Demain, l’apocalypse

Inondations, sécheresses, cyclones dévastateurs… Si rien n’est fait, les changements climatiques en cours pourraient, d’ici à quelques décennies, provoquer des cataclysmes d’une violence inouïe. D’où l’importance capitale de la conférence de Copenhague, en décembre.

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 30 juin 2009 Lecture : 6 minutes.

Bangladesh, an 2099. Tout au long du XXIe siècle, le niveau de la mer n’a cessé de monter : entre 11 et 88 cm selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Imaginez maintenant qu’un cyclone, phénomène fréquent dans la région, fasse encore monter les eaux… Ou, pis encore, qu’un tsunami d’une force équivalente à celui de 2004 frappe ce pays déshérité où environ 20 % des quelque 200 millions d’habitants, trop pauvres pour migrer, vivent dans des zones inondables à moins de 1 mètre au-dessus du niveau de la mer… En quelques minutes, la moitié du pays serait rayée de la carte. Bilan inévitable : des millions de morts.

À en croire les climatologues, ce scénario catastrophe – dont la gravité n’a rien à envier à celle d’une apocalypse nucléaire – n’est nullement invraisemblable. Il illustre bien la manière dont les changements climatiques en cours aggravent les conséquences des catastrophes naturelles auxquelles les trois quarts des habitants de la planète, qu’ils vivent en bord de mer ou dans une zone de mousson tropicale, sont déjà exposés.

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« Il est désormais très probable que des catastrophes liées au climat – inondations, sécheresses ou tempêtes – deviennent plus fréquentes et plus violentes », estime Bekele Geleta, secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC).

« Dans les années 1990, nous avons enregistré une moyenne annuelle de 200 catastrophes naturelles liées au climat. Au cours de la décennie 2000, la moyenne est de 350 », renchérit Maarten van Aalst, un des auteurs du rapport 2009 de l’IFRC. Lequel évalue le coût des dégâts à plus de 181 milliards de dollars pour la seule année 2008. Une goutte d’eau dans l’océan des catastrophes naturelles à venir, si l’on en croit les experts, dont les rapports – tous plus alarmistes les uns que les autres – se multiplient à un rythme effréné : pas moins d’une dizaine depuis un mois. Normal, après tout, à six mois de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique, à Copenhague (Danemark), qui a pour but de mettre sur pied la relève du protocole de Kyoto (qui expire en 2012). Des milliers d’économistes, de scientifiques, de diplomates, de lobbies industriels et d’ONG sont sur le pied de guerre. Au centre des discussions : les centaines de milliards de dollars que les pays riches devront débourser pour financer l’adaptation de l’économie mondiale à des normes de production moins gourmandes en gaz à effet de serre. Qui paiera quoi, à qui, et sous quelle forme ? Les négociations Nord-Sud s’annoncent serrées. Un échec de ce grand marchandage coûterait très cher à tout le monde.

Depuis le rapport publié en octobre 2006 par Nicholas Stern, l’ancien vice-président de la Banque mondiale, il est généralement admis que consacrer chaque année entre 1 % et 2 % du PIB mondial suffirait à atténuer efficacement l’impact économique du réchauffement, évalué à plus de 5 500 milliards de dollars pour la période 2005-2015. En mars dernier, ce même économiste a revu son estimation à la hausse et juge que son rapport « sous-estimait gravement » les risques liés aux bouleversements climatiques. Catastrophisme ? Tel n’est pas l’avis des militants écologistes, bien sûr, mais aussi de l’immense majorité de la communauté scientifique et de quelques personnalités de premier plan comme le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. 

CLIVAGE NORD-SUD

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Même les États-Unis, pourtant non-signataires du protocole de Kyoto, se mettent à sonner le tocsin. Rompant avec l’immobilisme de l’ère Bush, le gouvernement de Barack Obama a, le 16 juin, publié un rapport soulignant les risques de recrudescence des sécheresses et des ouragans dont la première économie mondiale pourrait faire les frais et militant ouvertement – grande première – pour la réduction des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Obama a également présenté au Congrès un projet de loi visant à réduire lesdites émissions de 17 % d’ici à 2020 (par rapport à 2005). Entre démocrates et républicains, la bataille fait rage. Elle pourrait durer jusqu’en 2010.

Obama entend donner des gages de bonne volonté à l’Inde, à la Chine et au Brésil, qui, préalablement à tout effort de leur part, exigent que les pays riches s’engagent à réduire leurs émissions de gaz carbonique. Ce clivage Nord-Sud s’est encore aggravé lors d’une récente session de négociations préalables à la conférence de Copenhague (Bonn, 2-12 juin). Échaudés par l’échec des négociations de Doha, les pays émergents attendent de sérieuses garanties avant d’accepter d’entraver leur développement « classique » au profit d’une économie verte dont les premiers bénéficiaires seraient les pays occidentaux.

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Mais si le principe « pollueur payeur » relève d’une saine morale (les pays pauvres ne sont pas responsables du réchauffement), il est à double tranchant. D’abord parce que les pays du Sud « paient » le plus lourd tribut humain au réchauffement climatique. Selon une étude publiée le 29 mai par le Forum humanitaire mondial, que préside Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU, le changement climatique serait déjà responsable de plus de 300 000 morts par an – un véritable tsunami silencieux. Mais ce n’est pas tout.

Le nombre des « éco-réfugiés » – non protégés par la Convention de Genève sur les droits des réfugiés – devrait exploser à l’horizon 2050, passant, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), de 25-50 millions aujourd’hui à plus de 200 millions. Voire 700 millions, selon les prévisions les plus pessimistes. Quelles sont les populations les plus vulnérables ? Le rapport publié le 10 juin par l’ONG Care dresse la carte des régions où l’adaptation au changement climatique sera le plus difficile (voir ci-dessus).

Premières régions touchées, les deltas des grands fleuves – Gange, Mékong et Nil en tête –, victimes désignées de l’élévation du niveau des mers et des inondations saisonnières. À quoi il convient d’ajouter, dans le cas du Nil, la désertification. Plus du quart des 40 millions d’Égyptiens vivant dans le delta du Nil habitent dans des zones risquant d’être englouties, dès 2050, sous 1 ou 2 mètres d’eau. Le delta serait ainsi privé d’un tiers de ses 1,5 million d’hectares de terres cultivées. D’où de gravissimes problèmes de subsistance pour une population piégée entre la montée des eaux, d’un côté, et la désertification de l’arrière-pays, de l’autre.

L’Afrique de l’Ouest ne sera pas épargnée. Le phénomène d’érosion touche déjà 65 % de ses terres cultivables. Les sécheresses dramatiques pourraient se multiplier. Alors que 300 millions d’Africains ont toujours les plus grandes difficultés pour s’approvisionner en eau, les pénuries hydriques devraient s’accroître de 30 % en 2050. 

DISPARITION INÉLUCTABLE

Autre région touchée de plein fouet : l’Amérique centrale, où les précipitations pourraient diminuer de 50 % d’ici au milieu du siècle, tandis que la fréquence et la puissance des cyclones seraient fortement accentuées en raison d’une élévation de la température de la mer. Enfin, il y a ces petites îles du Pacifique sud et de l’océan Indien vouées à un inéluctable engloutissement : Tuvalu, Maldives, Salomon, Fidji… « La question n’est pas de savoir si nous allons être submergés, mais quand », affirmait déjà, en 2001, un homme politique local. Dans l’archipel de Tuvalu, l’exode a d’ailleurs déjà commencé, en accord avec la Nouvelle-Zélande.

Or les réfugiés climatiques sont comme les vents : ils ne respectent pas les frontières. Un accroissement des flux de migrants pourrait déstabiliser les États les plus fragiles, susciter des problèmes économiques et des tensions sociales. Pays du Sud et du Nord sont, de ce point de vue, logés à la même enseigne. À ceci près que les seconds portent la responsabilité du réchauffement climatique. Vont-ils enfin renoncer, sous la pression de leurs opinions, à l’arrogance dont ils ont fait montre durant le cycle des négociations de Doha ? C’est tout l’enjeu du grand marchandage écologique en cours. 

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