Patrick Weil : « L’intégration culturelle est ce qui marche le mieux »

Nicolas Sarkozy instrumentalise l’immigration à des fins strictement politiciennes, accuse l’historien français.

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 30 juin 2009 Lecture : 2 minutes.

Patrick Weil est « le » spécialiste français de l’immigration. C’est aussi l’une des personnalités les plus critiques à l’égard de Nicolas Sarkozy. Dans son dernier livre, Liberté, égalité, discriminations, paru en poche chez Gallimard en avril, il aborde la question de la « repentance » dans la société française et explique comment Sarkozy a instrumentalisé la politique d’immigration à des fins strictement politiciennes. 

JEUNE AFRIQUE : La politique de Nicolas Sarkozy en matière d’immigration marque-t-elle vraiment une rupture ?

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PATRICK WEIL : C’est une rupture en ce sens qu’elle exprime le désir de sélectionner les immigrés sur la base de leurs origines géographiques. Le ciblage des Africains et/ou des Méditerranéens s’est opéré de trois manières. D’abord, par le biais de consignes orales données par de proches collaborateurs de Brice Hortefeux, l’ancien ministre de l’Immigration, à certains fonctionnaires afin de freiner l’attribution de bourses aux étudiants africains et le regroupement familial. Ensuite, au travers de la loi sur l’immigration de 2007, qui vise directement les regroupements de conjoints. Enfin, en matière de naturalisations, par le renforcement du pouvoir discrétionnaire des préfets, évidemment préjudiciable à l’égalité de traitement. Tout cela n’est que l’application du slogan « immigration choisie » lancé par Sarkozy en 2005. 

Pourtant, Sarkozy n’a pas toujours été favorable à cette politique…

Il ne fait rien qui ne soit à son profit politique. En tant que ministre de l’Intérieur, il a d’abord essayé de séduire le vote musulman avec la création, en 2003, du Conseil français du culte musulman. Quand il a vu que les musulmans continuaient de voter à gauche, il a eu l’idée de « l’immigration choisie », qui, d’ailleurs, ne vient pas de lui mais d’un rapport remis à Dominique de Villepin lors de son passage Place Beauvau, en 2004-2005. À l’époque, celui-ci souhaitait rompre avec la politique de son prédécesseur, jugée trop laxiste. Finalement, les recommandations du rapport ont été jugées inapplicables. Tout l’art de Sarkozy a été d’en reprendre les lignes directrices pour faire de l’immigration non un élément de conquête des musulmans de gauche, mais de l’extrême droite. 

En quoi cette « rupture » est-elle une nouveauté ?

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Elle ne l’est pas. C’est une politique qui repose sur le postulat du « caractère inassimilable » de certaines origines. Elle s’apparente à certaines politiques « racisantes » élaborées aux États-Unis dans les années 1920-1930 et qui ont même failli être appliquées en France, à la Libération. Mais quand on dit aux immigrés africains ou turcs : « c’est votre faute si vous ne vous intégrez pas », on se trompe lourdement. Au contraire de l’intégration socio-économique, l’intégration culturelle est ce qui marche le mieux en France. 

La tradition égalitaire est, selon vous, « au cœur de l’identification des Français à leur État et à leur nation ». Quelles sont les conséquences d’une politique d’immigration discriminatoire sur la cohésion de la société française ?

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Il y a évidemment un risque de division ethnique de la société. Heureusement, nous n’en sommes pas encore là. Cependant, le refus de Sarkozy d’affronter l’histoire coloniale est préoccupant. L’esclavage et la Shoah sont deux crimes contre l’humanité condamnés par la France et les Français. Mais pas la colonisation, qui révèle un conflit de mémoires encore douloureuses et opposées. Il y a urgence à construire un récit commun. 

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