Iran : une révolution à réinventer

Face au gigantesque mouvement de protestation déclenché par la réélection douteuse du président Ahmadinejad, l’aile conservatrice du régime choisit la manière forte. Quitte à se discréditer un peu plus aux yeux de la population. Une chose est sûre : rien ne sera jamais plus comme avant.

Publié le 29 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

Il serait téméraire de prédire l’issue de la lutte titanesque pour le pouvoir qui se déroule en ce moment en Iran. Tous ces événements ne prendront leur signification pleine et entière que dans plusieurs semaines, voire dans plusieurs mois. Mais une chose est claire : l’Iran ne sera jamais plus le même. Il se trouve encore dans la tourmente d’une révolution inachevée. Son image et la nature de son régime ont profondément changé.

Le gigantesque mouvement de désobéissance civile qui s’est déployé dans les rues de Téhéran a fait voler en éclats les préjugés et la désinformation qui entourent l’Iran et ses ambitions régionales. Nul ne peut sérieusement croire que cette société mature, dynamique, éduquée et structurée, qui se bat pour la justice et la démocratie, veuille dominer le Moyen-Orient et fasse peser une menace mortelle sur le monde. Plutôt que de chercher à imposer sa volonté aux autres, le pays est passionnément centré sur lui-même. Diaboliser la République islamique n’est plus un exercice crédible. Au contraire, au lieu d’être un objet de craintes, l’Iran pourrait devenir, dans une certaine mesure, une source d’inspiration pour les peuples du Moyen-Orient, dont beaucoup vivent sous la férule de régimes despotiques ou fossilisés. Telle est sans doute la principale leçon de l’élection présidentielle du 12 juin et de ses suites chaotiques.

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Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, tenant d’une ligne dure, était en Europe la semaine dernière. Son antienne est que l’Occident et les Arabes doivent s’attaquer au programme nucléaire iranien, qu’il estime être le danger majeur. Pour le contraindre à renoncer à ses ambitions dans ce domaine, il veut que l’Iran soit sévèrement sanctionné, voire bombardé. Selon lui, l’État palestinien (si tant est qu’il puisse se résoudre à évoquer ce sujet) est un dossier bien moins important, qui peut sans risque être tranquillement repoussé. Mais avec une vision à ce point erronée, Netanyahou ne se verra guère accorder mieux qu’une attention polie.

Il semble aujourd’hui incontestable que l’élection du 12 juin a été tronquée, si ce n’est truquée par l’establishment conservateur. Il paraît peu vraisemblable que Mahmoud Ahmadinejad, le président sortant, ait obtenu 63 % des voix alors que son principal opposant, l’ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi, à peine 34 %. Le Conseil des gardiens lui-même a admis que, dans au moins cinquante villes, le nombre des voix était supérieur à celui des votants. Sur 40 millions de bulletins, quelque 3 millions pourraient avoir été falsifiés. Et ce ne pourrait être que la partie émergée de l’iceberg. Quoi qu’il en soit, les Iraniens ont, par millions, rejeté les résultats officiels. L’opposition demande l’annulation de l’élection et l’organisation d’un nouveau scrutin. Un recomptage partiel des voix ne suffira pas. Pourtant, l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême, a écarté cette option et, plutôt que de rester en position d’arbitre, a réaffirmé son soutien à Ahmadinejad, ce qui pourrait se révéler une grave erreur. 

« À bas le dictateur ! »

En prenant parti aussi ouvertement, Khamenei a exposé au grand jour les profondes divisions qui opposent conservateurs et réformateurs. Il est devenu le symbole même d’une direction divisée. Khamenei est, en réalité, la principale victime de la crise. Sa légitimité en a souffert. Ses compétences théologiques ont été mises en cause. En accusant la Grande-Bretagne, les États-Unis et les Occidentaux en général d’avoir orchestré en sous-main ce mouvement de protestation, il s’est décrédibilisé. Il a surtout perdu le respect populaire dont il jouissait en envoyant les forces de sécurité (et les brutaux miliciens bassidji) disperser une foule pacifique. L’une des victimes de la répression, Neda Salehi Agha-Soltan, une jeune femme de 27 ans abattue d’une balle en pleine poitrine le 20 juin [dont la mort a été filmée et diffusée sur Internet], est devenue l’icône de ce mouvement de protestation – son « ange de la liberté ». Les Iraniennes éduquées (elles représentent 60 % des 2 millions d’étudiants) sont en première ligne de ce mouvement. Plus encore que les hommes, elles se battent pour concilier leur identité islamique avec la modernité et se montrent déterminées à faire valoir leurs droits.

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Le président Ahmadinejad est lui aussi – dans une moindre mesure – victime de la crise. S’il est confirmé dans ses fonctions, il inaugurera son second mandat sous les auspices les moins favorables. Il a perdu la confiance d’au moins la moitié du pays. Il lui sera difficile de la regagner, et même de gouverner. À l’évidence, cet agitateur colérique et mal fagoté ne correspond pas à l’image que la plupart des Iraniens veulent donner de leur pays. Il n’est pas le président de leurs rêves. Les rues de Téhéran ont résonné au cri de « À bas le dictateur ! ».

L’homme le plus puissant aujourd’hui pourrait bien être l’ancien président Ali Akbar Hashemi Rafsandjani. À la faveur de la crise, il pourrait revenir sur le devant de la scène. Homme du sérail, il a contribué à élever Khamenei au rang de Guide suprême après la mort de l’ayatollah Khomeiny, en 1989. Durant la campagne présidentielle, il s’est opposé à Ahmadinejad et a soutenu Moussavi. Réputé favorable à une ouverture vers l’Occident, il est probablement celui que les conservateurs craignent le plus, même si on dit qu’il essaie, en coulisses, de jouer les intermédiaires entre les deux camps rivaux. 

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« Effet de masse »

Quel que soit celui qui s’imposera à la tête de l’Iran dans les semaines et les mois à venir, il devra s’attaquer à quelques dossiers urgents. Saisir ou non la main tendue par Barack Obama. Contrer la communauté internationale, qui exige que des assurances lui soient données quant à la nature du programme nucléaire. Redynamiser une économie rongée par l’inflation et le chômage, et grevée par un secteur public inefficace. Satisfaire une population qui n’a pas seulement soif d’élections libres mais aussi de liberté d’expression, qui veut pouvoir s’habiller et se divertir en dehors des contraintes de l’establishment religieux et accéder, comme les jeunes de tous les pays, à Internet et à la communication en ligne.

Au Moyen-Orient, il n’y a que deux capitales – Téhéran et Le Caire – où la population est si nombreuse qu’elle peut se faire entendre en descendant simplement dans la rue. C’est ce qu’on appelle « l’effet de masse ». Quand les citoyens manifestent par millions, aucun régime, fût-il brutal, n’ose leur tirer dessus. La perte de légitimité serait trop forte. À Téhéran, il y a eu des victimes – personne ne sait exactement combien, mais sans doute pas plus d’une quarantaine. Cela a suffi à embarrasser le gouvernement et à le mettre sur la défensive.

L’Iran est en train de se réinventer. Vu de l’extérieur, c’est un spectacle impressionnant qui requiert la plus grande – et bienveillante – attention. Il est beaucoup trop tôt, en tout cas, pour en tirer des conclusions définitives.

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