Les multinationales au chevet de l’Afrique
Pour se faire accepter localement et réduire l’absentéisme pour maladie de leurs salariés et de ceux de leurs sous-traitants, les grands groupes ouvrent leurs programmes de santé aux populations riveraines.
« Ces dernières années, on constate une accélération de l’implication des entreprises internationales dans des programmes de santé destinés aux populations locales. Certains groupes comme ExxonMobil se sont même dotés de directeurs de santé publique », affirme Philippe Belliard, directeur commercial d’International Health Solutions, filiale d’Europ Assistance, spécialisée dans les services médicaux aux entreprises. Travaillant souvent sur des sites isolés et pauvres en infrastructures médicales, les compagnies minières, pétrolières et de matériaux de construction notamment ont développé des projets sanitaires dans leurs zones d’implantation. Après avoir débuté en 2001 le développement de programmes de santé pour ses salariés, le cimentier français Lafarge a ainsi étendu, à partir de 2005, ses projets aux communautés locales. En Ouganda, sa filiale Hima Cement Ltd a pris par exemple en charge en 2007 le suivi de plus de 900 personnes séropositives et la distribution de plus de 500 traitements antipaludéens. Au Botswana, la société Debswana, propriété du sud-africain De Beers, finance à hauteur de 600 000 dollars par an le traitement de plus de 6 000 patients qui vivent à proximité de ses mines de diamant. L’entreprise avait initialement consacré 300 000 dollars à la construction de centres de soins. En Libye, la compagnie pétrolière italienne Eni a envoyé, de son côté, 20 médecins en formation en Afrique du Sud. « Intervenir dans le domaine sanitaire autour de leurs implantations est une façon intelligente pour les grands groupes de se faire accepter localement et de pérenniser leur présence », analyse le Dr Laurent Arnulf, directeur Afrique d’International SOS, leader mondial de l’assistance médicale. Pour ce dernier, de telles implications dans le secteur de la santé sont évidemment très positives : « Les populations ont un meilleur accès aux soins. Les autorités du pays sont aidées dans leur mission de service public et les entreprises bénéficient au final d’une bonne image de marque. » « Notre but est d’être reconnus comme un leader responsable », confirme Gilles Cartier, coordinateur des programmes santé pour les activités raffinage et marketing du groupe Total. « L’attention portée aux populations par les entreprises est réelle mais encore limitée », tempère toutefois un observateur.
Lutte contre le paludisme
Les multinationales qui s’engagent dans la santé publique y trouvent surtout leur propre intérêt. Impossible en effet d’améliorer l’état sanitaire de leurs salariés si aux alentours celui des populations est fortement dégradé. Ainsi, en matière de sida ou de paludisme, deux maladies qui ont un impact économique considérable entraînant de forts taux d’absentéisme, les entreprises se sont vite aperçues que leur combat pour être efficace ne pouvait se limiter à leurs seuls effectifs. Leurs actions se sont ainsi de plus en plus élargies aux populations voisines des sites de production et aux employés des sous-traitants, très nombreux notamment dans l’industrie extractive ou le secteur de la construction. De fait, beaucoup d’entreprises assument clairement une double motivation, qui mêle préoccupation financière et valeur humaine. « Ça fait partie de nos valeurs et c’est aussi très bénéfique pour nos affaires », déclarait récemment Adel Chaouch, responsable RSE du pétrolier Marathon Oil Company, à propos du programme de lutte contre le paludisme du groupe d’un montant de 15,8 millions de dollars déployé depuis 2003 sur l’île de Bioko, en Guinée équatoriale. Le représentant de la compagnie se félicitait d’avoir économisé 4 dollars pour chaque dollar investi dans les actions de prévention grâce à des gains de productivité et à la baisse des frais médicaux. En collaboration avec le gouvernement guinéen, le projet initié par Marathon Oil Company doit maintenant être étendu à l’ensemble du pays. Pour la période 2008-2013, le groupe annonce un budget de 28 millions de dollars.
De manière générale, ces initiatives dont les grands groupes revendiquent la paternité sont en fait souvent sollicitées par les gouvernements des pays hôtes. En 2005, l’Angola n’a pas hésité à faire appel au groupe Total pour gérer un foyer infesté par la fièvre hémorragique de Marburg dans le nord du pays. Une collaboration renouvelée en 2006 pour venir à bout d’une épidémie de choléra. Les multinationales n’entendent plus désormais se substituer définitivement aux pouvoirs publics. Au contraire, elles s’attachent le plus souvent à inscrire leurs projets dans le cadre de plans d’action nationaux, voire à les cogérer avec les États concernés, conscientes que leur présence, même si elle peut durer plusieurs décennies, est temporaire.
Mais ces actions restent intimement liées à la présence de l’entreprise dans le pays. On peut en effet regretter que les grandes compagnies, dont certaines sont plus riches que les petits États africains, ne contribuent pas davantage au financement du Fonds mondial, l’organisme chargé à l’échelle internationale de financer la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’apport du secteur privé ne représente en effet que 8 % des dons collectés. « Certains groupes comme ExxonMobil ont dépassé cette logique, modère Philippe Belliard. Leurs fondations financent des programmes y compris dans des régions où ils ne sont pas implantés. » Mais ce positionnement reste toutefois minoritaire. « Beaucoup préfèrent agir directement autour de leurs sites, confirme Erick Maville, directeur Europe de Global Business Coalition (GBC), une structure qui accompagne plus de 200 multinationales dans leurs projets. Ils veulent de la traçabilité et un impact à court terme. » Une forme d’engagement qui pourrait pâtir de la crise économique actuelle. « En 2009, les investissements dans les programmes de santé des entreprises membres de GBC seront maintenus », tient à rassurer Erick Maville.
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