Qui peut battre « SBY » ?
Fort d’un bilan très honorable, Susilo Bambang Yudhoyono, le président sortant, devrait logiquement obtenir un nouveau mandat de cinq ans lors de la présidentielle du 8 juillet. Qu’ils paraissent loin les temps chaotiques de la dictature de Suharto !
Avez-vous entendu parler de l’élection présidentielle indonésienne du 8 juillet ? Ou des élections législatives du mois d’avril ? Non, sans doute. Il est même probable que vous ignoriez jusqu’au nom de l’actuel chef de l’État. Autrefois à la une de la presse internationale, pour des motifs d’ailleurs peu réjouissants – émeutes populaires, répression policière, attentats terroristes, revendications indépendantistes –, l’archipel aux dix-sept mille îles (dont six mille habitées) a peu à peu disparu des écrans radar. Sauf lors du tsunami meurtrier de 2004.
Depuis la chute du régime ultra-autoritaire du général Suharto, conséquence de la crise asiatique de 1997, et l’établissement progressif d’une véritable démocratie, le quatrième État le plus peuplé de la planète (235 millions d’habitants) – qui est aussi la première nation islamique (90 % de ses habitants sont musulmans) – est devenu un pays « normal », donc peu susceptible de faire parler de lui.
Au tout début du siècle, l’arrivée au pouvoir de Megawati Sukarnoputri, fille du père de l’indépendance (évincé en 1967 par Suharto à la suite d’un putsch sanglant : 500 000 morts), avait symbolisé la fermeture de la longue parenthèse dictatoriale. Et le parcours plus qu’honorable de son successeur, l’ancien général javanais Susilo Bambang Yudhoyono, premier président élu (en 2004) au suffrage universel direct, n’a fait que le confirmer. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur son bilan que « SBY », comme on le surnomme, espère se voir confier un nouveau mandat de cinq ans.
Simple outsider contre Megawati lors du scrutin précédent, Yudhoyono est, cette fois, le grand favori. Les électeurs peuvent en effet porter à son crédit une série d’évolutions très positives. À commencer par le rétablissement spectaculaire de la paix civile. Ancien tout-puissant ministre de la Sécurité, SBY est à l’évidence un homme d’ordre. Il l’a démontré en démantelant les réseaux islamistes violents, en particulier les auteurs des attentats à la bombe de Bali. Une neutralisation d’autant plus appréciée que ces derniers n’ont guère de soutien dans la population, les grands leaders religieux étant traditionnellement très modérés. Et que le tourisme représente une source importante de revenus pour de nombreux Indonésiens. Le président a par ailleurs réussi à mettre fin à la lutte armée, vieille de trente ans, des indépendantistes de la presqu’île d’Aceh, à Sumatra. Affaibli par l’épreuve du tsunami, le principal mouvement séparatiste de l’archipel a accepté de renoncer à la violence en échange d’une large autonomie.
PAS DE RÉCESSION
Côté économique, aussi, SBY peut se prévaloir de bons résultats. Alors qu’elle avait été la principale victime de la crise asiatique (chute de 14 % de son PNB en un an), l’Indonésie a retrouvé depuis plusieurs années un rythme de développement soutenu : + 6 %, par exemple, en 2007 et 2008. Si elle n’est pas aujourd’hui épargnée par la crise, elle n’est pas pour autant menacée, tous les experts en sont d’accord, par une nouvelle récession. La croissance a été de 4 % au premier trimestre et devrait rester nettement positive pendant toute l’année. Une bonne nouvelle dans ce pays où le revenu annuel par habitant ne dépasse pas, en moyenne, 1 500 dollars, et où la lutte contre la pauvreté et le chômage reste la priorité des priorités.
Faut-il en conclure que l’élection du 8 juillet sera une simple formalité ? Même si, à en juger par les sondages, une victoire de SBY au premier tour n’est pas exclue, les jeux ne sont pas totalement faits. Lors des législatives du mois d’avril, son Parti démocratique (PD) a certes triplé son score de 2004 et dépassé tous ses concurrents, mais il n’a obtenu que 20 % des voix, soit beaucoup moins que ce qu’il espérait. Ses deux adversaires, même si leurs partis n’ont pas dépassé 15 % des suffrages il y a trois mois, sont des poids lourds de la politique. En cas de second tour (en septembre), leurs voix s’additionneraient en faveur du mieux placé. Et comment savoir pour qui voteraient les électeurs des quelque quarante partis, laïcs ou religieux, ayant présenté des candidats aux législatives ?
Yudhoyono doit en effet affronter une nouvelle fois Megawati Sukarnoputri, mais aussi celui qui était son vice-président et qui a fort peu apprécié de ne pas être reconduit, l’homme d’affaires Yusuf Kalla. Or l’un et l’autre représentent les deux partis historiquement les mieux implantés et les plus puissants du pays : le PDI-P, héritier des idées nationalistes de Sukarno (il fut longtemps le principal pôle de résistance à la dictature), et le Golkar, qui regroupe les anciens partisans conservateurs de Suharto.
CURIEUX ATTELAGES
L’un et l’autre ont de surcroît choisi un colistier inattendu mais susceptible, pensent-ils, d’élargir leurs bases électorales respectives. Megawati fait équipe avec Prabowo Subianto, ex-gendre de Suharto et surtout ex-commandant des forces spéciales – celles-là mêmes qui réprimèrent brutalement les supporteurs de la dirigeante du PDI-P à la fin de la dictature. Kalla a fait appel au dernier commandant en chef de l’armée sous le régime Suharto, pourtant accusé par l’ONU d’avoir couvert de très graves atteintes aux droits de l’homme au Timor oriental.
Face à ces curieux attelages, le très centriste SBY a raisonnablement choisi, en ces temps de turbulences économiques, d’appeler à ses côtés un spécialiste des questions financières, l’ancien gouverneur de la banque centrale Boediono, un serviteur de l’État réputé apolitique, compétent et intègre. Dans l’hypothèse, finalement fort probable, de sa réélection, il aura assurément besoin d’un homme de cette qualité dans son équipe. Car si la crise persiste, et avec la nécessité de réunir une coalition de partis hétéroclite pour avoir la majorité à l’Assemblée, l’Indonésie de Yudhoyono 2 pourrait se révéler difficile à gouverner.
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