L’effet Obama

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Publié le 29 juin 2009 Lecture : 5 minutes.

Même si l’ordre règne ou semble régner à Téhéran, tout n’est pas rentré dans l’ordre en Iran, tant s’en faut : la crise qui a frappé ce grand pays – à partir du 13 juin, jour de la proclamation du résultat truqué de l’élection présidentielle – développera ses effets pendant des mois. Et sera un des éléments clés des relations internationales tout au long des prochaines années.

Il nous faut donc traiter une fois de plus de sa genèse et de ses conséquences.

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On sait maintenant que le « coup » était prémédité et soigneusement préparé avant même le jour du scrutin.

Cela étant, deux questions se posent :

Pourquoi le Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, qui est le véritable détenteur du pouvoir, a-t-il, avec son proche entourage, estimé nécessaire et possible d’imposer aux Iraniens la réélection frauduleuse de son homme lige, Mahmoud Ahmadinejad, à la présidence de la République ?

– Pourquoi ce successeur de l’imam Khomeiny, fondateur de la République, s’est-il, ensuite, au lendemain de la proclamation du « résultat », départi de son rôle d’arbitre pour indiquer à ses concitoyens qu’Ahmadinejad est son choix et qu’il s’y tiendra quoi qu’il arrive, quoi qu’en pensent les Iraniens, quoi qu’on en dise dans le reste du monde ?

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On a pensé, et moi le premier, que l’homme était trop âgé, usé par un trop long exercice du pouvoir (plus de vingt ans), coupé des réalités de son pays, mal informé sur le reste du monde, qu’il n’a d’ailleurs jamais visité.

Nous nous sommes même demandé si le fauteuil de l’imam Khomeiny n’était pas trop large pour son successeur.

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Ces facteurs sont bien réels et chacun d’eux a compté, bien sûr : Khamenei n’est pas capable de flexibilité et n’est certainement pas un homme de vision.

Ayant écarté les réformateurs des principaux ­leviers du pouvoir, le Guide suprême, son entourage et l’aile conservatrice du régime s’étaient habitués, depuis près de dix ans, à l’hostilité anglo-américaine personnifiée par George W. Bush, Tony Blair et Gordon Brown, et aux menaces israéliennes (relayées depuis deux ans par Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner).

Ils ne s’attendaient ni à l’élection de Barack Obama*, ni à ses appels répétés et insistants à la reprise du dialogue entre l’Iran et les États-Unis.

Comme le Hezbollah et le Hamas, leurs alliés arabes, comme beaucoup de dictateurs de la région, comme les chefs d’Al-Qaïda – et comme le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou –, ils ont été pris à contre-pied par le personnage d’Obama, antithèse de Bush, et par sa politique, aux antipodes de celle de son prédécesseur.

Khamenei s’est senti « en danger de paix », comme Netanyahou. Mais si le Premier ministre israélien a gardé jusqu’ici son sang-froid, le Guide suprême de la République islamique d’Iran, lui, a paniqué.

Je tiens de source sûre que c’est pour contrer « l’effet Obama » que Khamenei a estimé nécessaire, prudent en tout cas, de conserver Ahmadinejad à tout prix.

Lui, son entourage et son camp ont craint, en effet, que le pouvoir leur glisse progressivement des mains si Mir Hossein Moussavi, le candidat des réformateurs, était élu.

Ils ont pensé que la pression populaire en faveur du dialogue et de la réconciliation avec les États-Unis et avec la communauté internationale serait irrésistible, renforcerait Moussavi, champion de cette réconciliation, et transférerait vers lui la réalité du pouvoir.

C’est ce qu’ils ont voulu éviter en truquant les élections pour faire « élire » leur homme, Ahmadinejad, défenseur des intérêts des conservateurs, exécutant docile de la politique qui les maintient au pouvoir.

Ils n’ont absolument pas prévu que leur peuple et sa jeunesse réagiraient aussi vigoureusement, iraient jusqu’à se soulever en grand nombre contre leur pouvoir, les obligeraient à réprimer et même à tuer.

Ils n’ont pas prévu que les dirigeants du camp réformateur, Moussavi en tête, refuseraient de s’incliner devant le diktat du Guide suprême.

Ils n’ont pas prévu que cela les transformerait, aux yeux de leur peuple comme aux yeux du monde, en oppresseurs ayant perdu toute légitimité et que le régime dont ils tenaient les rênes serait en crise.

Et ils n’ont pas dû prévoir enfin que la situation ainsi créée les couperait du reste du monde, rendrait impossible pour un temps tout dialogue entre eux et la communauté internationale.

Notons qu’ils peuvent, cependant, trouver une maigre consolation en constatant qu’un petit « front du soutien », composé principalement de la Russie, de la Chine et du Venezuela, a pris acte, sans états d’âme, de la réélection régulière de Mahmoud Ahmadinejad.

L’effet Obama a joué jusqu’ici au Liban contre le Hezbollah, qui n’a pas gagné une élection dont on disait qu’elle ne pouvait lui échapper.

Il a joué contre les deux principaux dirigeants d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri, qui ne sont plus guère audibles : leurs discours portent beaucoup moins depuis qu’ils ont perdu la caisse de résonance George W. Bush.

L’effet Obama déstabilisera-t-il la majorité politique de droite qui a pris le pouvoir en Israël et dont le chef de file est Benyamin Netanyahou ? Nous le saurons dans les prochains mois.

Lisez, en attendant, cet hymne à Barack Obama, dont le signataire, Elie Barnavi, un historien israélien (de gauche), a été l’ambassadeur de son pays en France :

« Le président des États-Unis a fait de la création d’un État palestinien viable un intérêt national américain.

Surgi sur la scène du monde après Bush, il en est la parfaite négation intellectuelle, éthique et physique – un concentré de qualités presque inhumain. On contemple, fasciné, cet animal politique du troisième type se mouvoir avec une allure bien à lui, qui combine l’aisance élégante du danseur et la force ramassée du lutteur, et l’on s’interroge : peut-on, alors qu’on est constamment sous le feu des projecteurs, ne jamais se tromper, ne jamais trébucher, trouver toujours le mot juste ? »

On ne s’en est pas encore bien aperçu, mais cet « animal politique du troisième type » décrit par Elie Barnavi produit sur ceux dont il veut faire ses partenaires un « effet Obama » qui les éloigne de lui, les conduit à l’irrationnel…

Que faire et comment faire pour que cet effet pervers ne se mette pas en travers des objectifs que Barack Obama a assignés à sa politique ? C’est le problème que le président des États-Unis doit résoudre. 

* Quelques mois avant l’élection de Barack Obama, Ahmadinejad a déclaré péremptoirement que les Américains n’éliraient ni une femme, Hillary Clinton, ni un Noir, Barack Obama.

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