Le pari des villes nouvelles
Près de quinze villes nouvelles doivent sortir de terre à l’horizon 2020. Le défi est de taille pour un pays aux villes saturées. L’État, les banquiers et les promoteurs se retroussent les manches pour tenir cet engagement et maintenir leur rentabilité.
Il y a quelques mois encore, des troupeaux de moutons venaient paître à l’endroit où s’élèvent aujourd’hui d’imposants immeubles modernes. Là où la première pierre de la ville nouvelle de Tamesna, située à une vingtaine de kilomètres de Rabat et dont le nom a été choisi par Mohammed VI lui-même, a été posée le 13 mars 2007.
Depuis plus de quinze ans, le Maroc tente de faire face au manque de logements. Les villes marocaines ont supporté un accroissement de population de plus de 15 millions d’habitants en cinquante ans, notamment du fait d’un exode rural massif. Tous les ans, la population urbaine progresse de 4 % en moyenne. Ce qui se traduit par l’afflux de centaines de milliers de nouveaux citadins chaque année. Prolifération de l’habitat insalubre, cherté des prix du foncier, déficit en infrastructures, les grands centres urbains étouffent littéralement. « Le choix des villes nouvelles est un maillon fort du programme gouvernemental en termes d’aménagement du territoire. À l’horizon 2020, près de 15 villes nouvelles auront été construites afin de faire face aux besoins, notamment à Tanger, Nador ou encore Casablanca », rappelle-t-on au ministère de l’Habitat.
Le feu vert a été donné par le roi en 2004 avec le lancement des travaux de la ville nouvelle de Tamansourt, dans la région de Marrakech. « Il ne s’agit plus simplement de créer des extensions aux villes existantes, mais bien de faire émerger une ville à part entière », explique le ministre de l’Habitat Ahmed Taoufiq Hejira. Et les dimensions parlent d’elles-mêmes. Tamansourt est divisé en deux tranches : l’une, existante, de 1 200 hectares ; et la deuxième, en projet, de 700 hectares. Elles totaliseront 88 000 logements et pourront accueillir 450 000 habitants. Les investissements dans les équipements publics devraient avoisiner les 4 milliards de dirhams (DH, 354 millions d’euros), et le coût total du projet s’élève à 34 milliards de DH.
Édifiée sur 840 hectares, Tamesna pourra accueillir 250 000 habitants et couvrira à elle seule 38 % des besoins en logements dans la région de Rabat. La ville compte 54 000 logements, dont 8 300 logements à faible coût (120 000 à 140 000 DH par unité, soit de 10 700 à 12 500 euros), 9 800 logements économiques (200 000 DH l’unité) et 1 500 villas économiques (entre 800 000 et 1 300 000 DH). Le reste est constitué par des logements de différents standings, surtout à destination de la classe moyenne. À terme, l’investissement global du projet de Tamesna devrait avoisiner les 22 milliards de DH.
150 millions pour les études
Des investissements qui devraient être rentabilisés si l’on en juge par le formidable succès commercial qu’a connu Tamansourt dès le début : pour 56 000 logements prévus, plus de 120 000 demandes ont été formulées. Des milliers de logements ont été livrés, dont 1 500 à moins de 200 000 DH, ainsi que 1 200 villas économiques. Devant un tel engouement, les autorités ont été convaincues de poursuivre le mouvement. Début 2006, quatre nouvelles villes ont été annoncées : Lakhyayta et Zenata à proximité de Casablanca, Melloussa à Tanger et Tagadirt à Agadir. Le modèle séduit tellement que de nombreuses agences urbaines se penchent sur la question et mènent des études de faisabilité notamment à Fès, Nador ou Al-Hoceima. Cela a même été budgétisé dans la loi de finances 2009 et, cette année, les agences devraient consacrer près de 150 millions de DH aux études.
Aucune chance donc que les villes nouvelles marocaines deviennent, comme en Espagne, des villes fantômes où les logements restent désespérément vides ? « Au Maroc, les villes nouvelles répondent à un besoin réel et urgent en logement social et moyen standing, notamment pour les jeunes ménages et les populations des bidonvilles », réfute un promoteur casablancais. Pour preuve, les produits que proposait le promoteur Addoha, à 200 000 DH, sont quasiment épuisés. « Les segments qui pourraient souffrir sont le haut standing, où l’on a noté, depuis la crise, une baisse de la demande », ajoute-t-il. L’immobilier de luxe se négocierait avec des rabais de 10 % à 40 %. Et ce ne sont pas les Marocains les plus fortunés qui inverseront la tendance. Selon le ministère de l’Habitat, seulement 4 % de la population a les moyens de s’offrir ce type de résidence.
Reste que le logement social, qui domine dans les villes nouvelles, ne représente pas pour les promoteurs les mêmes promesses de profits que l’immobilier de luxe. Mais afin de répondre aux besoins en logements économiques, ils ont développé une offre spécifique. La villa économique, par exemple, est un produit semi-fini, et c’est à l’acheteur de faire le parquet, les sanitaires ou encore les peintures. « Pour les gens de la classe moyenne, c’est un soulagement. À Marrakech ou à Casablanca, l’immobilier est quasiment inaccessible », explique Mehdi, un jeune cadre qui a investi à Tamansourt. Mais la classe moyenne est aujourd’hui choyée par les autorités, qui ont mis en place des mesures incitatives pour les pousser à devenir propriétaires. Au début de l’année, l’État a réuni deux fonds de garantie des prêts immobiliers (Fogarim et Fogaloge) dans un seul : Damane Sakane. Destiné aux salariés du privé qui gagnent entre 10 000 et 15 000 DH mensuels, il garantit 50 % d’un prêt allant jusqu’à 800 000 DH. En contrepartie de la garantie de l’État, les pouvoirs publics demandent aux banques qui distribuent ces prêts d’opérer une décote de 50 points de base sur les taux d’intérêt (autour de 5,6 %). Dès février 2009, les encours de crédits immobiliers avaient augmenté de 25 % par rapport à février 2008, pour atteindre 155 milliards de DH.
De solides marges de 35 %
Selon le ministère de l’Habitat, à l’horizon 2012, 80 % des marocains devraient être propriétaires de leur logement. Une nouveauté qui pourrait bien inciter les promoteurs à davantage s’impliquer. Le groupe Addoha bénéficie par exemple de l’appui du ministère délégué à l’Habitat et à l’Urbanisme, qui lui a vendu plusieurs terrains, dont certains à des prix réduits. En contrepartie, le groupe s’est engagé à baisser le prix de ces appartements jusqu’à 120 000 DH, notamment à Tamesna. Une baisse de coût qui ne devrait pas la désavantager puisque, d’après un analyste, le groupe réalise une marge d’environ 35 % sur le logement social.
C’est le holding public El Omrane qui a réalisé l’aménagement des différents îlots de Tamesna, sur lesquels les promoteurs immobiliers développent leur programme. Le site accueille près de trente promoteurs, dont 6 étrangers (Malaisie, Qatar, Libye, France…). Le marocain Addoha réalise 4 800 unités de logements, Jet Sakane 6 400 et le groupe espagnol Marina d’Or 6 500. Ce dernier gère un important projet de 4,2 milliards de DH pour la construction de 7 000 logements, dont 20 % seront dédiés à l’habitat social.
Premier investisseur public du royaume, le holding El Omrane est engagé dans une politique de résorption des bidonvilles et de promotion de l’habitat social. Le projet des villes nouvelles est indissociable de l’initiative « Villes sans bidonvilles », un gigantesque chantier qui devrait toucher près de 70 villes à l’horizon 2010. Sur la seule ville de Tamesna, 10 000 ménages des 3 communes environnantes, habitant dans des conditions d’insalubrité prononcée, seront relogés. Pour chaque appartement (56 m², d’une valeur d’environ 120 000 DH), l’État subventionne les ménages à hauteur de 40 000 DH et favorise le recours au crédit à travers Damane Sakane.
Tamesna a cependant déjà connu quelques retards de livraison. Les premiers habitants devaient s’installer à la fin de l’année 2008. Ils sont arrivés au printemps 2009. Des délais que les promoteurs imputent aux lenteurs administratives dans le traitement des dossiers. « Faux, répond Nabil El Kerdoudi, membre du directoire d’El Omrane. Certains promoteurs ont un peu failli à leurs engagements et ont tardé à prendre en compte les recommandations qui leur étaient faites. » Les violentes intempéries que le Maroc a connues cet hiver ont, elles aussi, entraîné des retards dans l’achèvement des travaux. Mais c’est surtout le contexte de crise mondiale qui a ralenti le rythme des ventes de logements et l’euphorie de départ a laissé place à un certain attentisme chez les acheteurs. Les projets de villes nouvelles n’en continuent pas moins de tirer vers le haut de nombreux secteurs de l’économie. Grâce aux nombreux chantiers en cours, le BTP continue d’être très dynamique : le secteur, qui représente 800 000 emplois au niveau national, crée 50 000 nouveaux emplois chaque année.
Pourtant, les critiques demeurent. Pour Ali Idrissi, ancien haut cadre au ministère de l’Habitat, « on risque de reproduire les mêmes erreurs qui ont été commises en France avec des cités ghettos, où l’activité économique peine à se développer et où les populations sont marginalisées ». Selon lui, il aurait été plus prudent de développer le tissu urbain déjà existant. « Aucun risque que les villes nouvelles deviennent des cités dortoirs », répond Nabil El Kerdoudi. À Tamesna, 32 ha seront consacrés aux activités génératrices de revenus et 85 ha aux équipements comme les écoles, les hôpitaux, une université ou encore un conservatoire de musique. Pour favoriser l’émergence d’une activité économique, les différents services de l’État sont également mis à contribution. Une convention a été signée avec le ministère de l’Équipement et des Transports afin de finaliser les travaux de raccordement de la ville à l’autoroute pour fin 2010. Dans la région de Tanger, la ville nouvelle de Chrafate devrait accueillir 150 000 habitants sur 1 300 hectares et elle nécessitera un investissement de 24 milliards de DH. Située à proximité des sites de l’usine Renault et de Tanger Med, la ville nouvelle est une réponse au dynamisme économique que connaît le Nord depuis quelques années.
L’épine du foncier
Cependant, pour créer une ville nouvelle, encore faut-il pouvoir mobiliser du foncier. « À proximité des grandes villes, le foncier est souvent très cher ou inexistant » explique Lamia el-Kadiri, directrice générale déléguée de la société El Omrane-Tamesna. Les difficultés à mobiliser le foncier ont été importantes à la périphérie de Casablanca, où deux villes nouvelles, Lakhyayta et Zenata, vont être érigées. Les travaux du premier pôle urbain de Lakhyayta (448 ha sur les 1 300 de la ville nouvelle) ont cependant pu être lancés. Le site choisi pour Tagadirt, la ville nouvelle à 6 km d’Agadir, a lui aussi présenté des problèmes, notamment du fait de la présence d’une forêt d’arganiers protégée. Malgré tout, les travaux devraient commencer comme prévu cette année.
Il est encore trop tôt pour voir si la greffe des villes nouvelles a pris. Selon les spécialistes, il faut attendre entre trois et quatre ans pour en juger, le temps que la nouvelle cité s’interconnecte au réseau de villes existantes et que les nombreux problèmes de gestion de la voirie, des espaces verts, des déchets, de l’éclairage public… qu’elle affrontera soient résolus, autant en termes de moyens humains que financiers. Mais sans attendre, et fort de son expertise, le Maroc ne se contente plus de faire des villes nouvelles sur son territoire mais en fait profiter d’autres pays. Ynna Holding, le groupe de Miloud Chaabi, est actionnaire dans un projet de promotion immobilière sur la vallée du Nil, Madinat Nasr. Il réalise également des logements de moyen standing en Guinée équatoriale et au Sénégal. Autre exportateur de villes nouvelles, la CDG, qui a signé avec la société jordanienne Mawared un accord portant sur la construction d’une ville nouvelle, située à 20 km d’Amman.
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