautés.

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Et voilà que le cœur de cet homme chaleureux mais fragile a lâché. Après une cérémonie simple et émouvante à Amsterdam, il a fallu rapatrier sa dépouille au pays pour qu’elle y soit inhumée. C’est là que les choses se sont gâtées. Le cher disparu, qui avait quelque chose d’un dandy, avait exprimé le vœu d’être enterré dans un beau costume. Le bonhomme qui s’occupe des rapatriements (appelons-le Bouazza) regarda l’assemblée d’un air stupéfait :

– Un costard ? Mais il ne s’agit pas d’un défilé de mode !

On insista. Bouazza objecta que de toute façon, une fois au Maroc, il fallait laver le corps. On lui a répondu :

– Et alors ? Tu le laves et tu le remets dans le trois-pièces !

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Va pour l’habit, à contrecœur. D. avait aussi souhaité partir entouré de fleurs : il les adorait. Là, le croque-mort international se dressa et croisa les bras.

– Des fleurs ? Allahou Akbar ! Mais ce n’est pas une noce ! C’est un enterrement !

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La veuve – qui est marocaine – affirme que c’était les dernières volontés du défunt et qu’il faut donc les respecter. Bouazza, outré, rétorque :

– Vous n’allez pas m’apprendre mon métier. Qu’est-ce que ­cette bid’a (innovation blâmable) ? Des fleurs ? Et pourquoi pas un orchestre ?

Là, c’en était trop. Quelqu’un – un grand Doukkali – a saisi Bouazza par le collet, l’a hissé jusqu’à hauteur d’yeux et lui a intimé l’ordre de se taire et de faire exactement ce qu’on lui demandait. Après tout, même mort, le client est roi. Boubou, froissé au propre comme au figuré, mit une sourdine à ses objections et obtempéra. D’ailleurs, il ne croyait pas si bien dire avec son histoire d’orchestre : les amis et la famille écoutèrent vraiment de la musique, une sublime musique sacrée… D. s’est envolé vers la terre natale dans la soute d’un Airbus de la RAM, et il repose désormais près des siens, dans son costume et entouré des fleurs les plus douces du monde.

Je ne sais pas ce que cette anecdote illustre. Peut-être ceci : les traditions, parfois, c’est sans importance, il faut savoir s’asseoir dessus. Mieux vaut se fier à la beauté des choses, des fleurs et des mélodies : quel Dieu pourrait objecter à ce qu’on jouisse des plus merveilleux produits de sa création ? Et au diable les Bouazza obtus…

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