Hamou Bouakkaz

Adjoint au maire de Paris et aveugle de naissance, ce Franco-Algérien bon vivant milite pour une réconciliation mémorielle entre la France et ses immigrés.

Publié le 30 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

À l’âge où les petits garçons rêvent d’être pompier ou pilote, Hamou Bouakkaz voulait devenir président de la République. « La politique, ça commence dès le berceau », explique cet aveugle de naissance qui, après des études brillantes et parallèlement à une carrière dans la finance, occupe aujourd’hui le fauteuil d’adjoint au maire de Paris, chargé de la vie associative et de la démocratie locale.

Né en 1964 à Alger, Hamou, second d’une fratrie de quatre, n’a que 1 an quand sa famille décide de s’établir en France dans l’espoir de soigner sa cécité. Son père, fleuriste à Alger, devient manutentionnaire à Argenteuil-Bezons, dans la région parisienne. 

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L’arrivée à l’école maternelle se passe plutôt mal. Hamou se retrouve interne dans un institut spécialisé, loin des siens. « J’essayais d’imaginer que j’étais relié à ma mère par un fil invisible et que je lui parlais », raconte-t-il en souriant. Pourtant, il semble ne garder de cette période que de bons souvenirs. « J’ai été pris en charge dans une filière d’excellence. On était huit ou dix par classe, les meilleurs faisaient de la musique, on était poussés à consommer de la culture. »

À 5 ans, il apprend la flûte et, l’année suivante, fait ses premières gammes au piano. « J’ai passé des auditions et donné mes premiers concerts à 8 ans », se souvient-il, assis derrière son bureau à l’Hôtel de Ville, où il se rend tous les après-midi. Le matin, dans la banque qui l’emploie, il gère la trésorerie de grandes entreprises…

« Au même âge, j’ai commencé le théâtre et cela m’a désinhibé, poursuit-il. J’ai eu énormément de chance. À l’école des aveugles, il n’y a pas d’Arabes, pas de Portugais, pas de Noirs. Il n’y a que des aveugles. On apprenait des langues différentes, on était curieux les uns des autres. C’était génial. Être aveugle m’a permis de ne pas être arabe. »

Parallèlement, il entame son éducation politique. « J’ai vécu le coup d’État du 11 septembre 1973, au Chili, comme un choc. » Issu d’un milieu ouvrier, il est fasciné par l’histoire de l’Algérie et des moudjahidine. « Pourtant, dit-il, mon père n’avait rien d’un militant. C’était un homme doux qui se donnait du mal pour élever ses enfants. Moi, j’écoutais la radio et je me suis très tôt tenu au courant de l’actualité. Et puis, les éducateurs de l’Institut des jeunes aveugles étaient plutôt de gauche. Ils m’ont sensibilisé à certaines causes… »

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En toute logique, c’est pour les malvoyants qu’il mènera son premier combat politique. Dès la fin des années 1970, il milite contre la Journée nationale des aveugles, qui leur donnait alors le droit de… faire la quête. En 1980, il adhère à la Jeunesse communiste, mais rendra sa carte quatre ans plus tard : « Je reste attaché à certains principes, à certaines valeurs. J’ai quitté le Parti communiste dès le moment où il n’a plus collé avec l’évolution de la société. »

À cette époque, Hamou ne fréquente déjà plus les établissements réservés aux aveugles. Son parcours laisse pantois : lycée Victor-Duruy (Paris), bac C, math sup, maîtrise de mathématiques, Télécom Paris… « J’ai bossé dur, bien entendu, mais j’ai été très choyé, entouré par des profs qui ont fait pour moi des choses exceptionnelles. Quand j’étais à la fac, l’un d’eux me donnait tous les samedis matin des cours particuliers. Des copains de classe enregistraient, à sept ou huit, le polycopié du cours. Chacun y passait une heure et, le lendemain matin, j’avais mon poly. »

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La cécité, c’est tout blanc ou tout noir : « Soit elle vous pousse vers le haut parce qu’il y a des gens qui vous trouvent sympa et qui s’occupent de vous, soit elle vous condamne à jamais. » Manifestement, ils sont nombreux à le trouver sympathique : « Je suis un séducteur invétéré », reconnaît-il. Hédoniste, il ne boude rien de ce qui rend la vie plus suave. Les femmes, bien sûr, mais aussi les voyages, le ski de fond, les pastèques, le couscous aux fèves, le narguilé…

Son diplôme en poche, Hamou Bouakkaz décroche un boulot d’ingénieur au sein du service « système d’informations » du Crédit Lyonnais, puis, en 1993, passe en salle des marchés. S’il quitte la politique active pour se concentrer sur ses études et sa carrière professionnelle, il demeure un militant syndical convaincu, très impliqué dans la cause des malvoyants. Et c’est dans le cadre du projet Euro Vision, qui vise à faciliter le passage à l’euro pour les aveugles, qu’il revient sur la scène politique.

« C’est à cette occasion que j’ai rencontré l’assistant parlementaire de Bertrand Delanoë, alors en pleine campagne pour l’investiture du Parti socialiste aux élections municipales de 2001. J’ai pris la parole lors d’un meeting, il m’a proposé de travailler avec lui et j’ai répondu : chiche ! » 

En 2001, il se met en disponibilité pour intégrer le cabinet du maire de Paris en tant que conseiller chargé, d’une part, des handicapés, de l’autre, des relations avec le culte musulman. Ce poste lui permet de contribuer à « la réconciliation des mémoires », c’est-à-dire de faire en sorte que les blessures du passé cicatrisent, que les traumatismes s’estompent.

Il se dit fier qu’une place de Paris porte aujourd’hui le nom de l’émir Abdelkader. « Je veux qu’il y ait dans toutes les villes de France des rues dont les noms parlent à tous les habitants, sans exception », renchérit-il.

Pourtant, il ne fait pas mystère de son amour immodéré pour son pays d’adoption : « Même s’il a oublié une partie de son passé, j’ai pour lui toute la tendresse que l’on a pour une grand-mère souffrant de la maladie d’Alzheimer. »

Est-il pour autant favorable à l’instauration d’une politique de discrimination positive ? « Je suis pour le droit d’expérimenter. Il faudrait mettre en place des statistiques ethniques pour mesurer le niveau de réussite de l’intégration. On le fait bien pour les handicapés et cela ne pose aucun problème. » Sans craindre d’être impopulaire, il est favorable à l’abolition de l’héritage, « la plus importante cause de discrimination, en France ».

Rêve-t-il encore de devenir président de la République ? « Au fil des années, je suis devenu moins ambitieux, je trouve que les politiques n’ont pas autant de pouvoir qu’on l’imagine. » Quand même, il pourrait bien un jour tenter sa chance. Et pourquoi pas lors de la présidentielle de 2017 ?

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